Focus : Le rap italien, trop longtemps ignoré

Les rappeurs qui ont eu le malheur de naître ailleurs qu’aux Etats-Unis ou en France, principaux consommateurs de rap jusqu’à il y a peu, ont souffert d’un phénomène de sous-exposition assez fort. Certains passaient de temps en temps dans des émissions spécialisées sur Skyrock, mais avant internet, personne en France ne connaissait de rappeurs ne venant i des USA ni de l’Hexagone. Depuis, la donne a été redistribué, et vous pouvez accéder tranquillement au contenu de n’importe quel artiste partout dans le monde ne quelques clics.

Ce qui nous fait découvrir une multitude d’artistes incroyables. Aujourd’hui, on a décidé de s’arrêter un peu sur le rap italien, car nos voisins du Sud fourmillent d’idées et de talents incroyables. Parce que l’Italie a aussi connu ses vagues de migrations, créant un métissage nécessaire à l’émergence d’un esprit hip hop. Du coup, leur rap et le notre ont plusieurs choses en commun, même s’ils ont aussi de sacrées différence. Et ça ne date pas d’hier.

Une culture bien ancrée

Comme chez nous, c’est dans les années 80 que la vague hip hop atteint l’Italie, à l’état embryonnaire, avec quelques fous qui dansent sur la tête et d’autres qui se mettent à rapper sur des samples “volés” aux hits disco et funk du moment. Puis ils ont eux aussi connu leur “âge d’or” au milieu des années 90, avec l’apparition de certains MCs dont certains, comme Guè Pequeno ou Marrakash, sont encore présents aujourd’hui.

Dans les années 2000, c’est l’heure pour eux de passer au rap “indsutriel”, comme nous dans ces temps-là: énormément de productions, beaucoup de ventes, et des MCs qui prennent énormément d’ampleur, comme Fabri Fibra dont les sons étaient même parvenus jusqu’en France. Jusque là, le rap français et italien se ressemblaient beaucoup, avec des thèmes qui parlent évidemment du déracinement, du racisme, de la pauvreté, la délinquance, même s’ils jouent beaucoup plus sur les clichés, vis à vis de la mafia et la délinquance en général.

La scène va se diversifier, se densifier, et même se délocaliser. La majorité des rappeurs connus étaient issus des régions autour de Milan, ou de Rome, mais assez peu. On a ensuite assisté à une véritable explosion de la scène Napolitaine, avec des groupes comme Co’Sang dont le rappeur Luchè est encore très actif aujourd’hui. Et on en arrive aujourd’hui à ce second âge d’or, où les scores sont très hauts, la scène, très diversifiée et compétitive, avec des idées qui arrivent constamment.

De vrais personnages

Un des travers du rap français, ça a souvent été un certain esprit assez conservateur, une mentalité peu propice aux évolutions. En 2018, des gens ragent toujours après l’autotune, par exemple. Généralement, on peut dire qu’on aime pas trop lorsque la personnalité d’un chanteur n’est pas la même dans ses sons que dans la vraie vie, car on accorde beaucoup d’importance au vécu et à l’attitude qu’on doit avoir. Les italiens, loin de ces barrières, sont complètement décomplexés, et puisent leurs influences où bon leur semble. Terminée, la street-credibilité, ils sont là pour donner de la bonne musique aux gens. On pourrait par exemple parler de Guè Pequeno : il a débuté dans les années 90 sur du rap old school, et est aujourd’hui plus en forme que jamais avec des morceaux aux visuels incroyables, comme “Salvador Dali” avec Marracash.

Dans ce morceau complètement egotripé, les rappeurs font référence à un peintre espagnol et se griment complètement n’importe comment, mais le son et le clip sont tellement bien faits qu’on ne peut que les féliciter. Une prise de risque qui pourrait paraître audacieuse en France, où un “vrai gars” ne peut pas s’habiller de telle manière sans qu’on pense qu’il soit homo. Comme si s’habiller avec des vestes fluo t’empêchait d’avoir vécu en banlieue dans la galère. Guè Pequeno est un exemple de longévité, d’inventivité, et une personnalité très charismatique dans ce rap italien. Avec sa maladie de l’œil, qui le force à le maintenir à demi-fermé, il a une vraie gueule de méchant, et est capable de poser dans les morceaux les plus hardcore comme les plus dansants sans se soucier des étiquettes, avec un succès au rendez-vous depuis 20 ans.

Son pote Marracash, lui, est marocain d’origine et très vieux dans le game lui aussi. On les retrouve souvent à deux, ou sur un bon feat avec la nouvelle génération, un passage de témoin très fréquent dans le milieu. Les deux sont issus de la scène milanaise, et ont surfé sur les nouvelles sonorités pour se renouveler, avec ou sans autotune. Des nouvelles sonorités exploitées à merveille par la nouvelle génération hyper talentueuse et créative. Sfera Ebbasta, par exemple, vient aussi de Lombardie, et il est devenu en l’espace de quelques années la nouvelle grosse star en Italie. Il faut dire que c’est lui qui s’est en grande partie chargé d’importer la trap en Italie. Encore un personnage complètement fou, avec ses cheveux rouges, ses piercings et ses flows incroyables. Si Sfera a été l’interprète de la trap, c’est le DJ Charlie Charles qui en a été l’architecte. Sorte de Metro Boomin italien, il se charge de la production de 90 % des hits rap de l’autre côté des Alpes.

Une sorte de Gucci Mane en version DJ, toujours derrière ses platines à nous préparer des tueries avec la crème du rap. Ses prods feraient passer certains de nos beatmakers français pour des vulgaires animateurs de salle des fêtes, comme sur “Bimbi”. Un morceau “all-satr” où on retrouve tous les meilleurs de la nouvelle scène sur une instru folle. On retrouve d’ailleurs, entre autres, Rkomi, le petit prince italien, celui qui a tout compris, qui est le plus technique, plus percutant, qui rappe mieux que tout le monde. On voit également Ghali, un des plus fous, le hitmaker, celui dont les chiffres de vues feraient pâlir n’importe quel rappeur français. Il ne nous reste qu’à mentionner le DARK POLO GANG, ceux qui poussent l’art de la sape beaucoup trop loin. En vérité, on ne peut tous les citer, car de nouvelles têtes apparaissent tous les mois. Une scène hyper active sur laquelle on devrait plus se pencher dans les prochains mois.

En termes de commercialisation, de musicalité, de qualité de production, d’interprétation, nos rappeurs français ont beaucoup à apprendre de leurs voisins du Sud. Pas sûr qu’ils prennent la peine de regarder jusque là bas, du haut de leur arrogance. Mais certains, comme Lacrim ou SCH, ont déjà ouvert la porte à plus de ponts entre nos deux raps. D’autant que les italiens sont aussi très fans de rap français, évidemment. On espère voir plus de feats entre tout ce petit monde en 2018 !

Rémi
Rémi

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