Quand Tandem, Dadoo et Busta Flex faisaient du rap un “Sport de “Sang”

Le rap français a vu naître de nombreux projets qui ont marqué son histoire, notamment de nombreux albums,mais pas seulement: les compilations ont joué un très très gros rôle dans la popularisation du rap en France, et certaines sont devenues vraiment classiques. On peut citer par exemple “Time Bomb Vol.1”, ou encore “L.432” évidemment, ou même “Première classe” dont le premier volume est rentré dans la légende. Parmi toutes ces compils, on trouve également “Mission Suicide”. Souvent, ces compilations sont à l’origine lancées par les labels qui veulent rassembler sur un CD tous les rappeurs ayant travaillé avec leurs équipes.

Pour “Mission Suicide” la compilation qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le tandem “Kilomaître” qui est à la prod, composé de Tefa et Masta. Les deux sont assistés par Eben, le rappeur / producteur du groupe 2 Neg’. Sortie en 2001, la compilation est l’endroit où viennent se révéler de nombreux talents comme Sinik et Diam’s, un peu avant leur explosion, mais aussi Tunisiano, Princess Aniès, Tandem, et des plus anciens comme Lino ou les 2 Bal 2 Neg. Un casting 5 étoiles qui a produit quelques morceaux cultes, dont “Sport de Sang”, sur lequel on va se pencher.

Sur le morceau sont réunis Dadoo, appelée encore Dad PPDA à l’époque, le Toulousain membre du KDD, qui a déjà bien dix ans de rap et freestyles dans les pattes à l’époque. On retrouve également Busta Flex, au sommet après la sortie de ses 3 projets en 4 ans, mais aussi Tandem, un jeune groupe du 93 alors pas tellement connu mais qui sont de futurs grands du Rap. Un mélange de générations et d’écoles, qui va donner un morceau assez fou, sombre, dense, où l’urgence dégouline à chaque ligne.

Avalanche de références

Si le son est un classique, c’est parce qu’il est un peu l’initiateur d’une certaine manière de faire des instrus, de voir le rap, qui a beaucoup conditionné le rap des années 2000, surtout au début. Le son est une petite avalanche de références, dans les textes et aussi dans l’instru, à l’univers du rap et la manière dont ils veulent que leur musique soit vue. Et comme tous affirment faire du “rap hardcore” sans concessions, brutal authentique, c’est surtout l’urgence qui transparaît dans ce morceau : la nécessité urgente que le message qu’ils portent soit entendue, la nécessité urgente pour eux de faire des sous avec le rap, bref, ils ont la dalle.

Et ça s’applique aussi à Kilomaître, qui sont des producteurs dont la côte monte, mais qui ont évidemment envie de plus de reconnaissance eux aussi. Ils vont l’acquérir par la suite, notamment en produisant les albums de Diam’s ou Tandem. En attendant, ils “scratchent la rue” sur ce morceau, avec des samples de Lino et la FF (“Atmosphère Suspecte”), de Sniper (“Sniper Processus”), de Shurik’n (“Samouraï”), de Busta Flex et Zoxea (“La Ruée vers le Roro”), et quelques autres également. Tous ces samples ont une utilité: ils ne font référence qu’à des sons où les MCs prônent un rap authentique, de résistant, d’opposition, et espèrent bien “gagner la bataille” en se faisant beaucoup d’argent en conservant l’authenticité de leur message d’urgence.

Dadoo, qui commence le son, parle d’ailleurs directement d’argent: “Tous veulent toucher le grisbi, lâcher des rimes comme frisbee, Dis leur qu’au mic c’est Grozny, prose puante c’est l’orgie”. Ceux qui sont là pour les sous ont intérêt à avoir les épaules et du talent à revendre, car lui va mettre tout en oeuvre pour déclasser les faux MCs: “sortie du bloc, la rime claque dans ta gueule si tu trahis”. Le but? “Pas finir pute avec une jupe sous le baggys”, si on traduit, ça donne ne pas jouer les bad boys des quartiers chauds alors qu’on va pleurnicher en radio ou en maison de disque pour vendre ses titres. Le Toulousain termine son couplet en nous faisant comprendre que l’argent fait dévier même les hommes les plus droits: “l’argent pousse à l’ombre, l’argent pousse l’homme au slalom, ou dans le rap entre les bombes”. Il voit le rap comme une compétition, même plus, une guerre, dans laquelle il se battra pour son pactole de toutes ses forces.

L’émergence du “Patrimoine du Ghetto”

On vous a déjà parlé de nombreuses fois de “L’amour du risque” scandé par la FF : le désœuvrement et le manque de richesses pousse à l’aventure, mais finalement, on prend vite goût à cette vie marginale, qu’on finit par revendiquer avec autant de fierté que de dépit. Tandem, eux, ont leur “Patrimoine du Ghetto”, qui est aussi une hymne à la débrouille, et au mode de vie banlieusard globalement, condamnant les violences entre jeunes des quartiers, mais conscient qu’elles sont le résultat d’un processus d’exclusion à grande échelle pratiqué par le pouvoir. marqué au fer rouge par cette exclusion, autant que par les violences auxquelles sont prêts les gens de chez lui pour de l’argent, il jette dans ce premier couplet un regard très amer sur sa société. Il finit avec une sorte d’avertissement: toute cette merde est ancrée dans les cerveaux des jeunes comme une sorte de patrimoine culturel, comme si ce mode de vie était normal. Et ça va finir par exploser…

C’est Busta, clairement le plus technique, qui enchaîne juste après par un couplet tout en flow et en rimes bien placées. Toujours un peu d’humour dans les couplets de Busta, même en faisant de l’egotrip. Car oui, ce son est un peu egotrip au final, tous les rappeurs parlent beaucoup d’eux-mêmes et de leur manière de voir le rap. Busta exprime le fit qu’il n’est lus dans le rap pour plaisanter, l’atmosphère est trop tendue, il veut prendre ses sous et que tout le monde reconnaisse enfin qu’il est le meilleur. Il vente ses qualités d’autodidacte débrouillard : “J’fais mon putain d’job à plein temps, à 22 printemps, MC, DJ, producteur en même temps”. Pour lui aussi, le rap est une compétition aussi importante que la vie elle-même, trop importante pour en faire n’importe quoi lorsqu’on a le micro.

C’est Mac Kregor qui achève le morceau, avec un couplet très sombre avec énormément de mots au vu de son débit. Beaucoup d’assonances et allitérations qui frappent les tympans, soulignant bien chaque punchline, et un texte très conscient, amer et rempli de colère. Sa volonté est de s’ériger en problème pour l’Etat, en tant que jeune noir issu des banlieues capables d’énoncer des vérités que personne ne veut entendre là-haut, et de le faire avec la manière, puisqu’il est un excellent manieur de mot. Une petite pique aux médias (“Chez moi le taux de mortalité enrichis les médias, quelle banalité”), puis il enchaîne sur un bon crochet en direction de la société pour finir: “Regarde ma figure sale, une face abrupte, un jean, un polo sale, j’reste le nègre que l’on évite, un repus, un problème colossal, vu que c’est sans ma selle, l’Etat nous désarçonne, trop de représentants d’l’ordre m’harcèlent”. Bref, pour les quatre rappeurs, pas question de baisser son froc et de se mettre à jouer les gangsters ou inventer des histoires au micro : le rap est trop important pour eux. Un morceau dont le message semble s’être un peu “dilué”, au fil du temps…

Rémi
Rémi

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