Fadah : “Pour moi, la folie a quelque chose de libérateur, de fédérateur”

Rencontre avec le rappeur toulousain et apatride Fadah, pour parler avec lui de sa folie, et de son dernier album, Furieux.

Qu’est-ce que la folie ? En voilà une bien belle question philosophique. Beaucoup diront que pour la comprendre, il ne suffit pas d’en donner une définition, mais qu’il faut la vivre. Plus encore, Fadah l’a cristallisé en musique. Depuis ses débuts en 2013 avec l’album Les loges de la folie, le rappeur toulousain n’a cessé d’explorer et de faire l’éloge de sa propre folie. Et ce sans jamais se plier à une quelconque tendance. Cette folie l’a construit, au point qu’il en est arrivé aujourd’hui au stade le plus avancé : la furie. Un état d’esprit qui a forgé à la fois son caractère et son dernier album Furieux.

Sorti le 4 octobre dernier, ce nouvel opus rompt totalement avec le reste de la discographie du rappeur. Un choix radical, mais dans une volonté assumée de partir sur de nouvelles bases. Fadah explique : “J’ai voulu aborder ce projet comme un premier album. Je ne suis plus le même Fadah qu’à l’époque des Loges de la folie et Cet Art. J’avais cette volonté de présenter mon univers à moi, selon mes envies.”

La folie éclairée

Pour sûr que Fadah a pris confiance en lui et en ce sens, il a choisi de ne se mettre aucune barrière. Au contraire, rage oblige, il propose dans Furieux, un rap ultra-frontal et une écriture ne tourne pas autour du pot. Sa plume a beau être toujours aussi complexe, car faite d’images abstraites et parfois nébuleuses, son propos lui se veut bien plus explicite et clair. “J’ai essayé de simplifier mon propos pour faire passer mes idées plus clairement, mais sans être simpliste. Après je n’estime pas être arrivé au bout de ce travail-là, loin de là. Les mecs qui me font kiffer, c’est ceux qui arrivent à te faire passer une idée qui pourrait être développée dans un rap entier, en une seule phrase”.

Ce qui frappe d’entrée à l’écoute de cet album, c’est bel et bien la colère et la hargne de son interprète. Un homme en camisole qui use de son flow rauque et tranchant pour se livrer à des élans introspectifs. “D’où me vient ma folie ? Elle n’est pas pathologique. Elle vient de ma vie de famille, de mes potos, des gens que j’ai croisés, de la vie chelou que j’ai menée par moment. De ce que les gens disent de moi, et de ma vie d’artiste”.

En effet, Furieux cristallise l’état d’esprit d’un homme artiste isolé, et en marge de la société. Face à lui-même, Fadah aborde ainsi au fil des 12 titres de son album, des sujets forts et très personnels. Qu’il s’agisse de son évolution humaine et artistique, d’interroger la société de consommation déshumanisante, d’évoquer la masculinité, ou de revenir sur des relations amoureuses douloureuses, il parle à cœur ouvert et nous invite à écouter ses histoires autour d’un verre. Un cocktail mélangeant tellement d’émotions, qui, une fois ingérées ensemble, rendraient fou le plus apaisé des hommes.

C’est là où Fadah réussit un coup de maître. Il parvient à parler de folie de manière authentique, sans être lui-même victime d’une réelle pathologie psychiatrique.

“Je me suis très rapidement intéressé aux pathologies psychiatriques via des gens que j’ai pu côtoyer et des reportages. J’ai eu envie de briser un tabou, de parler de choses qui dérangent de manière jolie. C’est un sujet qui me fascine et dont je trouve qu’on ne parle pas assez, en tout cas de manière apaisée. La folie fait peur, mais je pense qu’elle pourrait être abordée un peu plus facilement, même si les paroles se libèrent de plus en plus dans la musique. Je ne suis pas là pour me faire passer pour un fou. Pour moi, la folie est juste une idée libératrice et fédératrice. Je n’aborde pas la musique comme une thérapie”.

Fadah, explorateur des sons

L’avantage avec la folie, c’est qu’elle efface toutes notions de limites à celui qui la subit. Sans doute est-ce pour cela que Fadah est totale en roue libre musicalement sur ce projet. Lui qui nous a habitué à des sonorités boom bap nous prend à contre-pied et se laisse aller à des expérimentations musicale diverses et variées. Si la modernité de cet opus a sans doute déstabilisé les fans de la première heure du rappeur, cet album réussit habilement à vivre avec son temps, tout en étant hors du temps.

Ces recherches et expérimentations musicales, il les doit également au producteur BLV qui produit plus de la moitée de l’album. S’il semble exister entre les deux artiste une véritable alchimie, contre toute attente, ils ne se connaissaient pas avant de travailler sur Furieux.

“A la base, j’avais fait appel au prods. BLV m’en a envoyé un paquet et j’en ai retenu certaines, on ne se connaissait pas avant. On a commencé à échanger puis notre relation s’est développée. On s’est rencontré une fois, puis deux, puis on s’est rendu compte qu’on s’appréciait grave, qu’humainement, ça matchait de ouf, qu’en studio, on se comprenait très vite. On a une relation unique. Parti de rien, aujourd’hui, c’est lui mon DJ sur scène”.

Optant globalement pour des ambiances bien plus électroniques et trap qu’à l’accoutumé, c’est aussi la première fois que Fadah utilise l’autotune. Mais attention, ne voyez pas ce choix comme une tentative de faire les yeux doux à l’industrie, mais comme quelque chose d’à la fois naturel, modéré et maîtrisé. Un choix totalement assumé de la part de l’artiste : “Je n’ai jamais été de ceux qui pensent que l’autotune est le sheitan, et je n’ai jamais été contre. Ça faisait déjà un bout de temps que j’écoutais SCH avant qu’il pète. J’avais déjà l’autotune dans les oreilles grâce à des sons cainri.”

https://www.youtube.com/watch?v=0PdnxUse7t4

Dans le reste de ses explorations sonore, Fadah se prête également pour la première fois au chant, dans son titre “Première fois” justement. “J’avais déjà essayé le chantonnage, mais c’est la première fois que j’assumais la démarche de bout en bout. Je savais depuis longtemps que je voulais faire un morceau uniquement chanté. Quand j’ai reçu la prod de BLV, je me suis dit, “ça y est, j’ai eu mon déclic, je ne peux que chanter là-dessus”

“Si j’suis solo, c’est parce que je l’ai voulu”

La folie isole, la folie enferme, c’est pourquoi Fadah s’est posé sur Furieux, en chevalier solitaire. Ne cherchez pas de featuring sur cet album, vous n’en trouverez pas. Un choix à la J. Cole qui peut paraître surprenant de la part d’un artiste qui a depuis toujours fait partie de plusieurs collectifs. “J’ai fait ce choix parce que j’abordais des thématiques beaucoup trop personnelles et thématiques pour être accompagné. C’est à double tranchant car en faisant ça, tu créés un fossé et tu t’isoles, mais à côté, pour la première fois et pour de vrai, j’ai vraiment eu l’impression de suivre toutes mes envies et mes aspirations sur ce projet”.

Un choix au final assez logique puisque c’est dans l’isolement que Fadah a su trouver l’inspiration. Parti vivre un an au Canada, la vie là-bas et le climat extrêmement froid l’ont contraint à vivre reclus et enfermé chez lui. Il n’avait donc pas d’autre choix que d’écrire : “Le Canada a été le déclic. Un déclic humain avant d’être artistique. Là-bas, je n’avais pas mes potes avec moi. J’ai bougé sur la période hivernale, et il fait tellement froid que tu es obligé de rester chez toi. Ça m’a réappris à vivre seul, car j’étais coincé à la maison. Du coup, j’ai repris l’écriture à ce moment-là“.

En dépit de tous ses effets négatifs sur la santé mentale, c’est aussi grâce à la solitude et l’enfermement que l’artiste parviendra progressivement à se libérer de ses chaînes. En effet, après la moitié de l’album, précisément après le morceau “Zodiaque”, on ressent chez le Toulousain un certain apaisement. Si ses propos sont toujours extrêmement violents, à l’image du morceau “Agression“, les mélodies et ses interprétations sont plus douces. On a là un magnifique contraste entre douceur mélodique et violence verbale. Ce qui en somme fait toute la beauté de la musique de Fadah.

C’est finalement avec les morceaux “Faire avec” et “Mourir demain” que le rappeur parvient à définitivement lâcher prise. Après avoir fait transparaître son mal-être profond et se l’infliger tout au long de cet album, il s’en libère pour enfin trouver le salut : “J’ai appris à accepter qui j’étais. Je n’ai pas le choix et je ne pourrais pas me changer sur certains points. Ça fait chier, mais ça fait partie de moi, et si je veux avancer, je dois accepter tout ça“.

La folie contagieuse

Ce qui fait la force de Fadah, ce n’est pas seulement son univers et sa personnalité atypique, mais également ceux qui le suivent. Un public de fêlés qui n’attend qu’une chose : voir toute sa furie se déverser sur scène. Même s’ils le savent bien, qu’ils se rassurent, les concerts arriveront, car la scène est pour l’artiste, le point final de son projet “La folie s’extériorise et se vit sur scène “je vois le live comme un état de transe”.

Une question se pose alors : que se passe-t-il une fois que l’on a atteint le stade le plus avancée de la folie ? A cela Fadah répond : “Après la folie, il y a une recrudescente, une décompression, une dématérialisation. Pour moi, le travail de ces 8 derniers mois était fou, prenant, fort en émotion, donc maintenant, il faut souffler”.

Bien entendu, il ne compte pas pour autant arrêter la musique, au contraire : “Avec cet album, j’ai appris à me faire confiance. J’ai envie fort de faire de la musique, de faire des chansons en plus des morceaux de rap. Je dois me faire confiance encore plus. Je ne peux pas dire quelle sera la suite, mais ce dont je suis sûr, c’est que je vais un peu moins parler de folie, pour un peu plus l’incarner”. Voilà une belle leçon que nous donne la folie furieuse de Fadah : elle nous apprend qu’aussi incroyable que cela puisse paraître, les fous sont probablement les êtres-humains les plus heureux.

Jérémie Leger
Jérémie Leger

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