NWA: De la revendication à l’entertainment

Pour les « hip-hopers » de ma génération, 1988 est un très grand cru. Cette année marque un tournant pour le Hip-Hop mondialPublic Enemy publie son 2e album, It Takes a Nation of Million to Hold Us Back, où figure le classique Don’t Believe The Hype ; et la côte ouest n’est pas en reste avec l’apparition de NWA (Niggaz With Attidude) et l’album culte Straight Outta Compton. Une claque énorme pour le préado que j’étais ! À une époque où la télévision française était encore moins colorée qu’aujourd’hui, le câble et le Yo MTV Raps de Sophie Bramly me font découvrir des Noirs qui s’affirment.

image du groupe nwa, ice cube, dr dre, easy e

À 13 ans je chantais Fuck The Police, en comprenant le sens de la phrase, bien que je n’avais encore  jamais rien fait d’illégal dans ma vie (je ne suis pas devenu un gangster pour autant). Je n’imaginais pas une seule seconde que 27 ans plus tard Dr Dre serait l’un des artistes les plus riches de la planète, et encore moins qu’un biopic sur le groupe pionnier du Gansta Rap se placerait au premier rang du Box-Office des biographies les plus rentables dans leur première semaine d’exploitation !!! Incroyable pour un groupe boycotté à la fin des années 80.

Le film est réalisé par F. Gary Gray. Un vieux complice d’Ice Cube qui a notamment réalisé son clip It Was A Good Day, et  Friday (qui est d’ailleurs son premier long métrage). À la fin des 80’s, les fans parisiens de NWA disaient toujours : « c’est Easy E la vraie caillera du groupe, c’est lui le boss » ! Le début du film ne semble pas démentir la légende. Le « boss » n’a pas peur de se retrouver seul en territoire hostile pour conclure une affaire louche. Nous rentrons tout de suite dans l’ambiance de Compton. Les conflits entre gangs, les problèmes sociaux qui frappent les afro-américains, le racisme de la police (y compris les policiers Noirs). Le tableau est complet, rien n’a été oublié. Ceux qui ont vécu le phénomène NWA en « live », à l’époque, laisse le film se dérouler comme un documentaire. Ça rajeunit, renvoie à des souvenirs. Cela procure un certain plaisir car c’est le premier long métrage basé sur l’histoire de Vraies légendes du Rap. Découvrir quels étaient leurs liens, comment ils se sont rencontrés ; la rencontre avec leur producteur,  Jerry Heller, et la création du label Ruthless Records ; l’arrivée en studio de Snoop, arborant le bleu, couleur des Crips, alors que tout le staff du label Death Row est affilié aux Bloods, le gang rival ; les sessions d’enregistrement avec 2Pac. On s’y croit, en tout cas on a envie d’y croire. La ressemblance entre Ice Cube et son fils O’Shea Jackson Jr qui reprend son rôle, est frappante. Le casting a été mené de façon à ce que les acteurs soient le plus proche  physiquement des personnages dont ils s’inspirent.

image nwa et acteur du film

Ice Cube a été le premier à quitter le groupe mais a également été le premier à l’initiative du film relatant son histoireDr Dre a suivi. Il n’y avait pas de raison que seuls ses poulains (Eminem et 50 cents) aient droit à leur biopic. Ils ont ainsi, tous deux participé à la production. Ça reste le meilleur moyen de  s’attribuer les bons rôles. Ceux qui l’ignoraient découvrent qu’Ice Cube est le parolier du groupe. Bien entendu Andre Young (le vrai nom de Dr Dre) en est l’architecte musical. En revanche, aucune trace dans le film de son passé dans le World Class Wreckin’ Cru,  groupe arborant des tenues en lycra à paillettes, très peu masculines (le comble pour l’un des initiateurs d’une musique Gansta ouvertement homophobe). Non non, apparemment ça n’a pas existé. Dre aurait toujours arboré une casquette Raiders et des baskets blanches. Ok d’accord !

Il est également surprenant de voir Dr Dre en venir aux mains à plusieurs reprises avec les hommes de mains de Suge Knight, sans que ceux-ci ne lui répondent !?!? Surtout qu’il est bien connu que Dre s’est fait maquer par Suge et qu’il n’avait la main lourde qu’avec les femmes. La journaliste Dee Barnes, et son ex-petite amie, la chanteuse Michel’le peuvent en témoigner.

Les femmes sont d’ailleurs absentes du film. Notamment les artistes féminines maisons comme Michel’le (justement) et le groupe JJ Fad (j’ai bien usé mes semelles sur leur hit Supersonic). Ils ont peut-être préféré les effacer de l’histoire pour ne pas avoir à montrer à quel point ils pouvaient être violents et misogynes, ce qui reste quand même évident durant le film (les scènes d’orgies mettent en évidence le rôle dédié à la gente féminine).

On constate que Mc Ren et Dj Yella ne semblent être que des figurants dans l’aventure des pionniers du Gansta Rap. Ils sont plus ou moins présentés ainsi tant ils brillent par leur transparence (merci aux producteurs Dre and Cube).

On apprend également qu’Easy E est présenté comme étant en grande détresse financière. Il rêvait, parait-il, de reformer NWA pour se relancer. Il était pourtant le producteur de Bone Thugs-N-Harmony dont le premier EP Creepin On Ah Come Up  a remporté un succès immédiat en 1994, notamment grâce au tube Thuggish Ruggish Bone, sur son label Ruthless. Il y a certainement d’autres oublis ou inexactitudes, mais comment résumer une légende en un film ? Surtout si on veut en faire un film à succès.

F. Gary Gray a réussi son pari. Il réussit à nous entrainer dans l’univers tourmenté de ses artistes tout droit sortis du ghetto. Sans être un grand film, Straight Outta Compton est un bon film. Il régalera les nostalgiques et adeptes du c’était mieux avant, et les jeunes voulant réviser leur Histoire du Hip-HopC’est un bon divertissement. Quelque part il symbolise bien la trajectoire d’Ice Cube et Dr Dre : de la revendication à l’entertainment. Le rêve américain quoi.

Keuj
Keuj

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