Quand le 113 faisait voyager le Rap Français

Certains morceaux de rap français sont devenus des classiques grâce aux messages qu’ils véhiculent, et parce qu’ils sont particulièrement bien écrits (MC Solaar, IAM, NTM, Fabe). D’autres le sont car ils ont révolutionné la manière de rapper des MCs, à un point où plus rien n’a jamais été pareil après la sortie du morceau (Arsenik, Lunatic, X-Men, Oxmo). D’autres encore, sont devenus classiques parce qu’ils ont fait passer le rap dans une autre dimension grâce à un succès énorme, en mettant absolument toute la France d’accord : puristes du rap, simples amateurs, ou néophytes les moins concernés (Manau, Doc Gynéco). Certains morceaux, enfin, regroupent un peu tout ça à la fois.

Et c’est le cas du morceau de Rim’K et DJ Mehdi, ”Tonton du bled”, présent sur l’album du 113 (groupe de Rim’K) ”Les Princes de la ville” sorti en 99. Le titre, vous le connaissez tous, il s’agit de ”Tonton du Bled”. Le morceau a traversé les âges jusqu’à être toujours passé en playlist, encore aujourd’hui, dans les soirées hip hop. Même si elles ne sont pas estampillées ”Old School”. Il faut dire que le succès du titre à peut-être été un des plus impactant pour le rap. Même de nos jours, peu nombreux sont les artistes à faire des titres qui sont autant repris, sans faire de la pop.

Et c’est précisément là que le titre fait fort : il est dansant, terriblement, pour peu que vous soyez sensibles aux sonorités musicales du Maghreb. Mais ça reste du rap pur et dur, et personne ne peut mettre ça en doute. Et surtout, le morceau est extrêmement drôle, et bien plus fin et pertinent que ce qu’on pourrait attendre d’un morceau joyeux comme celui-ci. Arriver à parler à autant de personnes, tout en abordant, l’air de rien, l’une des thématiques les plus importantes de la société française actuelle. C’est pour tout cela qu’il faut absolument qu’on rende hommage à cette chanson.

L’hymne des bledards

Pour toute une partie de la population issue de l’immigration, le sentiment d’avoir le cul entre deux chaises est souvent assez problématique. Pas tellement acceptés en France, mais pas forcément mieux au bled, ils ont le sentiment de n’être nulle part à leur place. Rim’k, lui, a décidé dans son morceau de faire de cette particularité une force, et il avait bien raison. Pour montrer son attachement à ses deux pays, la France et l’Algérie, il décide de nous parler d’une période cruciale pour le blédard : les vacances d’été. Avec énormément d’humour, et de justesse.

Et ça commence dès le début du morceau : les références aux cabas trop lourds, remplis de bouffe pour la route et de cadeaux pour les proches, le ton du Tonton qui impatiente un peu de partir en vacances, et surtout, évidemment, le fameux ”504 Break chargé”. La voiture la plus importante de l’Histoire du rap français, n’en déplaisent à ces messieurs en Lamborghini. Le véhicule a la chance d’être assez spacieux, notamment pour ce qui est du coffre : pratique quand on veut faire des grosses courses.

Ce qu’a prévu Rim’K, d’ailleurs : ”le plein d’gasoil et d’gazouz pour pas flancher, Bilel, va pisser pendant qu’j’fais mon p’tit marcher”. Du carburant pour l’auto, et du soda pour les hommes, voilà une bonne idée. Mais c’est pas fini : Karim a aussi ”dévalisé tout Tati”, pour offrir des cadeaux à tout son village en Algérie. La générosité a toujours caractérisé le rappeur, qui s’est très tôt construit son personnage de Tonton très bienveillant. Ce thème des vacances au bled, que ce soit en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, ou aux Antilles, ça parle forcément à toutes les banlieues françaises, qui attend

ent impatiemment l’été pour s’enfuir loin des grandes tours invivables sous 40° C. D’ailleurs, ”On les les derniers locataires qui décollent” : tout le quartier est déjà parti.

Un impact énorme

Mais ce n’est pas que le thème des vacances au bled qui a fait de ce morceau un classique. C’est la manière complètement novatrice de l’aborder dans le rap. Rim’K cite par exemple des noms de villes du bled : ”Béjaïa”, et sa ”Place Guidon”, ”Boulémat”, pour montrer qu’il le connaît vraiment, mais surtout, pour parler à ceux qui connaissent l’endroit aussi. Encore plus original, à l’époque : il intègre des vrais mots d’arabe (dans le refrain notamment) et aussi d’argot algérien, ce qui, d’une part, ouvre plein de nouvelles possibilités de rimes, et d’autre part, renforce l’aspect ”attachement à ses racines”, ce qu’il a voulu faire passer dans tout le morceau.Même le sample avec lequel le regretté DJ Mehdi a fait la chanson est issue d’une chanson du grand chanteur Oranais Ahmed Wahbi, ”Harkatni Eddamaa”.

Toutes les références au bled, le darbouka, le Selecto, la Zit-Zitoun, ,la chanteuse Chaba Zahouaina, sont faites pour rendre le décor plus fidèle, et nous y faire voyager, au moins dans nos têtes. Cette manière de parler du bled, est totalement nouvelle à l’époque, et même maintenant, personne n’a réussi à approcher la justesse de ce morceau. De plus ne plus subtil au fil du morceau, le rappeur de Vitry-sur-Seine va mettre en scène le décalage qu’il y a entre les ”vrais” blédards qui vivent là-bas, et Rim’K qui y vient pour les vacances. ”Ils parlent trop vite, et en argot d’blédard” : le Vitriot n’arrive pas à suivre. Quand ils apprennent que Rim’k est dans la ”chanson”, ils lui demandent s’il connaît Mickael Jackson, ou pourquoi on ne l’a pas vu à la télé.

Il finit, forcément, par rentrer en France. En clamant qu’il voudrait que tout le monde puisse venir voir ça, mais en étant bien conscient aussi des difficultés rencontrés par l’Algérie, notamment pendant la Décennie Noire des 90’s à 2000. Il est tout de même content de retrouver ses potes, sa meuf, même s’il est toujours habillé comme au bled en débarquant à la cité. Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : Rim’k rentrera en Algérie pour finir sa vie. Pourtant, pendant le dernier refrain, il demande à son père s’il peut ramener la PlayStation ou la télé du salon. Le cul entre deux chaise,s encore et toujours, mais pas grave : il y a trop de bonne humeur dans ce morceau, pour continuer à considérer les racines comme un handicap. L’objectif de la chanson est atteint à 100%.

D’ailleurs, le public va se montrer fort réceptif, l’album ayant fait plusieurs centaines de milliers de ventes (des vraies, pas sur internet), et le groupe 113 sera d’ailleurs récompensé d’une Victoire de la Musique en 2000 pour le meilleur album rap, reggae ou groove (avant la catégorie ”pop urbaine”…) de l’année. Et devinez ce qu’ils ont joué sur scène ? ”Tonton du bled’‘. Et avec le 504 Break sous les projecteurs, s’il vous plaît. Ce moment est un des moments les plus importants de l’histoire du rap français, et le symbole, de revendication de la double culture, lors d’une des émissions les plus regardées de France, a eu un impact considérable. Notamment pour les rappeurs, qui ont tous ressenti un sentiment de fierté : ils l’ont fait. Ils ont ramené le quartier, le vrai, sur scène, et ils ont été reconnus pour ça. Voilà pourquoi ce morceau est un vrai classique.

Rémi
Rémi

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