[Classique] Quand 113 et Doudou Masta te lâchaient un “Truc de Fou” !

On est reparti pour notre petite série d’articles sur tout ce qui est sorti en 1998. Et c’est loin d’être terminé, car comme vous l’aurez compris, cette année avait été particulièrement riche en projets et singles en tous genres, et presque tous ont été marquants pour le rap français. Même si certains l’ont été plus que d’autres. Le premier album du 113, “Ni barreaux, ni barrières, ni frontières” est sorti en février 98, il y a donc un peu plus de 20 ans. Le disque n’aurait probablement jamais connu un tel succès si l’amendement Pelchat, qui impose aux radios de diffuser 40 % de musique française et entré en vigueur 2 ans plus tôt, n’avait pas forcé Skyrock à explorer massivement le rap français.

Mais grâce à cette loi, le rap est directement diffusé à une échelle quasi-nationale (Skyrock n’était pas diffusée partout en France jusqu’à la fin des années 2000), et particulièrement dans un endroit précieux pour le 113 en terme de “cible” : les quartiers sensibles. Car 113 propose du rap de banlieusard, un peu voire même carrément voyou sur les bords, affirmant que ce rôle ils ne l’ont pas choisi. Car comme le disait leur grand pote Kery James, “La Haine, je n’suis pas né avec et ça je l’revendique”. Le groupe en provenance de Vitry-sur-Seine, composé de Rim’K, AP, et Mokobe, adopte la posture des voyous par défiance, et aussi parce que ça reflète un peu leurs vécus respectifs, perdus au milieu des trafics du 94.

Si on a choisi de se pencher plus particulièrement sur le morceau “Truc de Fou”, c’est parce qu’en tant que single, il a été très largement diffusé à la radio, et a donc eu un impact considérable lors de sa sortie. Les succès que le groupe connaîtra après ça n’auraient sans doute pas été possibles sans ce single. Et ce, même si Mokobe est absent sur ce morceau, laissant sa place à Doudou Masta. Plongeons dans ce classique intriguant et assez représentatif de l’état d’esprit 94 à l’époque.

113 arrive

On observe avec nostalgie cette époque où les morceaux servaient aux rappeurs à se présenter. Aujourd’hui, les codes du game semblent obliger chaque rappeur qui arrive à se définir comme meilleur que les autres, plus forts, plus vrais que les autres, sans avoir pris le temps de nous dire qui ils sont eux-mêmes. Une démarche un peu illogique dans laquelle le 113 n’est pas tombé. Ils préfèrent plutôt nous immerger directement dans leur univers : ” Ça se passe à Vitry-sur-Seine, truc de fou, truc de dingue, là où les soirs c’est la même, on parle d’argent et de flingues”, et se décrivant comme “Les Grandes Gueules de Camille Groult star”.

Et c’est vrai, que ce soit AP, Rim’k, ou même Doudou Masta qui vient du même endroit, les 3 ont l’air d’avoir une grande gueule. Et n’hésitent pas à l’ouvrir, surtout pour verser un peu dans l’egotrip, se faisant passer pour les parrains de Vitry, ceux que tout le monde connaît, qui sont dans tous les coups : “On s’en fait plus pour les familles au pays, Je suis devenu tellement big, que je pourrais finir maire de Vitry”, ou encore, “Finie, la galère, j’minquiète plus pour mes affaires judiciaires, et avec mes frères on se prépare un avenir prospère”, rappe les deux rappeurs dans le premier couplet.

Et tout ça, avec une ambition sans limites de la part du 113. Ils veulent renverser le système en place, par tous les moyens. Foutre un énorme bordel, révéler les dessus des cartes, et c’est grâce à leur folie et ce “truc de fou” qu’ils véhiculent qu’ils espèrent y parvenir.

La folie des banlieues contre le pouvoir

C’est sur cette association entre les voyous et le pouvoir en place qu’on va s’attarder ici, ainsi que sur la folie des 4 artistes du morceaux : Rim’K, AP, Doudou Masta, et… le grand DJ Mehdi. Pour résumer, les politiciens et les chefs d’entreprises sont des voyous, qui eux ne s’assument pas, contrairement à nos lascars du 94 qui se romancent un vécu de chef de cartel à l’influence illimitée : “Contrebande d’alcool pour fournir les députés qui picolent, et avec les célébrités, on passera des nuits folles, Les juges bosseront pour nous et on sortira nos frères de taule”. Et la police est de la même race : ” Et si la BAC passe, donne leur un bon 10 sac, ne cours plus pour être tranquille, faut leur graisser la patte”. Chaque punchline qui encense le mode de vie voyou est presque immédiatement suivie d’une référence au “système en place” et à ses représentants. Comme si on vivait plus dans une voyoucratie qu’une démocratie.

Cette volonté de déranger, encore un peu implicite, est bien affirmée dans le deuxième couplet, un peu à la manière de Fabe dans “L’Impertinent“. Ici, les MCs rappent “Moi j’fais partie des gens qui posent gros problèmes à l’Etat”, ou encore “on fera des révélations dans tous les médias, des putains d’scandales qui inquiéteront tous les chefs d’Etat, on a décidé d’faire tomber tous les hauts placés, ainsi que tous les escrocs qui sont en planque à l’Elysée”. Pas de fioritures, pas de messages subliminaux, pas de chichis : 113 s’attaque au pouvoir avec des mots clairs, simples, et efficaces.

On va terminer en parlant de la folie, thème important puisque ce morceau est un “truc de fou”. Cette folie s’exprime de plusieurs manières : déja, par la violence des attaques contre le système, insinuant qu’ils sont tous corrompus du sommet (patrons, politiciens) à la base (police). des attaques osées, lorsqu’on connaît les problèmes qu’ont eu IAM et NTM avec la justice quelques années avant. Mais surtout, c’est le refrain et le couplet de Doudou Masta et l’instru de Mehdi qui nous ont mis sur la piste : du trash, de la violence gratuite (“J’te braque même pour du toc”, et une posture de gars anti-système incontrôlables, c’est finalement les codes du “Rap de Fou” US qui sont ici repris dans cet egotrip : Ol’Dirty Bastard, Onyx, Cypress HillCNN, ces mecs qui ont tous l’air un peu fêlés et menaçants (peut-être surjoué parfois, mais pas pour ODB). Bref, un cocktail parfait, pour un morceau qui arrive pile au bon moment dans notre rap français pour préparer l’explosion de toute l’école du 94 pendant les 5 / 10 années qui vont suivre !

Rémi
Rémi

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