image iam classique l'école du micro d'argent

”L’École du Micro d’Argent”, THE classic du rap français ?

L’année 2017 marque les 20 ans de ”L’Ecole du Micro d’Argent”, sans doute le plus grand album du plus grand groupe de rap marseillais de l’histoire, IAM. A cette occasion, la team a décidé de partir en tournée dans toute la France pour fêter l’anniversaire du projet. Pour nous, c’est l’occasion de nous replonger dans ce disque culte qui a bercé les oreilles de la quasi totalité des auditeurs de rap, et même au-delà.

Car on ne parle pas ici d’un ”vulgaire” classique qui aurait alimenté les discussions des puristes, reconnus par les spécialistes comme un excellent album. Non, là, ça va bien plus loin : IAM a réellement conquis toute la France, de Marseille à Paris, des quartiers pauvres aux plateaux télé les plus huppés. Télérama, par exemple, leur avait accordé une couv’ l’année suivante. Cet album est rempli de titres qui ont parfois tourné en radio jusqu’à dix ans après leur sortie, ce qui est quasi impossible aujourd’hui.

Il faut dire que l’univers proporsé par les marseillais dans ce projet est tellement vaste, que vous trouverez forcément un morceau qui plaira à quelqu’un, tant au niveau des thèmes, des instrus, ou des flows : il y en a pour tout le monde. Ce côté ouvert et tout public ne doit cependant pas vous tromper : ”L’École du Micro d’Argent” est un disque globalement assez sombre, très engagé, même si vous y trouvez également des titres incroyablement drôles et légers. On se replonge avec vous dans cette œuvre ultra dense.

IAM : les trois lettres de noblesse

Si IAM fait désormais partie du panthéon de la musique française (oui oui de la musique, pas seulement du rap), et que leurs textes sont désormais étudiés dans certaines écoles et facultés, c’est en très grande partie grâce à ce disque. En effet, jusqu’en 1997 l’étiquette qui colle à la peau d’IAM, et ce malgré eux, c’est celle de chanteurs sudistes assez drôles. Pourquoi ? A cause de ”Je danse le Mia”, morceau qu’on les a obligé à jouer et rejouer pendant des années, résumant dans l’esprit des gens le groupe à ce titre au comique assumé.

Ils ont pourtant sorti des dizaines de tires très engagés ou street entre temps, mais ça n’est qu’avec “L’École du Micro d’Argent” qu’ils vont réussir à enfin se dévoiler au grand public pour de vrai, imposant de fait le rap comme un art majeur, grâce à la puissance de leurs textes. Le texte, le message, c’est ce sur quoi le groupe met l’accent dans ce projet, quel que soit le type de rap avec lequel il vont le dérouler : egotrip ou conscient. Dans tous les cas, ça restera poétique, bien écrit, et bien rappé.

Les Inrockuptibles qualifieront le rap des marseillais de rigoureux. On ne peut qu’être d’accord avec eux : chaque syllabe est bien détaché, le flow est posé (sans être lent), les rimes sont parfaites, pas de places à l’approximation, on est presque dans la mathématique, tant au niveau du rythme que des structures de phrases. On s’en rend compte dès les premiers morceaux : ”L’’École du Micro d’Argent” est un chef d’œuvre. Egotrip génial où ils nous présentent leurs références, l’univers des samouraïs, mais aussi un message : ils sont les détenteurs du rap authentique, celui qui dérange, celui qui tape, et là où ça fait mal de préférence. Hors de question d’abdiquer face aux wacks MCs. AKH et Shurik’n semblent quasiment possédés sur ce morceau.

”Dangereux”, le titre suivant, les replace au premier rang des rappeurs contestataires. Le procès de la part de l’État est une sorte de médaille pour les rappeurs, qui se font un point d’honneur à dire les choses qu’ils ne veulent pas entendre là-haut. Ce procès-là leur aura eu lieu à cause d’une ancienne chanson sur les assedics. Ils décident de riposter en retour avec un texte encore plus dur : ”J’ai des problèmes de communication, les RG écoutent toutes mes conversations, J’en ai des frissons et ça perturbe ma vie, ma haine grandit à chaque fois que Minute écrit”. Le premier gros coup de pied d’une longue série de tacles envers le système disposés tout au long de cet album. Fini le Mia (qui est un excellent morceau, d’ailleurs), place aux choses sérieuses.

Egotrip génial, mysticisme hip hop, rap “sociologique” : le combo gagnant

Si le disque d’IAM est si emblématique, c’est parce qu’il a su réunir tout les ingrédients qui en font un monument de la culture hip hop. L’aspect compétition est bien présent, via le premier morceau dont on a déjà parlé, mais aussi à des morceaux excellents comme ”Quand tu allais on revenait” ou ”L’Empire du côté obscur” où les rappeurs endossent aussi bien le costume du maître Sith ou celui d’experts du kung-fu venus directement d’un monastère Shaolin. Le rap est une compétition dont il faut forcément être le meilleur.

Mais dans un but précis, et c’est là qu’on peut parler de mysticisme (de manière non péjorative) hip hop. L’objectif, c’est celui de porter cette culture, la notre, aussi haut que possible, de la faire rayonner, car cette culture les a instruits, les a fait grandir et devenir des hommes. Leur amour pour le hip hop déborde dans tout l’album, et notamment sur le morceau ”Bouger la tête”. L’inspiration Wu-Tang, en cela, est palpable. Le groupe marseillais avait d’ailleurs fait la plupart du travail à New-York, fief du Wu-Tang, aidés par des proches du groupe.

Mais résumer le groupe à cela serait leur manquer de respect. Même si personnellement j’ai une préférence personnelle pour leurs morceaux egotrips, on est obligés de reconnaître que c’est dans le story-telling où les MCs sont les plus forts. Des morceaux comme ”Petit Frère”, ”Nés sous la Même Étoile”, ”Un cri court dans la nuit”, et bien entendu le génial ”Demain c’est loin” (qui mériterait 20 articles à lui tout seul) montrent à tout le monde que le domaine où ils excellent, c’est celui de raconter ce qu’ils voient dans la rue. On s’y croirait, pour de vrai. Si on était de la grande presse intellectuelle, on dirait que c’est un mélange d’Émile Zola et de Pierre Bourdieu. Mais comme on est Hip Hop Corner, on va même dire que c’est mieux. C’est du IAM, écrit avec un langage populaire, et donc forcément universel, qui mettent la lumière sur les drames vécus par les leurs.

Des OVNI musicaux, des influences en pagaille

Essayer de saisir toutes les références de l’album, celles qui font que tout le monde arrive à s’immerger dans l’univers d’IAM, serait impossible : elles sont bien trop nombreuses. On a cité Star Wars, et les films de Kung-Fu, ainsi que le Wu-Tang, mais il y en a des centaines d’autres.

La chanson la plus influencée par le soleil du Sud est sans doute ”Elle donne son corps avant son nom”, story-telling assez incroyable sur des filles bien trop intelligentes pour nos deux lascars. Un petit OVNI dans l’album, qui n’a pas trop de liens avec les autres morceaux, mais qui étrangement passe très bien. Ça n’est pas le seul titre complètement fou du projet : la palme revient évidemment à ”Un Bon Son Brut pour les Truands”, petit egotrip , sur fond de rencontre entre les films de Kung Fu et les westerns spaghettis dont les MCs sont également fans.

Le plus génial, dans tout ça, c’est que malgré les nombreux thèmes abordés, les nombreuses ambiances, les invités de marque (big up à Fabe, RIP East, t’étais un chef), on a un projet parfaitement cohérent. Grâce à Kheops et Imothep, toujours là quand il faut sortir des samples de musique argentine ou tibétaine pour faire une prod unique. Mais aussi grâce à la polyvalence de la plume d’AKH et Shurik’n, capables de nous ambiancer comme de nous coller un coup sec sur le haut du crâne, nous laissant assis sur le siège. Freeman, qui apparaît sur deux morceaux, a également son rôle à jouer, celui de l’authentique gars de la rue marseillais avec l’accent qui arrache les oreilles, alors qu’il est moins visibles chez ses deux collègues.

Bref, le disque est un bijou, on lui souhaite un joyeux anniversaire, et on espère que le groupe va tut retourner sur les scènes de France.