51On va finir par se demander si on aura assez de temps cette année pour vous parler de tout ce qu’il s’est passé en 1998… On a même l’impression qu’il y a eu plus de classiques US sorti pendant ces 12 mois que de jours dans l’année. Regardez le top album de 1998, et à chaque place vous trouverez un projet qui contient au moins deux ou trois vraies pépites, et même d’autres qui en sont intégralement remplis. Et “Don Cartagena”, le troisième album solo de Fat Joe, appartiendrait plus à la seconde catégorie.
Ça n’est d’ailleurs pas un hasard s’il s’est classé 2ème du top hip hop, et 7ème au Billboard 200 cette année là. Pas forcément le plus gros succès commercial, mais un disque d’or qui sera celui de la consécration pour Joe. Le MC, qui sévit dans l’underground depuis le début des années 90, avait jusqu’ici surtout eu un succès d’estime, même si son deuxième album “Jealous One’s Envy” avait commencé à le faire connaître au public rap. Ce troisième solo va faire de lui une star du rap ailleurs qu’à New-York, mais bien dans toute l’Amérique (et le monde, après).
Sur le projet, on retrouvait pas mal de classiques en solo comme “The Crack Attack”, mais surtout des featurings de légende. Car comme vous le savez, Fat Joe est très pote avec la scène new-yorkaise, et particulièrement Big Pun, ou N.O.R.E, ou encore P.Diddy. Grâce à son talent, mais aussi à ses connexions du Bronx, car Fat Joe est un vrai gars du “hood”. C’est d’ailleurs sur un feat qu’on va se pencher aujourd’hui, avec “Misery Needs Cmpany”, où Joe est assisté par N.O.R.E. Un morceau où se mêlent egotrip gangsters, lyrics hyper conscients, et flows incroyables.
New-York Baby
Dès les premières notes du morceau, l’ambiance musicale assurée par les Ghetto Professionals et The Beatnuts, on est jetés d’un coup dans les rues du Bronx, avec ce coup de sirènes de police et cette instru à la boucle un peu oppressante ou plutôt stressante. D’ailleurs, de nombreux bruits (des bruits de voiture par exemple) ont été posés ça et là pour rendre tout ça plus stressant, et nous faire sentir comme si nous étions en train de marcher dans les quartiers de New-York en suivant Fat Joe.
Ces boucles un peu stressantes, sont très caractéristiques du rap East Coast des années 90. Et plus que l’instru en elle-même, voir Fat Joe, N.O.R.E. (du célèbre groupe CNN) et The Beatnuts collaborer sur un même morceau, ça reflète énormément l’esprit du rap de la Grosse Pomme à l’époque : du rap presque “en famille”, avec des artistes qui ont tous les mêmes origines latinos (porto-ricains pour la plupart, cubain un peu également) et qui préfèrent bosser ensemble, pour monter ensemble, et porter haut les couleurs de la ville.
D’ailleurs, c’est une belle coïncidence que tous ces rappeurs, avec des origines similaires, des vécus assez similaires, et qui ont grandi dans des endroits similaires (Bronx ou Queens), collaborent pour un morceau qui s’appelle justement “Misery Needs Company”. Une phrase qu’on peut comprendre de plusieurs manières, notamment celle-ci : si on est dans la merde, mais qu’on y est avec son pote, alors ça va un peu mieux que si on y était vraiment tout seul… Les liens forts aident à supporter la misère et les épreuves, voilà ce qui ressort beaucoup du rap de Fat Joe et de la East Coast, qui se décrit souvent comme un gros business familial au sein duquel Mobb Deep, Fat Joe, Big Pun, CNN et quelques autres sont réunis pour se sortir de la merde et s’envoler jusqu’aux sommets.
Gangsters déterminés mais lucides
Le nom de l’album donne le ton de ce morceau : “Don Cartagena”, du nom d’une ville colombienne que connaissent les amateurs de films sur les cartels de la drogue. On a donc le droit à un egotrip gangster, mais où les actions de Fat Joe sont justifiées par le fait d’être dans la merde. Plus que ça, il nargue même le système en lui rejetant ses responsabilités en pleine face : “And who’s to say that I’m to blame(blame), We only pawns in this game(game), The streets don’t grow cocaine”. Ce n’est pas les rues de New-York qui font pousser la coke que deale Joe dans sa musique, elle arrive donc bien de quelque part. Des gens la font venir, et d’autres permettent que ça se produise. Pourtant, Joe a l’impression que les siens sont les seuls à subir les méfaits du trafic de drogue, et à se faire emmerder par les keufs…
N.O.R.E., dans son refrain, veut augmenter la pression en mettant l’accent sur le stress de cette “street life”, même s’ils savent qu’ils y sont accro, comme Joe le répète dans son premier couplet. Noreaga, lui, dans son refrain, décrit les rues de son quartier avec ses renois excités, qui sont dans la compétition comme les rappeurs, mais qui sont quand même effrayés par l’attitude des deux MCs et leur vécu. Même les policiers dont il fallait se méfier admirent leurs posters désormais.
Un statut de star qui n’empêche pourtant toujours pas Joe d’être suivi par les fédéraux partout où il va : “This illegal life i can’t avoid, i take the feds everywhere i go, that’s why i’m paranoid”. Joe est conscient de bien trop attirer l’attention avec son mode de vie gangsta et clinquant. Et d’ailleurs, il sera arrêté à peine une semaine après la sortie de son projet, pour avoir agressé un homme à la batte de baseball et avoir tenté de lui voler sa chaîne. Un morceau prémonitoire, on peut le dire. Et surtout le symbole de mecs qui sont intelligents, conscients de leur situation, des problèmes qu’elle comporte, mais qui continuent tout de même d’adopter l’attitude ghetto, alors même qu’il s’apprêtait à devenir multi-millionnaire grâce au rap. Le vrai Fat Joe de cette époque, ghetto à la vie à la mort.