Classique : ”On est encore là” de NTM

Parmi le trois noms que vous citeront n’importe quel français pour parler de rap français, il y aura forcément NTM. Pourquoi ? Car c’est une des identités marquantes du rap français. Un rap révolté, fort en gueule, politisé, et conscient que cette société libérale, où on pousse tout le monde à la surconsommation de tout, ne tourne pas rond. NTM a su alterner les propos hautement politisés, avec d’autres beaucoup plus légers (”Passe Passe le oinj’ ” ou ”La Fièvre”), ou encore des morceaux beaucoup plus introspectifs, incitant à la réflexion sur soi ( ”J’appuie sur la gâchette”, ”Est-ce la vie ou moi”).

En bref, c’est NTM qui a participé à l’explosion de cette culture en France, et le groupe fait partie des fondations de de qu’on connaît du hip hop. Le groupe du 93 a mis un gros coup de pied dans un univers musical français qui en avait bien besoin, et on les en remercie. Des textes au caractère anti-institutions assumé, une présence scénique qui continue de faire des jaloux même aujourd’hui, et, il faut le dire, une belle dose d’intelligence pour résister aux clichés et aux procès d’intention de la part de l’élite intellectuelle française, pas habituée à discuter avec ce genre de trublions sur les plateaux.

Leur insolence leur aura d’ailleurs valu quelques ennuis judiciaires, notamment pour le morceau ”Nique la police’‘, à la suit duquel ils ont été condamnés. Comme IAM l’année d’avant, les MCs du 93 ont décidé de répondre à cette décision qu’ils assimilent à de la censure, sur leur album suivant, ”Suprême NTM”, avec le titre ”On est encore là”, qui nous intéresse aujourd’hui.

Shoot dans l’ordre établi

Dès les premières secondes, le décor se met en place. L’instrumentale stressante du morceau produite par Madizm (un des producteurs avec qui ils ont le plus bossé) annonce que ça ne va pas être la joie dans le moreau, et on ne se trope pas. La première punchline de Kool Shen est assassine : ”Retour en force de l’ordre moral”. Petit flashback historique : l’ordre moral, c’est le régime mis en place par le gouvernement de la troisième république de Mac-Mahon, en 1873, qui remettait les valeurs catholiques au centre de la morale républicaine, niant ainsi 100 ans d’efforts révolutionnaires laïques.

Le but est de faire un parallèle entre le retour de la censure religieuse qui a eu lieu à l’époque, et le retour de la censure qu’ils sont en train de vivre eux-mêmes. Car comme ils le rappellent eux-mêmes plus tard dans le morceau, en rappant ”deux mois de sursis, cinq barres d’amende on est condamnés”, le groupe a été condamné pour une simple chanson, dot le caractère humoristique est d’ailleurs évident, même si le fond est bien agressif comme il faut. Coluche, quand il se moquait des keufs en son temps, n’était pas inquiété, mais NTM ne devait alors pas faire assez partie du fameux ”paysage culturel”, en tout cas pas pour nos élites même s’ils avaient déjà vendu plusieurs centaines de milliers de disques…

Révoltés, les deux MCs vont donc se servir de tout un vocabulaire autour du désordre, pour faire passer le message. Puisqu’on les accuse de mettre le dawa, ils vont en faire un étendard, et cet appel au désordre est présent partout dans le son : ”C’est le bordel quand t’entres pas dans leur panel, j’suis formel”, ou dans le refrain ”Prêt à foutre le souk et tout le monde est ccord-da”.

Hymne à la liberté d’expression

Au final, ce classique analysable sous deux angles : la revendication d’une liberté d’expression totale, d’autant plus quand les rappeurs se content d’énoncer des faits avérés de contrôles au faciès, et la volonté d’évoluer en marge de toute cette merde corrompue, dans laquelle les minorités et les pauvres subissent sans broncher l’oppression de tout un système de pensée. Les rappeurs, qui croyaient vivre au pays des Droits de l’Homme, déchantent : ”Personne n’a oublié : il fut un temps on nous aurait pendu, comme des vendus, des bandits à la langue trop pendue. C’est les honneurs qu’on nous réserve pour la suite, parce que quand je kicke la vérité putain ça se complique”.

Kool Shen, dans son dernier couplet, s’étonne de voir qu’on les condamne eux, artistes, alors que dans le même temps les autorités laissent Jean-Marie Le Pen exposer ses thèses racistes à la télévision, et que le FN commence à exercer des fonctions municipales dans le Sud de la France : ”C’est pas un hasard, ça correspond au climat bizarre, à l’odeur étrange qui émane du côté d’Orange”. S’en suit donc un triste constat : ”la liberté d’expression, laissez moi gole-ri, ils subissent tous des pressions nan c’est pas des conneries”.

Et puisque tout est pourri, NTM va continuer à faire usage de ces ”moyens parallèles”, le rap, pour continuer à malmener la censure. ”On passe pas dans leurs radios, on fera le tour, c’est pas grave, le plus dur c’était de sortir de la cave, et les gens le savent”, rappe Kool Shen dans son premier couplet. Puis, tout à la fin : ”La grande bouffonnerie continue mais j’serais là, c’est pour ça qu’à chaque fois, je ferai la différence, refré là tu sais, je défraie la chronique, pas par plaisir, putain, mais parce que je chronique la vie et ça les met en panique”. Avec ces phases, le MC associe son rap à la recherche des vérités qu’on a pas le droit de dire, et lui donne donc un caractère fondamentalement anti-système. Une posture qui était déjà présente dans les bases du hip hop américain, dans les prémices du rap français (au tout début des 90’s), et qui va le suivre jusqu’à encore aujourd’hui.

Un très bon morceau à ré-écouter, si on veut se rappeler ce que la France a fait à ses artistes. Avec ”Dangerous” de IAM, ou ”Menaces de mort” de Youssoupha, à peu près sur le même thème, preuve qu rien n’a changé plus de dix ans après…

Et en bonus, on vous met  la version remixée par IV My People à l’occasion de la compilation ”Le Clash”. Parce qu’on kiffe le remix.

Rémi
Rémi

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