Quand Oxmo en remettait une deuxième couche avec “L’Amour Est Mort” ! [Classique]

Le deuxième album est une épreuve compliquée pour les rappeurs, peut-être plus que le premier. Car souvent, pour le premier, on se livre sans trop faire de calculs. On travaille, on a l’appréhension de savoir si le public va adhérer, mais on n’est pas encore dans une logique de “ne pas décevoir les fans”, tout en cherchant évidemment à toucher plus de monde. Le premier album, en rap, c’est souvent le plus brutal, le plus authentique. Mais le deuxième album, c’est une autre affaire, surtout si le premier a été un véritable bijou encensé par les critiques musicaux de l’époque.

Car sur le deuxième, vous devez, au minimum, confirmer. mais comment livrer quelque chose de qualité équivalente à un bijou qui figure parmi les plus grands disques jamais rappés ? Oxmo Puccino a eu à affronter ce genre de questions, après un “Opéra Puccino” qui a marqué les esprits et le rap game (même s’il a mis longtemps à devenir disque d’or. Mais à l’époque ça n’était pas 50 000…) en 1998. Un projet culte, avec un duo de producteurs au top (Dj Mars et DJ Sek), quelques feat bien sentis (notamment le classique avec Lino), bref, une des versions possibles de l’album parfait de rap français, à l’époque.

Mais Oxmo est un homme de challenge et d’excellence, il ne s’est donc pas arrêté là, et a enchaîné sur un deuxième projet solo, “L’Amour est Mort”, sorti en 2001. Un projet attendu au tournant, comme tous ceux des MCs issus de l’école Time Bomb. Et pour à la fois satisfaire son public, et l’étonner, Oxmo a décidé de se couper de sa principale force : ses textes. Ox’ a en effet décidé de ne pas écrire ses textes, et de les rapper uniquement de tête, comme Biggie en son temps. Un procédé risqué ? Pas tant que ça quand on a l’aisance, la maîtrise, le vocabulaire et le flow de Mr. Puccino. Plongeons nous donc un peu dans ce deuxième album, sorti il y a 17 ans maintenant.

Le génie est toujours là

Qu’on se le dise franchement, le génie a également opéré sur ce deuxième opus, et l’obstacle des textes non écrits ne semble pas vraiment en être un. On aurait pu croire que le fait de sortir directement les mots de sa tête allait appauvrir le rap du MC parisien, mais il n’en est rien. La grammaire est juste simplement plus libre, et les phrases un peu plus déstructurées, mais ça donne à tout ça un côté très personnel, et surtout assez unique. On l’entend assez facilement dans “Demain Peut-être” ou “Quand j’arrive”, dans lesquels il oublie volontairement des mots par exemple : “Est-ce que t’écouteras ce disque seize piges?”, tout ça pour créer un rythme particulier, et aussi pour accrocher à l’oreille de l’auditeur.

L’ambiance est globalement beaucoup plus sombre sur cet album que sur le précédent, qui était pourtant déjà pas mal désabusé dans certains titres. Mais tout en étant beaucoup plus sombre, il est surtout beaucoup moins “gangster”. L’époque “Black Mafia” où Oxmo Puccino jouait les mafioso aux côtés de Pit Baccardi, ou des autres de Time Bomb, est désormais révolue, même si le rappeur aborde toujours quelques thématiques assez thug, comme sur “Enterrement” avec Dany Dan, ou encore “S’13 6,35”, “Guerilla” ou “Boule de Neige 2001”. Mais loin des trips de gangster international comme dans “Pucc Fiction”, ici, on a un regard plus honnête, plus humain, plus désabusé, sur la montée de la violence dans la société, et notamment entre jeunes des quartiers.

En même temps, dès le titre de l’album, Ox’ nous avait prévenus : “L’Amour Est Mort”. Cet amour est un des thèmes centraux du projet, abordés de manière hyper originale sur le morceau éponyme, ainsi que “Le Tango De Belles Dames”. Un thème auquel Ox’ s’attachera d’ailleurs aussi dans ces albums suivants. En grand amoureux des femmes, il nous parle d’infidélité, mais aussi du regard des autres, et de la beauté des dames, avec en creux, la dénonciation d’une société où tout, même les rappeurs amoureux, sont basés sur l’apparence et la “consommation”, dans tous les sens du terme. On résume un peu peu, mais c’est ce qu’on voit ressortir de ce projet, à travers les titres déjà cités, ou “Le Laid” par exemple.

Un peu inégal

Sur cet album, ce sont Oxmo et Dj Sek qui se chargent exclusivement des prods, à l’exception de “Les Raisons Du crime” où on retrouve également DJ Mars. Pourtant, le projet n’est pas spécialement cohérent au niveau des prods, avec des ambiances plus “récentes” ou “osées comme “Le Tango Des Belles Dames”, qui en côtoient d’autres plus anciennes ( celle de “S’13 6.35” par exemple). D’ailleurs, ça se traduit également au niveau des morceaux de manière globale : certains sont de bons morceaux, mais assez anecdotiques (“Premier Suicide”, “Antidiplomat”, quand d’autres sont carrément géniaux : “Boule de Neige 2001”, “Impasse Désillusion” (le morceau caché à la fin du projet), “J’ai Mal au mic”, “Le Laid”, “Le Tango des Belles Dames”.

On a aussi droit à quelques passages beaucoup plus joyeux, comme “Ghetto du Monde”, dans lequel il chante la gloire de la vie de quartier : “des gens bien, sous des sales masques, mais on reste dignes”, avec un sens de la formule très efficace. Il force un peu plus le flow dans “Fais-le pour moi”, pas forcément le plus réussi, mais on a aussi quelques moments un peu moins lourds dans l’album. Si on veut être honnêtes, on est un peu obligés d’admettre que ce rap spontané, sans passer par la feuille, a un peu enlevé à Oxmo son côté “jongleur avec les mots” qui lui avait réussi jusqu’ici, mais au final, on trouve que ce côté parfois plus direct fais aussi beaucoup de bien.

Finalement, on a un projet qui est plutôt très bon, même s’il continuera certainement longtemps à souffrir de la comparaison avec “Opéra Puccino”. Le ton est certes plus sombre, mais en même temps, on trouve que ce projet véhicule un peu plus d’émotions que le précédent, plus basé sur le story-telling. Si Oxmo est toujours un fabuleux conteur d’histoires (“Boule de Neige 2001”, encore une fois), il arrive surtout, par l’alliance entre ses intonations, et ses prods, ses paroles directes, à véhiculer de l’émotion. Finalement, c’est à ça que sert un album de musique, n’est-ce pas? Alors on vous laisse vous remettre en tête ce très bon album d’Oxmo Puccino ! Et on lui souhaite un joyeux anniversaire (une semaine en retard), il n’a pas pris une ride.

Rémi
Rémi

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