Quand Fabe flinguait tout le rap français

2017, c’est l’année qui marque les 20 ans d’un album très important pour le rap français : ”Le fond et la forme”, du rappeur Fabe. Ce projet, c’est le deuxième solo du MC de la Scred Connexion, groupe mythique qui n’a alors presque rien sorti à part quelques morceaux assez confidentiels. Parmi les nombreuses pépites que contient le CD, on va plus particulièrement se pencher sur le morceau ”Des durs, des boss… des dombis”, qui a eu beaucoup de résonance dans le rap à l’époque.

Déja, car Fabe s’apprête à devenir un des figures les plus reconnues de la scène rap en France. A vrai dire, il l’est déjà un peu, depuis son apparition télé chez Nagui, tristement légendaire, et un premier album très réussi qui a pu jouir d’une bonne promotion, même en indépendant. Avec ce morceau, il se frotte une fois de plus au reste du game, qu’il trouve sans saveur, trop souvent basé sur des egotrips de gangsters.

Et ensuite, car ses paroles font mouche, et seront entendues de la part du reste du game. Un hymne à l’humilité et à la simplicité à un moment où on voit déjà dans le rap français se pointer les travers de son homologue américain : la glorification des armes, de la violence, par des gens qui bien souvent ne l’ont pas trop connue de près.

Une bonne droite dans le rap game

Paris, c’est pas les States. Ceux qui se rêvent la posture d’un gangster international à la Montana ou Escobar sont à côté de la réalité, il n’y a pas de cartels ici, à part les politiciens. C’est ce que Fabe a toujours affirmé :”Avis aux MCs qui se prennent pour des meurtriers: si t’es un gangster, t’as pas le temps de rapper”, disait-il sur son premier album. Et c’est encore ce qu’il va répéter dans ce morceau, en nous disant déjà ce que lui recherchait dans son hip hop : la paix, la sincérité, de l’authenticité, des gens qui cherchent à se tirer vers le haut, avec une sorte de solidarité du ghetto.

Mais comme pour lui, on en est très loin, il commence à flinguer : ”Des MCs, qui s’font a guerre pour des maxis, parlent d’avoir du cash, n’ont pas assez pour prendre un taxi”. Première rafale, et elle tombe sur Booba, lui qui a justement fait de la prison pour avoir braqué un taxi, mais qui joue au parrain de la drogue. Fabe trouve cette démarche ridicule, et ça débute une longue lutte interne dans le rap français entre le rap conscient qui se veut ultra réaliste et raisonné, et un rap qui fonctionne plus sur l’imaginaire, sur l’ambiance, les émotions. Les deux ont le même but, parler de ce qui se passe autour d’eux, mais alors que les uns préféreront toujours y apporter un message politique, d’autres préfèrent une approche parfois plus fictionnelle.

Fabe, lui, est authentique jusqu’au bout des baskets. D’où cette première salve. La deuxième tombe sur NTM : ”Des mythomanes, qui jouent les pyromanes aux bains douches parlent de crime, pour la rime et se font passer pour…”. En faisant une petite double référence au groupe, à leur morceau ”Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu” et aussi à leurs concerts privés qu’ils donnaient aux Bains Douches, une boîte à l’époque assez huppée de Paname, il leur enlève la légitimité de faire ce genre de rap : vous êtes trop people pour être encore crédibles en mecs de rue.

La Scred vs. le reste du monde

Fabe ne veut pas travestir la réalité de la rue, car il la connaît trop bien. D’où sa petite phase sur ceux qui ”parlent de la rue mais ne connaissent que ses stations de métro”, petite référence à tous les MCs qui se contentent bien souvent de dire qu’à Porte de la Chapelle ou Gare du Nord il se passe des choses sales sans être capables d’y mettre des noms de rues. Il enchaîne ensuite en s’attaquant à ce qui est sa cible favorite pour le morceau : Stomy Bugsy.

Pour Fabe, Stomy essaye beaucoup trop de se mettre en scène à la Tupac, de se la jouer gangster torturé mais poète, pour pouvoir faire fantasmer les intellectuels, friands des belles histoires de gangsters ”repentis”. Et à exagérer les rivalités qu’ils ont avec les autres MCs du game, pour créer un buzz à l’américaine, alors qu’à Paris presque tout le monde se connaît. ”La guerre du rap,, elle fera plaisir aux Bèc’-Bèg’ , aux fils de riches, qui passent du R.A.P. Au solfège, c’est leur public d’ailleurs, si je n’m’abuse” : avec ça, il met le doigt sur quelque chose d’assez paradoxal. Le gangsta rap, c’est pour lui d’abord un truc de bourges, qui aiment bien qu’on leur raconte des histoires pour les distraire de leurs mornes vies au sommet de l’échelle sociale. Les vrais gars de rue, eux, peuvent vite en avoir marre d’entendre parler de guerre avec les jeunes du quartier qui se tuent sous leurs fenêtres, pour de vrai cette fois… Un point de vue devenu aujourd’hui assez inexact, mais qui révélait tout de même quelque chose de la réalité à une certaine époque.

Il s’attaque ensuite aux dérives du star système qui commence à naître dans le rap. Avec en tête de file Stormy, encore une fois : ”Lève la tête : t’es beau en stard-co dommage que tu t’la pètes”. Fabe a horreur de ces mecs qui se mettent trop en avant. C’est d’ailleurs le leitmotiv qui va plus tard devenir le nom de son groupe mythique, la Scred Connexion : avancer en scred, c’est avancer discrètement, sans vouloir trop en faire et absolument plaire à tout le monde, mais être efficaces. Un message d’humilité, doublé d’un refrain qui prône le retour à un rap authentique. Trop de MCs sans problèmes jouent les gangsters, trop de rappeurs jouent les Tony Montana alors qu’ils sont fauchés.

Mais petit à petit, le message est complètement devenu anachronique. Ne restera que cette phrase célèbre, reprise par Booba, car elle lui a bien fait mal : ”c’est tellement bas que pour en parler faudrait qu’j’me fasse mal au dos’‘. Fabe s’est d’ailleurs rendu compte de son décalage avec le rap jeu, qu’il a préféré abandonner par la suite, pour se consacrer à la religion. L’accentuation des clichés, le fait de jouer au con, jouer au gangster, jouer le rôle que la société attend de la part de ceux qui s’appellent ”négro” entre eux, est petit à petit devenu un incontournable dans le rap, même si c’est le plus souvent pour tenter de retourner le préjugé pour en faire une force. Toujours est-il que le morceau n’en est pas moins génial,car il était terriblement juste.

Rémi
Rémi

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