”Guess Who’s back” de Rakim, l’incroyable egotrip

L’egotrip est une discipline particulière dans le rap. Du moins,elle l’est devenue avec le temps, en tout cas en France. Partout dans le monde, les artistes de rap se verront reprocher par leurs détracteurs le manque de ”sens social” dans leurs paroles, voyant le rap uniquement sous le prisme de la ”musique qui doit dénoncer”, ou qui doit ”donner de l’énergie aux défavorisés”. C’est oublier qu’il y a plusieurs façons de donner de l’énergie à ses auditeurs, et c’est surtout oublier que le premier objectif du rap, comme de toutes musiques, c’est de mettre un peu de rythme dans la vie des gens, quel que soit le discours, et transmettre des émotions.

Mais à cause de ses origines, on veut tout le temps rattacher le rap à la condition des noirs dans les ghettos, plutôt que de parler de la musique en tant que telle, comme on le ferait pour tous les autres genres musicaux. Pourtant, l’egotrip fait bel et bien parti du rap, et certains l’ont même érigé au rang d’art. Rakim fait partie de ceux là. A vrai dire, c’est même là dessus qu’il a construit sa carrière, que ce soit en duo avec son producteur et pote Eric B. , ou en solo.

Notamment sur l’album ”The 18th Letter”, son premier projet solo sorti en 1997, qui fut un succès assez colossal avec 500 000 copies vendues à l’époque. Parmi les nombreux morceaux egotrips se trouvant sur le disque, se trouve un morceau qui est à la fois un classique et un hit, ”Guess Who’s back”, un clip où on cerne bien la personnalité assez extravagante du MC, qui se met vraiment bien en scène. Et ce n’est rien à côté du clip…

Un double egotrip

Car oui, ce sont de Rakim est un des plus egotripés de tout le hip hop old school. Si depuis, les MCs de la nouvelle génération sont constamment à la recherche de nouvelles formules pour dire qu’ils sont meilleurs rappeurs/baiseurs/dealers que les autres, le genre était à l’époque relativement restreint, et c’est Rakim qui l’a en partie rafraîchi. Il faut le savoir, la majeure partie de ses lyrics, dans presque toutes ses chansons, parlent de ses skills de rappeur ou de sa foi en l’Islam.

Et ça commence dès le début du texte : ”It’s the return of the Wild Style fashionist, Smashin’ hits, make it hard to adapt to this”. Rakim affirme qu’il est celui qui a inspiré les vêtements des personnages du film classique ”Wild Style”, et qu’il envoie des hits tellement bons que les autres n’arrivent plus à suivre. Globalement, c’est comme ça pendant tout le couplet : il demande au DJ de ne pas scratcher sur son morceau, et d’obéir à la foule, en poussant simplement le volume au max. C’est lui que les gens veulent, juste lui, il en est convaincu : ”Sit back and wait to hear a slammin’ track, Rockin jams by popular demand, I’m Back”.

Un beau clin d’oeil à son absence de 5 ans après la séparation avec Eric B, et une manière de demander aux gens d’arrêter de stopper les questions sur le retour de ”Eric B et Rakim” : maintenant, c’est juste Rakim, et ça vous suffit ! Le deuxième couplet est du même calibre, où il démontre, en plus d’être un excellent rappeur et rimeur, qu’il est en plus très cultivé : ”Equations are drawn up in paisley form, mic, it stay warm, my flow is Evian, Deep as a Nautilus, you stay dipped in Ra’s style, from the shores of Long Island to Panam Canal”. Rakim compare son rap à de l’art, à du design, avec une précision mathématique, qui fait bouger toute la côte Est. Il passe surtout une double dédicace à la France avec cette double référence à l’Evian (son flow coule comme de l’Evian), et au Nautilus de Jules Verne, car ses textes sont aussi profond que les eaux dans lesquelles se trouve le sous-marin. Voilà pour la partie strictement egotrip rap, qui n’est pas forcément la plus incroyable, même si tout est parfaitement fait.

Rakim et Dieu, une relation spéciale

Pour comprendre la partie egotrip plus ”spirituelle”, un petit cours d’Histoire (assez grossier, ne vous inquiétez pas) s’impose : lors des mouvements pour les droits civiques américains, certains groupes ont affirmé que la chrétienté n’avait jamais reconnu les personnes noirs, qui n’étaient jamais mentionnés dans la Bible, et que ça n’était donc pas la religion qui représentait le peuple noir. Ils décidèrent donc de se tourner vers d’autres religions, notamment l’Islam. Rakim s’y est converti à l’âge de 16 ans. Mais l’Islam américain a revêtu plusieurs formes, dont celle adoptée par la Five Percent Nation. Leur culte se base sur la théorie selon laquelle le monde est divisé en 3 groupes : 85 % d’ignorants, 10 % de gens qui connaissent la vérité mais choisissent d’enseigner une religion biaisée, et les 5 % restant, qui eux sont les véritables hommes d’Allah, ses élus, destinés à propager sa vérité auprès des Hommes.

Rakim fait donc partie des 5 Percent, et c’est notamment ce qui explique le côté très spirituel et religieux de certaines paroles : il a la vérité, et veut vous la livrer dans son rap. ”Yo, my rhymes and lyrics find spirit like a seance, since fat crayons, i write and display chaos” : ses paroles sont tellement fortes qu’elles vous font communiquer avec les morts, et il créé des chocs à chaque ligne écrite depuis son enfance. On a atteint un joli stade dans l’egotrip, à ce moment là. Il va toujours plus loin, clamant qu’il est né avec un ”777” au dessus de sa tête, qu’il est touché par la grâce, et que rien de ce que pourront faire les autres ne va l’atteindre, puisqu’il est protégé par Dieu. Cette fusion entre rap et foi est assez particulière et quasi-unique en son genre.

Et encore, à côté du clip, tout ça, c’est assez peu. Rakim se retrouve piégé en Enfer aux côtés du Diable qui lui demande de rapper pour le divertir. Mais c’est sous-estimer le talent de Rakim, qui arrive grâce à son flow à mettre un joli bordel aux Enfers. Devant la puissance de son micro sacré, le diable tente d’intervenir, mais Rakim le jette dans une sorte de vase magique qui le fait disparaître. Une mise en scène assez folle et osée, surtout pour l’époque, et un grand précurseur de tous les clips un peu perchés qu’on a aujourd’hui. Voilà ce qui fait de ce titre un classique, ça, et la prod magistrale signée DJ Clark Kent, sur un sample de ”Shamboozie” de Bob James.

Rémi
Rémi

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