Aujourd’hui, on va revenir sur un classique qui est un peu passé inaperçu parmi tous les grands morceaux de l’histoire du rap français. Pourtant, le morceau est issu de la compilation ”Première Classe”, une compil’ que tus les amoureux de rap français des 90’s connaît, puisqu’un très grand nombre de titres emblématiques y sont présents. Comme ”On fait les choses”, morceau classique avec Ben-J, Jacky, Pit Baccardi, Mystik et Rohff.
Mais ici, l’ambiance est beaucoup plus sombre, ce qui explique peut-être pourquoi le morceau n’a pas été autant diffusé que le gros hit ”On fait les choses”. En même temps, lorsqu’on réunit Don Choa, Lino, et Le Rat Luciano, on ne s’attend pas forcément à quelque chose de joyeux ou d’entraînant, même s’ils ont montré qu’ils savaient tout faire.
Car oui, il s’agit du morceau ”Atmosphère Suspecte”, un feat entre Lino, Le Rat et Choa, trois des plus gros rimeurs de l’époque (dont le meilleur punchlineur du rap FR). Un titre qui a eu assez peu de résonance, malgré une qualité d’écriture qui frôle la perfection. Retour sur ce classique un peu oublié.
Au sommet de leur art
C’est intéressant de s’intéresser à ce morceau, car il sort à un moment où les trois rappeurs sont d’une certaine manière au sommet de leur art, avec le premier album de la Fonky Family (groupe de Don Choa et Luciano), mais aussi le premier album d’Arsenik (groupe de Lino), tous les deux considérés comme les chefs d’œuvre de leurs carrières respectives. Et ça se sent au niveau écriture, les trois MCs sont à l’aise comme ils le seront rarement après.
Chacun maîtrise sa manière de faire des rimes, assonances ou allitérations, comme Le Rat dès ses premières lignes : ”Premièrement, j’rappe salement, et saluement, seulement, dernièrement y a du monde derrière moi y compris d’sales mômes”. Tout Luciano en deux lignes, avec des mots de vieux français (”saluement”), une grosse technique, beaucoup d’assonances, et tout ça plantant le décor de lui entouré de son groupe de proches. Et ces assonances durent sur encore plusieurs lignes, avant même que l’instru ne se lance réellement. La fin du couplet est de la même qualité : ”D’où vient le malaise ? On a toujours les sales rôles, D’mande à Malemek, on zonera jamais en sales Rolls, J’viens d’en bas les mecs, cette vie underground n’est pas rose, là où on s’en bat les mecs.” 20 ans après, on ne sait toujours pas comment il fait, pour transmettre à l’auditeur son sentiment d’urgence, de mal-être, tout ça avec un peu d’arrogance de la rue et de fierté de la débrouille.
On reviendra sur le refrain plus tard, pour l’instant on va se concentrer sur les couplets. Celui de Lino n’est pas mal non plus. A vrai dire, on a du mal à décider qui est le meilleur sur ce morceau. Lui aussi dévoile toute sa maîtrise dès le début : ”Celui par qui vient le scandale, t’as beau être vandale en dalo chauffe la dalle ou crève la dalle, sur ta face j’essuie ma sandale”, avec toujours cette impression d’être coincé dans un coin du ring avec Lino qui vous enchaîne des directs lorsqu’il se met à rapper. Avec une touche de génie pour clore : ”J’évite les schmits comme les boulettes sur mon satin dixit Borsalino et Le Rat, objectif atteint”.
Le couplet de Don Choa est lui aussi très particulier, lui qui a une diction vraiment particulière, mêlée à un accent très prononcé, qui mitraille les oreilles lorsqu’il se met à accélérer à la fin de sa partie. Avec, toujours, cette sincérité et cette émotion dans la voie qui nous parle forcément.
Tout l’esprit hip hop des 90’s
Là où ce morceau est génial, c’est que c’est une hymne au hip hop, et en particulier au rap français des années 90. Une époque où les chiffres n’étaient pas si importants (il faut dire alors que les gens achetaient beaucoup plus de musique), et où ce qui comptait, c’était surtout de se donner de la force, et de rappeler à tout le monde que c’est grâce à cette solidarité entre les acteurs du rap FR qu’on a réussi à arriver aussi haut. Le refrain est d’ailleurs un hommage à des lyrics mythiques de notre musique sous forme de samples : on retrouve des lines des morceaux ”Quelques gouttes suffisent” et de ”Boxe avec les Mots” d’Arsenik, et du titre ”Bad Boys de marseille” version sauvage, avec la Fonky Family et IAM.
Cette volonté de rappeler constamment le chemin parcouru, tout en étant conscient de celui qui reste à faire, c’est assez typique de ce moment du rap français, en 98, où MC Solaar, NTM, IAM (on peut même y mettre Manau), sont désormais installés en tant que stars de la musique française. Au final,ce morceau est une sorte d’egotrip triste autour de ce qui les pousse à rapper, tout en avertissant que les rappeurs n’arrêteront pas, qu’ils seront toujours aussi dangereux dans leurs lyrics, tant que la situation des quartiers n’aura as changer. D’où les dédicaces aux proches, et les références au rap (”J’greffe mon blaze, chef, mon HF a l’blues, FF-Arsenik et voilà douze mille façons d’mourir”, où le HF est le micro utilisé par Lino pour enregistrer).
Un egotrip un peu menaçant (”J’crois qu’on a nos trucs à faire, sur un rythme la ramener, Tu veux nous calmer, man, amène un mandat d’amener. Yo ma hargne se propage comme le SIDA”) mais qui appelle aussi à la paix, pour la prospérité de notre culture, conscients que les clashs font rarement du bien au rap (”FF-Arsenik, Plus rien n’va si les gars qui font cet art se niquent”). Les bases du rap français sont ainsi posées : tous groupés pour lutter contre le système plutôt que d’entretenir des rivalités dans lesquelles on se trompe d’ennemi, comme IAM et NTM, ou comme Tupac et Biggie, de manière plus tragique. Un morceau au message salutaire, même s’il a été un peu oublié…