Johnny Hallyday et le rap français : une histoire d’amour ?

Tout d’abord, on tient à s’excuser auprès de ceux qui travaillent à côté d’une télévision ou d’une radio allumée toute la journée : oui, c’est bien un papier sur Johnny. Dans un site de hip hop. Vous qui en avez probablement entendu parler toute la journée, vous n’en pouvez déjà plus et vous mettez à haïr Johnny. Et vous avez tort : Johnny, qu’on le veuille ou non, fait partie des monuments de la culture française, et les hommages qu’on lui envoie aujourd’hui sont plus que mérités.

Plutôt que de faire un vrai hommage à l’artiste, qu’on ne connaît pas forcément très bien (il faut dire que lorsqu’il commence à rapper à la fin des années 50, la plupart d’entre nous n’étaient même pas à l’état de projet), on s’est interrogés un peu sur la manière dont Johnny était vu par le rap français. Car comme Chirac, Belmondo, et bien d’autres encore, Johnny fait partie des ”meubles”, de la ”vie de tous les jours” de nos rappeurs français, et il est donc souvent cité dans les chansons de nos MCs, dans des occasions assez diverses.

Parfois, il est vu comme l’incarnation même de l’artiste, d’autres fois, il représente l’essence de la ”star”, d’autres fois encore, il est nommé pour son côté parfois excessif. Il peut aussi être vu comme une sorte d’icône à brûler, tant l’image que les médias donnent de sa fan base est celle d’une France ”beauf”, un peu raciste et alcoolisée : Johnny serait l’artiste ”français pur-souche” (avec parfois une ironie assez marquée, puisqu’il s’est rapidement installé aux USA), ce statut duquel les rappeurs sont quasi-automatiquement exclus, vu comme des jeunes des quartiers plus que comme des jeunes français. Pour toutes ces raisons, on voulait revenir un peu sur les différentes apparitions de Johnny (voulues ou non) dans notre rap game. Une liste non exhaustive, bien entendu, à laquelle vous pouvez contribuer dans les commentaires.

Johnny, une star qui a réussi

Johnny est une star, une vraie. De celles dont on va manger les best of à la radio pendant encore au moins une décennie, voire plus. C’est l’incarnation même de l’artiste qui a tout réussi, même en ayant quelques creux, avec une carrière tellement longue, et une musique qui a touché tellement de monde qu’il a réussi à remplir un Stade de France. Un épisode qui a marqué plusieurs rappeurs, friands de performances scéniques, comme Lartiste (et bien d’autres) avec son ”Donnez moi le Stade de France, j’vais allumer le feu, comme Johnny Hallyday, Hallyday, j’suisj’suis validé t’as pas idée”. Chez Jul, c’est sa gestuelle qui l’a frappé : ”J’bouge le pied quand j’chante comme Johnny Hallyday”, faisant référence à ses incroyables mouvements de genoux lors de ses concerts.

Une star qui prend vraiment beaucoup de place. Par certains moments, ce brouhaha autour du chanteur, alors que sa meilleure période était évidemment derrière lui, avait de quoi dégoûter plus d’un artiste français dont on ne parle pas. C’est pratique, car ça évite de remettre en question sa fainéantise à travailler sa comm’ (on ne généralise pas). Quoiqu’il en soit, la réussite de Johnny était tantôt admirée, tantôt détestée. Fabe éprouvait plutôt une fierté d’être comparé au monsieur : ”En 5/5, j’ai plein de pain-c qui trinquent rien qu’à l’idée, que je vende des CD’s comme Johnny Hallyday”.

Hugo TSR accorde lui moins de valeur à la réussite : ”J’encaisse mal les p’tits gus qui chantent comme Alizée, s’prennent pour Johnny Hallyday, beaucoup qui dansent comme Ali G”. Ici, on a clairement une critique de ceux qui jouent les stars. Hugo respecte peut-être la carrière de Johnny, mais pas les comportements ”de stars” que ça a engendré chez les artistes par la suite, très prompts à faire des mêmes caprices de stars et se comporter comme s’ils étaient Johnny. Quand à Seth Gueko, lui qui a la punchline toujours facile, il a rappé, dans ”La Main de Dieu” : ”si tu veux pas mourir dans l’anonymat, meurt pas le même joru que Johnny, gars”. Une manière comme une autre de dire que, vu l’ampleur du phénomène Johnny, la France va s’arrêter de tourner pendant quelques temps, et il avait raison.

Johnny, un gars qui dure

Si sa réussite en tant que telle a beaucoup fait parler dans le rap, c’est surtout sa durée qui a été commentée. Et les rappeurs ont bien raison : elle a duré plus de 50 ans, un âge que n’ont même pas encore atteint la plupart de nos MCs. Donc forcément, ils regardent ça d’un œil parfois bienveillant, parfois sacrément rageux. Le cas de Booba est intéressant, car il a adopté les deux postures. Dans ”Pirates”, il affirme qu’il est ”calibré comme un Hells Angels, j’veux faire long feu comme Johnny Hallyday, rien qu’j’encaisse”. On sent que B2o aimerait bien pouvoir rapper jusqu’à l’âge de Johnny, mais d’un autre côté, ça ne l’empêche pas de le renvoyer à son hypothétique impuissance due à l’âge, lui enlevant son ”statut d’homme” : ‘Ici tout est noir c’est la Talibé, pas comme dans l’lit d’Johnny Hallyday”, dans ”JDC”. Alors que Booba ne fait que du ”sale”, du ”noir”, Johnny est décrit comme assez peu fougueux.

Un retournement de veste certainement dû à un clash entre les deux artistes qui a eu lieu par interviews interposées. Booba déclarait alors qu’il n’admirait pas sa carrière et qu’il pensait que Johnny n’avait pu réussir sur al durée que grâce à ses fans et pas sa musique. Un de nos rappeurs préférés depuis quelques temps, Swift Guad, voit en cette longévité un cauchemar artistique empêchant le renouvellement de la musique : ”J’annonce le renouveau tout comme la mort de Johnny Hallyday”. On voit bien les deux facettes de cette carrière si longue : d’un côté, certains, comme Zoxea, aimeraient bien pouvoir rapper jusqu’à ”60 Piges”, et d’autres trouvent ça ridicule de continuer à faire de la musique aussi longtemps. Pour d’autres, cette longévité est très pratique, notamment pour séduire les mamans, cibles favorites des rappeurs en manque d’affection : ”J’passerai tuer ce weekend après j’baiserai ta mère, J’lui chanterai ”Si tu savais” comme Jean-Philippe Smeth”, rappe SCH dans ”Anarchie”. L’avantage d’être au top aussi longtemps, c’est qu’on peut plaire aux mamans ! Et même aux mamans de nos mamans, mais SCH ne va pas aussi loin.

Johnny le français

On va passer rapidement sur cette section, car les références sont nombreuses, et elles ne sont pas toutes directes : le rap parle aussi souvent du rock en ne mentionnant Johnny que de manière implicite, ce qui complique le travail de recherche. Toutefois, voilà ce qu’on peut en dire : Johnny, et le rock en général, sont vus souvent comme ”une musique de blancs” (même si c’est faux, comme vous l’apprend l’histoire du rock), quelque chose de ”bien français” et de faussement dérangeant au final car accepté partout, à l’opposé du rap, à qui on ferme les portes des maisons de disques, des banques, et des plateaux télé.

L’exemple le plus ”récent” qui nous vient en tête, c’est encore Booba (décidément, il lui en veut), avec son ”Fuck Liberté, Fuck galité, Fuck Johnny Hallyday”, où Johnny remplace le troisième mot de la devise de notre république. Johnny est donc assimiler à la France, et à ses valeurs hypocrites qu’elle ne respecte pas, en sous-entendant, évidemment, que Johnny serait le représentant de la musique ”bien blanche et bien française” contre laquelle les rappeurs se battent. On ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de penser que la Fonky Family pense un peu à Johnny et ses potes lorsqu’ils écrivent le morceau ”La Résistance” avec e refrain ”FF nique la musique de France’‘. On peut aussi mentionner Sefyu, avec son ”La légende veut qu’on vienne pas déranger, la clientèle d’Sefyu ne doit pas salir un Johnny Hallyday”. Si on n’est pas bien sûrs du sens exact de la punchline, on se rend bien compte que Johnny et les gens qui fréquentent Sefyu (les jeunes des quartiers) ne sont pas censés pas se mélanger.

Johnny le drogué

Évidemment, le côté complètement shooté de Johnny n’a pas échappé à nos rappeurs, bien souvent amateurs eux aussi de substances psycho-actives. Enfin, pas toujours. Car si la fumette a toujours été admise chez les rappeurs, l’usage de la cocaïne, drogue des rockeurs par excellence, vous valait d’être catalogué dans la catégorie ”toxico” et banni de la communauté des vrais gars. Ce n’est que très récemment qu’elle a (malheureusement) fait son entrée en force, d’abord aux USA puis en France. De manière générale, la coke est de toutes façons un truc de riches, qui n’est donc pas trop destiné à nos jeunes des quartiers à la base. On peut mentionner notamment la pucnhline de Zoxea, avec son ”Et quand j’ai trop tisé, j’deviens plus bête que Johnny Hallyday, sous coke et anisé’‘. Johnny et son cerveau ne sont plus, il est vrai, en très bon état après une vie d’abus sur lesquels il s’est plusieurs fois confié.

Despo Rutti lui, mélangera comme souvent humour, thèmes légers et vraies questions sociales : ”Héhé, y a chose-quelque qui m’échappe : y a de la CC sur le zen à Johnny, fumer un p’tit join c’est pas bien méchant”. Il soulève la une vraie question : pourquoi les fumeurs de shit sont si diabolisés par la police et les médias, quand Johnny se pointe en plateau télé à une heure de grande écoute complètement bourré et le nez visiblement bien rempli ? Est-ce parce que les fumeurs de shit ont été associés aux banlieues et donc à une population plus ”colorée’ à laquelle on autoriserait moins de choses ? Ou est-ce juste parce que Johnny, c’est Johnny, et qu’il fait ce qu’il veut ? Quoiqu’il en soit, Johnny est encore vu comme l’incarnation du drogué, figure sous laquelle il apparaît le plus souvent dans notre rap français.

Plus récemment, avec les limites du rap, qui ont sauté, on va probablement voir une recrudescence de punchlines sur la coke et autres, et donc, potentiellement, sur Johnny. La MZ a par exemple fait un morceau qui s’appelle ”Johnny”, et dans le refrain, on peut entendre : ”J’mixe codéine, prométhazine, et quand mon mélange fait effet, j’me sens comme Johnny”. On passe là même à une manière encore plus élaborée de se défoncer, en mélengeant médicaments, sodas et alcool, les cocktails qui font tristement la une de l’actualité funéraire aux USA. On peut également citer Alkpote, avec son ”Oui, j’ai de la frappe dans mon cuir de rockeur, Johnny”, où il ”name-droppe” le nom de Johnny à la fin de son couplet, pour montrer que sa double référence à la drogue et au blouson noir était bien destinée à notre Johnny.

Bonus: Johnny le pyromane

Bon, on va vous faire le plaisir de vous épargner les 2 millions de punchlines qui ont été faites sur le fait que Johnny allume le feu, ou qu’on allait allumer le feu comme Johnny, il y en a beaucoup trop. On va juste se contenter de citer celle-ci: ” Et si j’allume le feu, ce n’sera pas l’même que Johnny Hallyday”, a dit Kalash Criminel dans “Sauvagerie 1”. Dans le 93, quand on allume le feu, il y a des vraies flammes. Prends ça le Rock.

On va juste souhaiter au chanteur qu’il repose en paix, et vous mettre le feat que Johnny a fait avec Stomy et le Ministère AMER. Ne nous remerciez pas, vraiment.

Rémi
Rémi

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