Pone : “Tout est possible et j’ai eu envie que le monde entende ça”

Avec l’artiste, portons un regard plus approfondi sur Kate & Me, l’album solo de Pone, entièrement composé, réalisé et mixé avec ses yeux.

On l’appelait “l’architecte du son”. Ancien producteur de la Fonky Family, Pone, Guilhem Gallart de son vrai nom a vu sa vie basculer en 2015, lorsqu’on lui a diagnostiqué la maladie de Charcot, également appelée sclérose latérale amyotrophique (SLA). Pour les Nuls, il s’agit d’une pathologie lourde et malheureusement incurable, qui s’attaque progressivement aux neurones, et ce jusqu’à entraîner une paralysie totale du malade.

Présagé mort par ses médecins, sa volonté de fer et l’amour des siens lui ont permis de se raccrocher à la vie. Aujourd’hui alité et sous respirateur artificiel, Pone est au stade final de sa maladie et il ne lui reste plus que ses yeux. Non pas pour pleurer, mais pour communiquer via un ordinateur et raconter sur son site Internet, La SLA pour les Nuls, “qu’une autre vie est possible malgré la maladie“. Donner de l’espoir aux malades, tel est son principal cheval de bataille. Ça et la musique bien sûr.

Je n’avais jamais vraiment pensé pouvoir refaire de la musique un jour, mais c’est clair que quand j’ai vu que j’en étais capable, j’ai immédiatement sauté sur l’occasion et je n’ai rien lâché“.

Pone

Les coulisses d’une conception hors du commun

De ses espoirs, sont justement nés de grands projets, puisqu’en janvier 2019, l’architecte du son a repris du service. Après avoir publié quelques morceaux sur sa chaîne Youtube, il ne tarde pas à afficher de bien plus grandes ambitions. C’est le 13 septembre 2019 qu’il balance sans crier gare, Kate & Me, un premier album instrumental de sa conception, entièrement composé, réalisé et mixé avec les yeux. “L’idée de faire un album m’est venue fin juin et j’ai attaqué immédiatement. J’ai eu envie que le monde entende ça, explique l’artiste. “Au début, l’idée de travailler sans personne qui rappe ou chante sur mes sons n’était pas dans ma tête, puis finalement, ça m’est venu. Pour ce projet, je souhaitais ne rien demander à personne artistiquement”.

La prouesse technique est réelle, puisqu’il s’agit du premier album de l’Histoire élaboré de la sorte. Et gratuit qui plus est. “Pour construire cet album, j’ai utilisé Ableton live, un logiciel de production musicale classique. En travaillant avec les yeux, je mettais environ 4 /5 jours à créer un morceau en comptant le mix et les arrangements, ce qui est de loin le plus long. Au total, j’ai mis environ un mois et demi pour le finir”.

Pone a beau pratiquer et maîtriser la production musicale depuis bientôt 30 ans, reprendre le même procédé qu’à l’époque en ayant perdu l’usage de ses mains n’est pas toujours une mince affaire. Il doit prendre en compte certaines contraintes dues à sa maladie. Il explique : “en fait mon problème, c’est je n’arrive plus a cligner des yeux, que ce soit volontairement ou involontairement, c’est très rare, mais ça arrive dans la maladie de Charcot. À part ça, ça va, c’est pas la mort. Un soin des yeux et ça repart !”

Bien qu’il ait perdu l’usage de son corps, constatez que le producteur n’a rien perdu de sa fougue d’antan : ” j’attaquais vers 14 heures jusqu’à minuit environ, avec des petites pauses au milieu bien sûr. Quand je suis motivé, je ne compte pas les heures. Ça, ça n’a pas changé. Puis quand j’y pense, que je fasse de la musique ou pas je fais toujours un truc”. “Can’t Slow Down” comme il dit.

Kate & Me, l’histoire personnelle d’un amoureux de la musique

En écoutant Kate & Me, ne vous attendez pas à retrouver le Pone de la Fonky Family. “Je pense forcément avoir changé, quand on change drastiquement de méthode de travail, le produit change“, explique-t-il.
S’il ne renie évidemment pas son héritage passé, cet album est avant tout centré autour de Kate. Comprenez, l’auteure-compositrice-interprète britannique Kate Bush, pour qui l’artiste voue une profonde admiration. “Elle est très inspirante et je suis à des années-lumières de son talent. Sa musique représente tout ce que j’aime, la profondeur, la beauté, la singularité, l’émotion et l’innovation“.

https://www.youtube.com/watch?v=BW3gKKiTvjs

Pour illustrer tout ça, Pone lui dédie son album, mais surtout le premier morceau “It’s Me Cathy”, en étirant un sample de son titre “Wuthering Heights”, sorti en 1978. “J’ai trouvé que la façon dont elle disait “Its me Cathy” dans son morceau avait quelque chose de profondément hip-hop, et que ça irait bien avec Biggie. Aussi, il faut savoir que c’est elle qui a utilisé le premier sampler, donc on est forcément liés”, affirme l’artiste. Forte du début à la fin, cette introduction lance le projet en fanfare avec un feu d’artifice sonore. Un véritable spectacle durant lequel le beatmaker clame haut et fort son retour triomphal aux machines. Il faut que Kate Bush entende ça. Où es-tu Cathy ?

“La musique est sûrement le meilleur moyen pour raconter une histoire, et c’est aussi une façon de donner du sens en plus”. A elle seule, cette phrase de Pone illustre parfaitement la trame musicale de l’album. Pas besoin de mots pour savoir où l’artiste veut nous emmener. Ses compositions et son utilisation des samples parlent pour lui. Il en découle une ambiance onirique qui nous transporte à chaque écoute. Tout cela n’est que le reflet de son histoire : celle d’un homme frappé de plein fouet par la maladie, mais qui en quelques années, est parvenu à faire le deuil de son corps.

Chacun des titres de l’album fait en effet écho à un moment de sa vie, quelque chose ou quelqu’un qui compte pour lui. Pour l’exemple, il se pose en père aimant dans “Wake Up Naila”, s’affirme en mari reconnaissant dans “You and Me” ou encore dans “We”, il se veut gratifiant envers ceux qui sont restés autour de lui. Il a également gravé dans les samples, son passage charnière en réanimation dans le morceau ‘Breathing -ICU”.

Depuis, Pone a pris de la hauteur pour s’échapper dans ses rêves musicaux. Désormais privé de son enveloppe charnelle, il est pourtant heureux, épanoui et “Loin de tout ça”. Non pas uniquement de sa maladie, mais de tous les tracas de la vie quotidienne. Quelle leçon il donne : il se contente de l’essentiel, de ceux qui font son bonheur, et affirme vouloir faire de la musique pour son plaisir personnel. “Faire de la musique me rend heureux, mais quand je fais du son, je ne cherche pas à montrer ou démontrer quoi que ce soit. C’est un plaisir hyper égoïste pour moi. Je veux juste jouer”. Fort bien Pone, joue, fais de la musique et continue de nous faire rêver.

Kate & Me est une fête

Pour fêter l’événement comme il se doit, Pone, avec l’aide de son épouse, organisait il y a quelques semaines, la release party de Kate & Me. Bien sûr, sa famille, ses proches ainsi que quelques-uns de ses collaborateurs étaient au rendez-vous à son domicile proche de Toulouse. Les sourires se mélangent, chacun se relaie dans la chambre de l’artiste pour discuter avec lui, et tous les invités se donnent le mot pour signer un poster géant arborant la magnifique cover du projet.

Après le repas, c’en est suivi la traditionnelle session d’écoute de l’album via un mix soigneusement concocté par DJ Sims et Snatch. Le tout agrémenté de quelques mots sincères de sa femme. De cette soirée conviviale et riche en émotions animée par le meilleur des backeurs Gabriel Gaye, Guilhem en a partagé des images, afin que ce moment reste à jamais gravé dans les mémoires.

“Cette soirée, c’était vraiment beaucoup de plaisir pour moi. Voir tout ces gens autour de moi s’amuser c’est génial”, confie Pone. “Au-delà de ça, j’ai tellement de témoignages incroyables de gens qui ont écouté l’album et c’est extrêmement touchant. Je n’ai qu’une envie, c’est que le monde écoute ça. Le monde et surtout les gens que j’aime. Leur donner du plaisir, qu’ils voient que je suis belle et bien là, les rendre fier, c’est extrêmement important pour moi”.

En conquérant, Pone n’a jamais perdu sa première motivation à savoir “être le meilleur sans me prendre pour le meilleur”. Humble, des projets, il en a plein d’autres sur le feu : entre les clips issus de Kate & Me, l’adaptation en livre de son site Internet, La SLA Pour Les Nuls, ses livres de recettes, ses histoires pour enfant et sa musique, il n’a pas fini de faire parler de lui. “Ce n’est que le début“, écrit-il avec des étoiles dans les yeux.

Jérémie Leger
Jérémie Leger

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