Le rap est une musique qui a très vite entrepris d’écrire sa propre histoire, avec ses propres héros et ses propres légendes, comme les débuts glorieux au temps de DJ Kool Herc. Ou les fameuses coupures de courant à New-York pendant l’été 77, qui ont permis à tout un tas de futurs MC d’aller voler du matériel pour faire du son dans les magasins (vinyles, platines, micros, etc…). C’est ainsi qu’on a vu sortir de nombreux morceaux “hommages”, dont le but était, d’une part, de rendre hommage à des anciens de mouvement pour le travail accompli, d’autre part, de montrer qu’on avait de la culture, qu’on avait conscience des origines du mouvement auquel on appartenait. Enfin, ça permet aussi de faire découvrir aux plus jeunes générations, pas forcément au courant, des artistes certes “disparus” mais dont l’oeuvre pour consolider l’édifice hip hip était immense.
C’est le cas pour le morceau dont on va parler aujourd’hui. Ce titre s’appelle “Symphony 2000”, et c’est ce qu’on appelle un posse cut, un morceau où sont réunis de nombreux artistes. Ici, c’est le groupe new-yorkais EPMD qui a invité la crème du rap East Coast, avec Method Man, Redman, et Lady Luck. Un posse cut sauce New-York donc, pour rendre hommage à un de spremiers posse cut de l’histoire du rap, “The Symphony”, de Marley Marl, Kool G Rap, Masta Ace, Craig G, et Big Daddy Kane, sorti en 1988. L’hommage de EPMD, sorti dix ans après (1999), est très différent de l’original, même si on retrouve quelques rimes identiques, placées comme des clins d’œil. Mais un single qui va marquer le début de la progressive disparition d’EPMD…
Une volonté de mettre en avant la culture avec le rap
Ce morceau est un classique car il participé à faire de “Out of Business” une sorte de chant du cygne pour EPMD, un chant du cygne de qualité. Après ça, Erick et Parrish cesseront de vraiment bosser ensemble, mettant fin à une sacrée histoire, et à un groupe dont le nom (Erick and Parrish Making Dollars) était un des plus classes de l’Histoire du game. Et s’il a marché, c’est parce que toutes les références à l’histoire du hip hop placées dans ce son ont finalement touché les gens. Le morceau est un exemple de titre rap, qui est allé tiré ses origines un peu partout.
Dans un film italien, “Des oiseaux, des petits et des gros”, produit par Pier Paolo Pasolini en 1966, par exemple, pour le sample principal qui composera la mélodie. Un film dont la bande son sera composée par le légendaire Ennio Morricone, qui aura finalement beaucoup marqué Erick, aux manettes pour l’instrumentale de “Symphony 2000” (cf: le morceau “Draw” en mode Far West). Mais aussi dans un titre de Serge Gainsbourg, “Requiem pour un con”, dans les percussions du début (d’après le site Whosampled). Une manière de montrer que le rap est ouvert sur toutes les autres cultures, dont il s’inspire ensuite pour faire sa propre sauce.
Et également une manière d’imposer ses propres références en codes nécessaires pour comprendre tout le charme d’un morceau. Là est la contradiction du hip hop, parfois: aller chercher des influences partout pour produire des morceaux qui ne seront entièrement compris que par quelques uns. On retrouve par exemple énormément de rimes identiques, notamment le fameux “Next up! Yo i believe that’s me, Yo, get on the mic and rock the symphony”, phrase initialement rappée dans le “hook” de la chanson originale de Marley Marl. Mais aussi “Hardcore, to make them brothers act fool”, rappé par Method Man en 99, mais ausis par EPMD eux-mêmes, en 89 et 90 sur deux de leurs sons. Un joli clin d’œil de Meth à ceux qui l’ont invité. Redman se moque également un peu du “Did You Ever Think” de R.Kelly.
Mais la plus belle revient sans doute à Method Man, évidemment, pour son “That’s it, that’s all, solo, single, no more, no less”, rendant hommage à KRS One époque Boogie Down Production. Une des meilleures façons de finir un couplet egotrip: c’est juste moi, ni plus ni moins, mais tu sais que c’est déja beaucoup. Une arrogance toute en mesure cultivée par tous les acteurs du morceau: Erick, Parrish, Redman, Method Man, et Lady Luck, incroyable à la fin du morceau. De l’arrogance car plus que de mettre en avant la culture, tous les rappeurs en présence veulent nous montrer qu’ils sont très techniques (le flow notamment, pour une instru pas forcément évidente), mais surtout qu’ils sont très pointus, qu’ils s’y connaissent, qu’ils maîtrisent leur sujet. Mais quand en plus, c’est fait pour rendre hommage aux glorieux anciens et à des morceaux qui ont plus de dix ans, contribuant à solidifier le hip hop, en faisant rentrer quelques phrases dans la tête des gens, on dit oui! On vous a mis le clip du morceau tout e bas, malheureusement en version censurée (affreux…)