Beaucoup de rappeurs ont marqué l’Histoire de cette musique au fil des années. Mais ceux dont on peut dire qu’ils comptent parmi les architectes du mouvement, et que sans eux, rien n’aurait été pareil, sont déjà moins nombreux. Et Shurik’n fait partie de ces architectes, de ceux qui ont donné au rap français ses lettres de noblesse. D’abord avec IAM évidemment, avec trois albums sortis dans les 90’s, dont le dernier, “L’Ecole du Micro d’argent”, est le classique par excellence du rap français.
Mais également en solo, car son premier album solo “Où je vis”, sorti en 1998 avait profondément marqué l’esprit des auditeurs de rap par son côté très personnel, très intimiste et également très bien écrit, et engagé. Un album bien plus sombre que ne l’étaient les projets d’IAM, avec beaucoup moins d’humour et de bonne humeur. Un rap collé au quartier et à ses problèmes, voilà ce que nous propose Shurik’n, une posture qui est parfaitement visible dans son morceau classique “Les Miens”. C’est là-dessus qu’on va se pencher aujourd’hui.
L’amour du hip hop
Ce morceau est important car il aborde un des thèmes les plus beaux de la large panoplie de sujets abordés par le Rap, à savoir : le rap lui-même, et la façon dont l’arrivée de cette culture a bouleversé la vie du rappeur. Sur “Les Miens”, Shurik’n va parler de la manière dont le rap l’a aidé à s’en sortir, parlant de son rapport à cette musique, et ce, malgré le fait que personne n’y croie. C’est d’ailleurs avec ça qu’il commence ses deux couplets : “Tu te rends compte, on l’a fait, plantés au métro toute la journée, Aujourd’hui on est artistes reconnus, renommés”. Même lui a du mal à croire à son succès, et au million de ventes de “L’Ecole du Micro d’Argent”, car il se voyait comme un galérien sans beaucoup d’avenir à l’époque.
Ses parents n’étaient d’ailleurs pas plus convaincus : “Pourtant j’me revois dire à mes parents je fais du rap j’arrête le taf, j’ai cru qu’ils allaient me tuer, mon père m’aurait bien collé quelques baffes”. Mais Shu et ses potes étaient obsédés, matrixés par le hip hop dès le premier contact, comme IAM l’affirmait dans “Bouge la tête”. D’abord graffeurs pendant un court moment, ils ont vite basculé vers ce qui les attirait vraiment, à savoir kicker, et fort : “Coller nos prénoms sur les murs, ça nous a plu un temps très court, ce qu’on voulait tous, c’était déchirer sur la mesure”.
Le rap était donc un truc de fou dans lequel Shurik’n a embarqué les siens, sans savoir ce qui allait leur arriver, mais certains que c’était ce qu’ils voulaient faire. Le MC s’est totalement abandonné à sa passion lors de sa jeunesse, lui qui a commencé au milieu des années 80. “Accro du micro, ça nous a aidé à lire plus de bouquin, à moins faire le malin, à vouloir continuer même si demain c’est loin” : la musique, autant que la rue, a rempli le rôle d’école de la vie pour Shurik’n, qui a appris à persévérer et être patient, sans savoir si quelque chose de bien allait finir par arriver. Une qualité apprise grâce au rap, que le marseillais remercie de tout son cœur, car il a permis à un jeune gars coincé dans son quartier comme lui d’élargir ses horizons et de prendre son envol. “Musique rap, rap, musique que j’aime”, chantait Zoxea un an après ce morceau de Shurik’n, et Shu est certainement d’accord avec ça !
L’importance de la mentalité du quartier
Le deuxième aspect important du morceau, c’est la manière dont Shu’ rattache toute son oeuvre et son parcours à la rue et à ses proches, avec qui il a fait les 400 coups. Ces aventures urbaines sont indissociables de l’envie de faire du rap, car les deux choses sont liées dans sa tête : c’est la galère et le désœuvrement qui ont poussé le MC à se tourner vers la production artistique, on le voit dès les premières lignes lorsqu’il parle du métro. Mais plus important encore, il voit le rap comme une aventure collective, dans laquelle il s’embarque avec ses collègues. Cet esprit de famille, de clan, est hyper important dans le rap game : rester parmi les siens, ceux qu’on aime vraiment, c’est la garantie d’avoir moins de problèmes, d’être moins exposé aux trahisons, et moins vulnérable, grâce au nombre.
Des liens d’amitiés forts, forgés dans la misère : “L’arrêt de bus devenait squat quand il pleuvait, vu qu’on était dehors même quand les sacs à puce se planquaient”. A la recherche de l’argent, de la bonne combine, ou de quelque chose à faire simplement, Shu et les siens restent raisonnables : “Ambitieux pas au point d’agresser l’écureuil”, faisant référence à un braquage de banque. Tout ça a contribué à créer une “mentalité du quartier”, avec des liens très forts, des amis qui deviennent plus importants que certains membres de notre famille, la misère qui provoque l’ennui et la colère, une colère qu’on cherche à évacuer en groupe. “Les buildings sur la tête, on en voulait au monde entier sur des rythmes effrénés”, rappe Shu dans ce morceau. Et cette galère, elle renforce les liens, entre ceux qui savent qu’ils font partie du même bateau. Car se serrer les coudes et avancer ensemble, c’est la seule solution pour vivre sans avoir envie de se tirer une balle…
Une mentalité du quartier qui prend donc racine dans la rue et les aventures qu’on y vit avec nos proches, qui peut resserrer les liens entre les gens. Les proches, pour Shurik’n, c’est la base de tout, et on le voit bien dans le refrain : “Un homme seul est viande à loup, Moi, si j’encaisse trop, je sais qui rendra les coups”. Ses proches sont une véritable protection contre les agressions du monde extérieur. Et surtout une ancre qui lui évite de dériver et de se perdre : “Dix ans de carrière ont passé, gazier, beaucoup de disques écoulés, si on faisait de la variété, on réveillonnerait chez Barclay, en deux navets on serait gavés. Pire, peut-être qu’on ferait construire à Saint-Tropez pour flamber en cabriolet, c’est pas le genre de la maison”. Ce vécu, cette proximité avec les siens qui ont vécu les mêmes choses que lui, lui interdissent de faire de la soupe musicale sans saveur. Il hisse bien haut le blason du rap marseillais, dix ans après le début de sa carrière, pour montrer à tut le monde qu’avec une bonne équipe et de la détermination, tout est possible. Même sans vendre ses fesses à Barclay. Et ça, c’est 100 % hip hop, comme mentalité, alors on valide fort !