C’est toujours compliqué de parler des légendes du rap. La semaine dernière, on s’attaquait à un morceau de Tupac Shakur, et cette semaine, c’est au tour d’un morceau de Notorious BIG d’être chroniqué une fois de plus. Avec une difficulté supplémentaire : Notorious n’a sorti qu’un seul vrai album de son vivant. Difficile de ne pas faire la différence, en terme de qualité, entre son vrai album et les projets posthumes réarrangés et vendus après sa mort survenue en mars 1997.
Biggie fait partie de cette caste rare d’artistes ayant une discographie posthume plus étoffée que ce qu’ils ont sorti de leur vivant. Mais alors, pourquoi est-il aussi vénéré par les amateurs de rap ? Grâce à son seul album studio, ”Ready to Die”, sorti en 1994, qui a créé une sorte de fascination autour du personnage de Biggie. Il faut dire que sa carrure et son talent interpellent : 140 kilos environ pour 1m90, et une voix, ainsi qu’un sens de la rime, qui ont retourné toute l’Amérique de la première moitié des 90’s.
Après avoir été vendeur de crack, Biggie avait été repéré par P.Diddy, qui l’a fait signé sur un gros label avant de finalement fonder sa propre structure et d’y faire signer Notorious. Ce label, c’est Bad Boy Records, et cette structure va rapidement devenir une major incontournable du game US. Grâce au talent de businessman de P.Diddy, mais également grâce au talent et à l’aura de Notorious, qui va inspirer des dizaines de jeunes rappeurs. Pour ce qui est de Bad Boy, le label démarre de tout en bas, tout est à faire, et on va se servir de Biggie pour devenir une vitrine de ce que le label peut faire. Le titre ”Mo Money Mo Problems” est conçu dans cet esprit : présent sur le deuxième album de Notorious ”Life After Death” sorti 16 jours après sa mort, il est un featuring avec Diddy, chef du label, et Ma$e, nouvelle signature Bad Boy qu’il faut mettre en avant.
Bad Boy Records au top du hip hop
Alors que Bad Boy est une structure toute récente, surtout connue via Biggie et Craig Mack qui sortent des single à la pelle. Mais le patron Diddy voudrait bien faire exister son label en tant que tel et le faire devenir plus gros que les artistes qui y signent. Pour cela, il faut se monter, et prouver aux concurrents que Bad Boy est ”the place to be”. Ma$e est donc envoyé au front, et pose le premier couplet de ce titre assez joyeux et dansant : l’heure est à la célébration.
Et Ma$e fait plus que le travail : il nous pose un couple culte, technique, rythmé, au point que les mêmes phrases seront rapées comme un hommage par beaucoup de rappeurs après lui (comme Drake dans ”Worst Behavior” : ”Now, who’s hot, who’s not ? Tell me who rock, who sel out in the stores ? You tell me who flopped, who copped the blue drop ? Whose jewels got rocks ? Who’s mostly Dolce down to the tube sock ?”. Le rappeur lance une question rhétorique : alors, dites moi, qui est le plus chaud ? Où est-ce que ça rappe le mieux ? Où est-ce qu’on vend des millions d’albums ?
Chez Bad Boy pardi. Ils ont l’air inarrêtables sur ce titre, et Ma$e laisse ensuite la place à P.Diddy. Diddy dont les apparitions vraiment rap se font plutôt rare. Il est plus habitué à faire des ambiances ou des monologues où il donne des leçons de vie qu’à rapper purement et simplement, surtout à l’époque (son premier projet solo sortira quelques temps après le projet de Biggie). Ce couplet st donc un risque pour le producteur, d’autant qu’il se cale entre deux excellents rappeurs, mais il fait plus que le travail et arrive à bien nous ambiancer avec son egotrip : ”I’m the D to the A to the D-D-Y, know you’d rather see me die than to see me fly”. On est bien dans le thème ”Mo Money Mo problems”, avec Diddy qui doit faire face à ses haters.
La contribution de Diddy ne s’arrête pas à ce couplet, et c’est lui qui a produit l’instrumentale de ce titre, à base de samples de la chanson de Diana Ross, ”I’m coming out”. Des influences pop et RnB qui ne quitteront jamais Diddy, et ce dernier va donner au morceau des airs de célébration. Et ce alors même que Biggie vient à peine de mourir.
Plus d’argent, plus de problèmes : une prémonition ?
Le plus flagrant lorsqu’on écoute Biggie, c’est qu’on a l’impression, parfois, qu’il sait qu’il va mourir jeune, de manière inattendue. Ce sentiment est peut être aussi causé par le fait que l’album sort 2 semaines après sa mort, et que P.Diddy l’a renommé “Life After Death” alors qu’il devait s’appeler “Live Until Killed…’Till Death Do Us Part”. Ce qui colle tout de même très bien au contexte. Le titre du morceau, “Mo Money Mo Problem”, est lui aussi assez triste de vérité. Biggie semble vouloir dire que ce qu’il vit en ce moment dans le rap depuis qu’il est riche, est plus dangereux que ce qu’il vivait lorsqu’il dealait du crack à New York. Et la suite de son histoire lui a bien tristement donné raison…
Son passé de dealer, il y fait d’ailleurs subtilement référence dès le début de son couplet: “B.I.G.P.O.P.P.A, no info for the D.E.A”. Biggie n’est pas un indic de la DEA, il vous le certifie. Lui est de l’autre côté. Il continue dans l’egotrip tout en lâchant par-ci, par-là des mots de slang issus des pratiques des dealers comme “triple beam, ou aux enquêtes fédérales.
Biggie peut rapper sur n’importe quoi, il aura toujours cette aisance à faire rebondir sa voix sur l’instrumentale, à un rythme que lui seul maîtrise et qui le rend si fascinant. Si on rajoute à ça son timbre vocal, on se rend compte qu’il est un instrument à lui tout seul, musical comme aucun autre rappeur, sans pour autant chanter une seule seconde.
Et lorsqu’il veut montrer à tout le monde qu’il maîtrise l’art du rap comme personne d’autre, il n’hésite pas à inventer des mots en rajoutant des syllabes, le fameux “-izzle” qui l’a rendu célèbre sur plusieurs autres morceaux: “I got the dough, got the flow down pizat, Platinum plus like thizat, Dangerous on trizacks, leave your ass flizat”. Notorious est payé, il a fait multi platine avec son précédent projet, il est dans le jeu, dangereux dans les sons et dans la rue, et te quitte en laissant tes fesses dégonflées.
Il n’y a pas grand chose à rajouter à cela, le MC rappe comme personne, et sait le faire de manière insolente. On peut également parler du clip, kitch au possible, avec P.Diddy en golfeur bling bling qui dédie sa victoire à Biggie, puis à Diddy et Mase en train de danser au milieu de danseuses avec des lumières disco partout et des images de Biggie défunt. Un clip assez énorme et complètement barré, et sûrement un des premiers clips de rap dans lequel on fait jouer un défunt…
La mégalomane de P.Diddy n’a pas de limites. Mais sans lui, cette prod hyper entraînante qui a elle seule fait la moitié du boulot n’aurait jamais existé. Un morceau incroyable, d’un rappeur incroyable, dans un contexte incroyable. Rien à ajouter.