Classique : quand DJ Mehdi, Intouchable et Rohff rappaient “A l’ancienne”

Les producteurs, beatmaker et Dj ont une reconnaissance contrastée dans l’Histoire du rap. D’abord vus comme des icônes aux début du rap, dans les années 70 (Herc, Flash, etc…), ils ont petit à petit perdu e importance au profit des MCs, même si certains, comme Dr.Dre, P.Diddy ou Timbaland, ont réussi à rentrer dans la légende tout de même. Aujourd’hui, la situation est plus complexe: la tendance générale semble être au retour sous les projecteurs de ceux qui fabriquent les instrus, notamment dans la presse hip hop. Mais pour ce qui est des faits, les producteurs restent bien souvent dans l’ombre des rappeurs, alors que l’instrumentale est, aujourd’hui plus que jamais, capitale pour qu’un morceau de rap fonctionne.

En France, on n’a jamais eu une énorme reconnaissance envers ceux qui font des instrumentales, à part quelques rares exceptions. DJ Mehdi en fait partie. A vrai dire, il est même dans le cercle très fermé de ceux qui font l’unanimité, partout. Un véritable génie de la musique qui a participé à l’une des aventures les plus belles et emblématiques du rap français: la Mafia K’1 Fry. Sa patte est reconnaissable entre mille, via notamment la diversité des influences, les rythmes plus punchy et les mélodies presque electro très inhabituelles.

C’est aujourd’hui sur un des sons qui ont constitué cette grande épopée qu’on va se pencher. Le morceau s’appelle “A l’ancienne”, et ses interprètes sont le groupe Intouchable, composé de Dry et Demon One, Rohff, et Flev 15, moins connu que ses trois camarades mais qui ne démérite pas. Aux manettes, c’est évidemment le grand DJ Mehdi, et ça va nous donner une chanson qui a à la fois 10 ans d’avance, et 10 ans de retard, lorsqu’elle sort sur l’album d’Intouchable, “Les points sur les I” en 2000. Avec un ambiance inimitable et une manière de rapper si particulière à nos gars du 94.

Rohff, Intouchable: nostalgiques avant l’âge

Il y a quelque chose de très “années 80” dans la manière de rapper des artistes présents, en particulier Demon One et Rohff. Voire même années 70. Ils rappent en rythme, mais presque sans forcer leur voix, et on a l’impression qu’ils nous parlent. De quoi? De leur histoire, de leur légende. Le morceau s’appelle “A l’ancienne” parce qu’il raconte que ça fait longtemps que tous ces gars se connaissent, se fréquentent, font les 400 coups ensemble. Ils nous parlent surtout de la manière dont ils sont arrivés dans le rap, de manière très simple et très descriptive : “C’est dans les caves de la cité, Qu’j’ai commencé à composer mes premiers textes, À l’époque j’ai débuté avec M.S, Puis s’est formé le Intouchable, Dans les bas-fonds à Jacques Cartier”. Un peu de name-dropping, et surotut, du story-telling sur leur propre histoire de la manière la plus descriptive possible, sans enjoliver spécialement les phrases, ce qui ne nous empêche pas de parfaitement comprendre où ils veulent en venir.

La Mafia K’1 Fry s’est construite ainsi: en écrivant sa propre légende urbaine, en racontant leurs exploits dans la rue, puis la manière dont très vite ils se sont rencontrés, fréquentés, ont tissé des liens forts et ont sorti de toutes ces expériences des morceaux de rap mythiques, qui sentaient la rue comme rarement auparavant. La débrouillardise était leur maître mot dans tous les domaines, et ils sont déjà nostalgiques de cette époque des 400 coups, alors qu’ils n’ont qu’une vingtaine d’années quand ils rappent ces paroles: “À l’ancienne on kiffait trop, Dès qu’on avait l’studio, on allait à la radio, Avec l’équipe et les potos”. Les couplets sont les plus minimalistes possible, très peu de figures de style, très peu de “technique pure”, juste un rap brut et donc forcément authentique.

Les couplets sont donc assez “classiques” dans leur style: représenter les gars du coin, nommer tous les potes avec qui ont a commencé, pour bien illustrer que cette percée dans le rap n’est pas le fruit du hasard, qu’ils y ont vraiment leur place et qu’ils sont portés par les gens de chez eux. Rohff détonne avec son flow un peu plus agressif et quelques belles punchlines. Les paroles ne sont pas forcément légendaires, ce ne sont pas les plus belles de ces 4 rappeurs. Mais leur manière de poser sur cette instru complètement folle , ça, c’est unique.

DJ Mehdi, 10 ans d’avance

En fait, si ce morceau est très bon, c’est presque uniquement grâce au talent de DJ Mehdi. Attention, c’est difficile de rapper sur une telle instru, la performance des rappeurs est donc respectable, mais n’importe quel couplet bien posé sur une telle instrumentale sera forcément bon. Cette manière de superposer les samples, les percus, quelques sonorités electro, des petits morceaux de funk, de jazz, de disco, des influences tellement multiples qu’elles font de cette instru un bijou unique presque comme chaque prod de Mehdi.

Ce contraste entre le comportement très nostalgique, très “à l’ancienne” des rappeurs, et la maestria de DJ Mehdi, intemporelle voire même futuriste, rend ce morceau assez incroyable, un petit OVNI pour l’époque, sans qu’il fasse tant de bruit que ça commercialement parlant. Cette manie de piocher des idées à gauche et à droite est la marque des plus grands. Le hip hop s’est toujours nourri d’influences extérieures, et chaque DJ marquant du rap aura réussi à introduire de nouveaux éléments. Pour Mehdi, c’est cette polyvalence, cette connaissance de la musique, qui fait de lui un beatmaker de légende, qui a contribué à donner ses lettres de noblesse à une scène rap française pourtant assez hardcore en général.

Cette fusion entre le rap et l’electro semble, lorsque ça vient de lui, couler de source, et c’est encore le cas sur “A l’ancienne”, comme ça l’est aussi sur “Les Princes de la Ville” ou beaucoup d’autres. A chaque fois, ça donne à ses chansons un côté musical supplémentaire, à la fois planant et énergique, aérien. DJ Mehdi a fait de la musique urbaine son domaine de prédilection, et ses morceaux semblent vraiment capturer un petit morceau de l’âme des villes pour nous la mettre dans les oreilles. Lorsqu’on l’a perdu, en 2011, le hip hop a perdu l’un de ses plus grands “diggers”, un de ceux qui aime creuser chez le disquaire pour trouver le sample parfait, et un de ses plus grands connaisseurs de musique. Une perte d’une valeur inestimable…

Rémi
Rémi

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