Le rappeur casablancais Don Bigg s’apprête à sortir son quatrième album solo. Entretien avec celui qui a assisté à l’évolution de l’industrie musicale au Maroc sur les vingt dernières années.
Le rap marocain a le vent en poupe. De Stormy à ElGrandeToto en passant par Madd, la jeune génération, 25 ans de moyenne d’âge, donne un second souffle au rap en darija. Mais elle n’aurait sans doute pas eu cette opportunité sans l’acharnement et l’audace de ses pionniers, H-Kayne, Muslim et Don Bigg. En un peu plus de 20 ans de carrière, ce dernier s’est même imposé comme l’un des artistes les plus talentueux de la scène locale.
A bientôt 37 ans, Don Bigg est un “monstre” du rap marocain. Natif de Casablanca, celui qu’on appelle aussi Bigg a commencé à rapper dès l’âge de 14 ans. Au départ, c’est la langue de Shakespeare qui séduit le jeune MC mais très vite, l’artiste s’est rendu compte que la darija – la langue vernaculaire du Maroc – lui permettrait d’être encore plus proche des jeunes. 20 ans plus tard, l’auteur de La3bine en featuring avec La Fouine remplit toujours les salles au royaume chérifien, et fait partie des têtes d’affiche des principaux festivals locaux.
Mais là où ses pairs plus jeunes se ruent vers l’autotune, chantonnent autant qu’ils rappent, Don Bigg affûte son quatrième album solo au plus grand des calmes. Pour en savoir plus, HipHopCorner a échangé avec ce tailleur de mots qui a tout connu dans le rap marocain. Entretien avec celui que beaucoup considèrent comme le meilleur rappeur arabophone encore en activité.
HipHopCorner : Tu as peut-être la carrière la plus longue dans le rap marocain, quelle est à tes yeux la recette de ton succès ?
Don Bigg : Je pense qu’il n’y a pas de recette. Même à mon niveau, je ne considère pas ce que j’ai atteint comme un succès. C’est plutôt une étape dans ma vie qu’il faudra dépasser pour partir sur une étape encore plus intéressante. C’est mon objectif, mais le succès est éphémère. Il ne dure pas. C’est pour cela que je ne raisonne pas en terme de succès mais en terme d’objectif.
HHC : 14 ans après la sortie de ton premier album solo, comment fais-tu pour rester toujours à la page en terme de style ?
Don Bigg : Ce qui est intéressant pour moi et ce qui me sert, c’est que j’écoute très rarement du rap. Donc je suis toujours dans des styles hors rap. Le fait d’être éclectique me permet d’avoir un peu de recul, par rapport à ce que je fais. Peut-être que c’est ce qui m’aide à me dépasser et à ne pas m’appuyer sur mes acquis. C’est pour ça que chaque album a sa propre touche et ne ressemble pas au précédent.
HHC : Tu avais récemment pris à partie certains rappeurs. Plusieurs médias n’ont pas hésité à parler d’un “clash générationnel”, était-ce réellement le cas ?
Don Bigg : ça aurait été un clash générationnel, si j’avais pris pour cible la nouvelle génération mais ce n’est pas le cas. 170Kg est une réaction à plusieurs actions entreprises contre le personnage Don Bigg puisque c’est de ça qu’il s’agit. Donc c’était ma réponse, ce n’est ni un clash générationnel ni un autoclash .
HHC : Et puis, il y’a eu le clash avec Dizzy Dros…
Don Bigg : Il n’y a pas eu de clash contre Dizzy Dros. Il y a eu un clash avec plusieurs rappeurs qui m’ont pointé du doigt. Je ne veux pas personnaliser le clash vers une seule personne parce que n’est pas le cas. C’était une réponse à plusieurs rappeurs en même temps. Peut-être que chacun de ces rappeurs pense qu’il est visé par le morceau mais, ce n’est pas le cas.
HHC : Depuis, on t’a vu proche de certains jeunes MC comme ElGrandeToto avec lequel on te retrouve en collaboration sur deux morceaux… finalement, Don Bigg n’a rien contre la nouvelle génération ?
Don Bigg : Voilà, si j’avais un problème avec la nouvelle génération, je n’aurais pas un featuring avec ElGrandeToto et je n’apprécierais pas certains rappeurs de la nouvelle génération. Je n’ai jamais été contre les “jeunes”, si on peut les appeller comme ça… Mais ils ne sont plus si jeunes que ça. A un moment donné, ce n’est plus question d’âge. Ce n’est qu’au Maroc qu’on est considéré comme vieux à partir de l’âge de 30 ans (rires). Si tu vois l’âge de Dr Dre et Jay-Z, tu te rends compte que c’est une question de culture. Le rap, ce n’est pas une musique de jeunes. C’est une musique tout court.
HHC : Depuis ton album Talet, tu nous fait languir avec plusieurs morceaux bien sentis. Mais où est le quatrième album ?
Don Bigg : Il y avait plusieurs clips qui devaient sortir ces dernières semaines mais avec le confinement, c’est devenu plus compliqué. Ce qui est sûr c’est qu’il y aura de nouveaux morceaux, de nouveaux clips dès le passage au déconfinement. Mais je n’ai pas encore fixé de date de sortie pour l’album.
HHC : Pour revenir à ta discographie, comment expliquer que celui que beaucoup considèrent comme le plus grand rappeur marocain n’a “que” trois album en solo ?
Don Bigg : Je n’ai que trois albums parce que tout simplement, je ne me force pas à sortir un projet. Je prends mon temps et lorsque j’ai quelque chose à dire, je le dis.
HHC : Aujourd’hui, qu’est ce qui te motive encore à rapper ? Et d’où puises-tu ton inspiration ?
Don Bigg : Je rappe toujours parce que je sens que j’ai toujours de l’inspiration. Le jour où je n’en aurai plus, je pense que je vais produire parce que je suis sûr que la musique aura toujours une place spéciale dans ma vie. Du coup, je serai toujours près du champ de production, même si je ne rappe plus. Mais tant que je suis inspiré, j’écris… Et il n’y a rien de plus inspirant que le Maroc.
HHC : Tu portes quel regard sur l’industrie musicale marocaine ?
Don Bigg : L’industrie au Maroc a un potentiel énorme, chose comprise par plusieurs labels et majors. Et vu que le Maroc constitue un hub pour l’Afrique, je pense que c’est une bonne chose. D’autant plus que la scène rap marocaine a évolué plus que celle de nos pays voisins, notamment au Grand Maghreb. Donc le potentiel est là, l’infrastructure n’est pas encore au rendez-vous. Mais je pense que le digital va dépasser la problématique de l’infrastructure car maintenant tout se passe sur le virtuel. Et le coronavirus nous a montré, avec la croissance des plateformes de streaming, qu’on est bien partis.
HHC : Qu’est-ce qui explique que le rap marocain de 2020 semble plus populaire, notamment sur YouTube, que le rap des années 2000 ?
Don Bigg : Il est plus populaire et c’est tout à fait normal. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu la première génération de rappeurs qui a éduqué une génération d’auditeurs. Cette dernière a, à son tour, éduqué une autre génération d’auditeurs ou de fans. On a démocratisé le rap pour qu’il puisse devenir une culture à part entière au Maroc. Maintenant, on récolte ce qu’on a semé : une génération de fans plus large.
HHC : En France, certains disent que “le rap c’était mieux avant”, ce n’est donc pas le cas au Maroc ?
Le fait de dire que le rap c’était mieux avant fait, à mes yeux, partie de la nostalgie. Chacun de nous dit que le premier album d’untel est son meilleur projet, alors que c’est le fait de l’avoir écouté à un moment T dans ta vie qui te laisse penser que c’est le meilleur album. Donc c’est tout à fait relatif. Au fil des années, le rap a toujours montré du bon et du mauvais.