Dans très peu de jours (4 exactement), l’album ultra-classique de Dr.Dre, ”2001”, sorti en novembre 1999, fêtera ses 18 ans. C’était l’occasion de nous pencher un peu sur cet album mythique, qui a marqué le rap. Le disque représente le sommet de ce qui se faisait en gansgta rap aux US, et a donc eu beaucoup d’influence. Si Dre n’a, cette fois, pas révolutionné la musique (il ne vas pas le faire à chaque disque on plus…), il a hissé le rap à un sommet de professionnalisme jamais atteint, frôlant la perfection, tant au niveau des textes, que des prods, ou encore de la qualité des invités, qui sont légion.
Mais plutôt que de nous refaire tout l’album, ce qui ne nous déplairait pas, mais qui a déjà été fait cette année, on va plutôt essayer de revenir sur un morceau particulier. Pas forcément parce que c’est le meilleur de l’album. D’ailleurs, ça n’est sans doute pas le cas. Mais parce que sur le morceau, Dre et ses invités ont touché du doigt quelque chose d’assez juste, et d’assez représentatif de ce qui se passe alors dans le rap et dans la rue.
La chanson, c’est ”Bang bang”, avant dernier track du projet. Et comme le laisse supposer le titre, il va surtout parler de violence,qui est un thème récurrent dans tout l’album. Mais d’une manière différente : lors que dans la plupart du projet, Dre va faire plus ou moins l’apologie du mode de vie gangster, il va ici être assez critique vis-à-vis de ce dernier. Un morceau un peu sous-estimé, mas qui pourtant reflète certainement plus l’état d’esprit du rappeur que ”Big Ego’s”, un énorme eogtrip gangster. Avec ses deux camarades Hittman et Knoc-turn’al, ils vont dépeindre un visage assez sombre des rues de LA, et des quartiers noirs pauvres des USA en général.
Dre et les limites du lifestyle NWA
On le sait, Dr.Dre n’a pas écrit la plupart de ses textes. On ne sait pas qui s’est chargé de lui écrire ce couplet, probablement Hittman, qui posera lui aussi sur le morceau, mais au vu de la manière dont Dre l’interprète, on vraiment l’impression qu’il se livre dans ce texte. C’est d’ailleurs tous e talent de Dre et ses ghostwritters : savoir s’entourer de gens capables de parler d’un univers qui lui ressemblent, et donc forcément, des gens qui le connaissent bien. C’est le cas ici, et ça se voit dès le début.
Dre dépeint une ambiance assez sombre à LA, un peu comme à son époque, mais quelque chose a changé, en pire. Pas lui, qui s’est assagi et est plus malin maintenant, mais les autres : ”I’m just a lot smarter now, Cause these niggas is banging ten times harder now”. Il a besoin d’être plus intelligent, car les renois dans la rues sont 10 fois plus déterminés, bien plus fous qu’à son époque. Maintenant vous pouvez vous faire tuer parce que vous n’êtes pas du bon côté de la ville,comme lors de la brève intervention d’Eminem dans le couplet ”Hey can we talk it out, Nah, get the fuck out ! Johnny got a shotgun, and he ain’t even strong enough to cock one, Fuck trying to job hunt”.Tu demandes ton chemin, tu prends une balle par un gosse qui est à peine assez fort pour charger son fusil à pompe. Et ce fusil à pope, semble avoir remplacé le travail dans les objectifs de vie des jeunes gangsters.
Le Docteur met le doigt sur quelque chose de très vrai. En à peine dix ans, depuis ses débuts, les choses ont considérablement empirées en termes de violences avec armes, en particulier dans les ghettos de LA, en proie à une guerre des gangs pour le contrôle du trafic de crack et d’armes. D’ailleurs, Dre remarque, amer : ”Niggas got AK’s, Niggas is way crazier than Dre was back in his N.W.A. Days”. Les jeunes sont devenus bien plus fous que lui à l’époque. Et il enchaîne en disant qu’ils mettent deux fois moins de temps avant de déclencher une guerre avec les rivaux, qu’ils la banalisent, donc. Voilà pourquoi, pour lui, les renois intelligents ne restent qu’en famille.
Quand les invités sont aussi bons que l’hôte
La jolie performance de Dre sur le morceau est appuyée par un très bon refrain qui rentre facilement dans la tête (il n’y a que les américains pour faire des refrains chantés aussi street), et par deux couplets de très bonne facture. Le premier, celui de Knoc’, est un exemple de placements très novateurs et d’intonations incroyables, avec des variations de débit impressionnantes. Avec aussi de très bonnes métaphores : ”These days, gun play is official with green lights on every block”. Les jeux sont ouverts, tout le monde a un flingue, jeunes comme forces de l’ordre, avec pointeurs laser verts, et c’est à celui qui sera le dernier debout. Ou encore : ”Niggas got Rugers and M14’s with enough ammo to leave an armored truck Swizz cheese”. Alors qu’avant, les gars se tiraient surtout dessus au flingue, ils ont maintenant des fusils d’assaut automatiques, et assez de balles pour transformer n’importe quel convoi en gruyère.
La puissance des armes a changée, et la violence avec elle. Mais ce sont les mentalités qui effraient le plus nos trois MCs : ”I’ve learned to stay away from house parties, I’ve seen too many go and end up without leaving”, ou quand même les fêtes de quartier qui faisaient la gloire de la scène West Coast finissent en bain de sang. C’est ensuite au tour d’Hittman de prendre le relais, et il est encore plus noir dans son constat. Il n’existe plus aucune solidarité entre les renois : ”Niggas doing brothers in worse tha the Klan”. Les noirs tuent plus de noirs que le Ku Klux Klan. Et non seulement il a raison, mais c’est quand même sacrément couillu de le dire de cette manière.
Hittman nous donne ensuite une petite leçon de rimes sur quelques lignes, avec beaucoup d’assonances, avec lesquelles il décrit une ambiance où même les gosses de 12 an sont armés et prêts à faire feu, où les gars sortent le flingue pour n’importe quelle petite raison, faisant ainsi beaucoup de morts non nécessaires, en dressant un parallèle avec les massacres des Khmer Rouges au Cambodge. Il continue encore dans les images fortes, pour essayer de donner plus de poids à son message, et ça marche. Lui même se décrit comme ayant son ”life preserver” à côté de lui (son arme, très ironiquement), et qu’il est prêt à plonger si on vient le faire chier. Contrairement à Dre, Hittman est lui aussi devenu plus violent, comme l’époque le veut, et d’ailleurs, il est membre des Crips de LA, en pleine guerre de gang avec les Bloods. Les bleus contre les rouges, et on se tire dessus, dépeuplant le ghetto petit à petit : exactement ce que veulent les gens au pouvoir.
Ce son est assez incroyable, parce qu’il est sur l’album de Dre, un de ceux qu ont inventé le gangsta rap. Il était conçu à l’origine comme un moyen de rire des clichés, de les exagérer, pour faire peur, choquer l’Amérique blanche, et parler aux gens du ghetto. Mais la réalité s’est petit à petit transformée en gangsta rap, le devançant, même. Et ça n’est pas la faute du rap, mais bien de la crise sociale et économique que traverse la région à l’époque. Les maux sont toujours les mêmes qu’il y a dix ans, mais comme on n’a rien fait, les ”blessures sociales” s’infectent. C’est le constat, que dressent, en filigrane, les trois MCs, celle d’une société plus violente, moins tolérante, accordant moins de valeur à la vie. IAM, en France, quelques mois auparavant, l’avaient prédit dans leur album : ”Les générations d’après seront pires que nous, leurs vies seront plus moroses”. Dre fait le même constat, à plusieurs milliers de kilomètres de distance : quelque chose ne va pas dans ce monde,e t ça n’est pas prêt de s’arranger. La suite leur a malheureusement donné raison…