Si il est toujours bon de patienter un peu avant de décréter que tel ou tel disque est un classique ou un incontournable, tous les grands disques de rap français ne sont pas sortis dans les années 90. Et heureusement, sinon on tournerait en rond sévère…. Si un “Âge D’or” a effectivement eu lieu dans ces années là, ça n’a pas empêché les artistes de rap français de s’appuyer sur les bases solides posées par les glorieux anciens, pour proposer des morceaux et des projets d’une pertinence’, d’une sincérité et d’une qualité rarement atteinte auparavant.
Flynt fait partie de ceux là, ceux qui sont montés dans le train autour des années 2000 et ont marqué ce nouveau millénaire avec une oeuvre remarquable. Pour le rappeur du 18ème arrondissement de Paris, cette oeuvre s’appelle “J’éclaire ma ville”, un album de 15 titres bien denses sorti en 2007, qui renferme pépite sur pépite. C’est bien simple : chaque morceau est, au minimum, bon, et au mieux, très très costaud, avec par exemple “Retour aux fondamentaux”, “Comme sur un playground”, ou “Tourner la page”.
En ce qui nous concerne, on va s’intéresser au titre classique “Ça fait du bien de le dire”. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons, notamment la grogne sociale qui a lieu en ce moment en France, et qui rejoint par moment le ras-le-bol exprimé par le rappeur sur ce morceau. Mais aussi parce que Dinos Punchlinovic a sorti un morceau (“Les Pleurs du mal”) où il fait référence au titre de Flynt. Et ça n’est pas le seul : Flynt a considérablement influencé tout le nouveau rap parisien, en particulier les mecs de l’Entourage, mais aussi d’autres rappeurs plus underdground, preuve que son projet s’est largement diffusé et a marqué le rap game. On va essayer de comprendre pourquoi.
Un grand doigt d’honneur
A force de dénoncer les mêmes problèmes sans être écoutés pendant 20 ans, les rappeurs français ont vite commencé à en avoir ras le cul, en voyant l’inaction des pouvoirs publics, la misère qui augmente dans les quartiers. Et ça débouche sur la fameuse mentalité “allez vous faire enculer” : en gros, on vous a prévenu, une fois, deux fois, trois fois, maintenant c’est terminé, le fossé entre vous et nous est définitif. On n’y croit plus, ni en vos promesses électorales, ni en votre République. “On est là à vivre, avec trois fois rien ou sur la paille, la police a du travail, mais elle en aura toujours autant”, car “la politique noie le poison dans la plaie, remue les couteaux dans l’eau, dans l’injustice ne naîtra jamais la paix”. Flynt a mis le doigt sur une évidence qu’il est bon de rappeler : pas de justice, pas de paix, et la société française est de plus en plus injuste et inégalitaire. D’où les frustrations, et les “explosions de violence”, en 2005, après lesquelles il commencera à écrire son album.
Flynt a donc sorti la mitraillette pour vider le chargeur de sa rage sur l’instrumentale, et même s’il passe parfois du coq à l’âne, on comprend exactement où il veut en venir : “côté bavures, on a jamais vu autant d’action, comme les revenus d’un élu, c’est toujours en augmentation”. Et même quand il passe comme ça d’un sujet à un autre sans rapport apparent, on peut en trouver un : plus les inégalités se creusent entre les élites et le peuple, plus le peuple est mécontent, et plus la police est obligée d’employer des méthodes violentes. Plus qu’un dégoût, Flynt n’est pas loin d’éprouver de la résignation, tant il pense que tout est bloqué : “Que la société n’attende pas de profonde mutation, quand le peuple est malade, ils soignent leur réputation, ils revoient à la baisse les budgets les ambitions les postes les salaires dans le social l’éducation”.
Rien n’est près de changer puisque les dirigeants font tout pour que les gens les plus pauvres soient de plus en plus pauvres et mal instruits, ce qui les laisse sans armes pour tenter de grimper dans cette société. Derrière les lignes de Flynt se cache donc une critique de la société française, et plus largement de son mode de fonctionnement neo-capitaliste, avec des politiques sécuritaires et d’austérité qui causent de plus en plus de frustrations. D’autant que les scandales politico-judiciaires s’accumulent : “mêlés dans des scandales, ils voudraient nous donner des leçons, ils nous laissent face au mur de l’administration, pour les pauvres la justice avance en fond de cinquième, en première pour les riches, et les représentants de l’Etat s’en sortent indemnes”. Une société profondément en proie à l’injustice donc, que Flynt dénonce sous toutes ses formes (sociales, financières, devant la loi, etc…).
Flynt, l’amour du beau rap
Si le morceau est un classique, ça n’est pas forcément pour sa dénonciation de problèmes que d’autres rappeurs ont déja abordés avant lui. Mais plutôt parce que Flynt y exprime tout son amour du beau rap, de manière explicite (en parlant de ça), et implicite, en utilisant des figures de style assez poussées sans en avoir l’air. La prod de DJ Dime, samplée sur “I Love The Way You Love” de Willie Hale est une preuve supplémentaire. Flynt est un esthète du rap, et il le montrera sur tout son album. Et évidemment, il en veut à l’industrie : “ça fait surtout ouvrir les porte-monnaies des moins de 15 ans, ils sortent des disques à Noël qui seront fanés au printemps”.
Le rap de Flynt, lui, est voulu comme intemporel, pendant que les autres font de la musique “du moment” qui sera sortie des esprits dans 6 mois. Ce qui compte, c’est la fameuse première semaine de vente, et ça c’est accentué aujourd’hui. D’où ses paroles militantes : “Je dis que l’avenir de cette musique doit revenir aux amateurs, il faut la reprendre des mains d’un programmateur, ta playlist est truffée de mauvaises prestations, des pickpockets sont susceptibles d’agir dans cette station”. Avec un joli double sens du mot “station”, et une référence au message diffusé dans certaines stations de métro parisiennes. Comme au début de son premier couplet: “l’île de France est une carotte parce qu’il y a pas la mer”. Toujours un petit jeu de mot glissé quelque part, un double sens, une opposition (“peuple malade”, et politiciens qui “soignent leurs réputations”), une inversion (noie le poisson dans la plaie, remue le couteau dans l’eau), des références, bref, Flynt aime faire du beau rap, technique, qui rime, avec des figures de style, des messages : du rap pour écouter avec son cerveau.
Flynt s’engage jusque dans son rap, en montrant à tout le monde que ça n’est pas parce qu’on vient des quartiers, qu’on fait du rap, qu’on est forcément un mec qui ne comprend rien, ou ne s’intéresse pas aux enjeux qui nous concernent. Au contraire, si on choisit de ne pas jouer le jeu de cette société française, c’est parce qu’on a compris que les cartes étaient truquées dès le départ. Flynt va donc essayer de survivre en faisant le bien autour de soi, appeler les frères à se réveiller et à s’entre-aider, pour s’élever. Cet appel est passé de manière apaisante et non violente : “y a plein de raisons de dire que c’est hardcore ici, mais je n’admire ni la violence ni ceux qui la glorifient, qu’elle soit physique ou morale, mafieuse ou policière, racailleuse, sociale ou raciste elle prolifère”. Cette société de la violence, Flynt la rejette, sous toutes ses formes, car la violence appelle la violence, c’est bien connu. A l’écoute de ce morceau, on comprend mieux pourquoi il a marqué tous les rappeurs parisiens : le MC est sincère, authentique, et il rappe avec une maîtrise rarement égalée depuis des choses qui touchent les gens. Et c’est donc forcément un classique.