Quand la FF nous livrait son “Art de Rue”

Le virage du deuxième album n’est jamais facile à prendre pour un artiste. Il l’est encore moins dans le rap, où la fanbase sera très attentive à l’évolution entre le premier et le second projet. L’évolution musicale, mais aussi l’évolution personnelle : les gars sont-ils toujours crédibles en mecs de rue ? Sont-ils devenus trop riches pour pouvoir ressentir l’âme des quartiers ? Des questions qui ont leur importance lorsqu’on est la Fonky Family, et qu’on s’est construit en revendiquant une opposition frontale au système.

Car depuis leurs premiers pas, les rappeurs de la FF, Le Rat Luciano et Don Choa en tête, scandent dans leurs sons : ” on nique la musique de France ”, faisant parfois l’éloge d’un mode de vie complètement parallèle et illégal comme dans ”L’Amour du Risque”. Et tout ça, avec beaucoup de talents. Entre ”Si Dieu veut…” et ”Art de rue”, presque quatre ans se sont écoulés, durant lesquels les marseillais ont fait le show sur toutes les scènes de France, participé à la BO de Taxi (entre autres), sorti un ”Hors série vol.1” devenu un classique, bref, ils se sont imposés comme des figures incontournables.

Pas facile de continuer à nous livrer des albums aussi ”street” alors qu’on est devenus de vraies stars, certifiées par un double disque d’or. L’attente à la sortie de ”Art de Rue” était donc pesante. Et les résultat à a sortie du projet le montrent : leur deuxième vrai album est sacré disque d’or en moins d’un mois, preuve que les gens étaient demandeurs. Mais qu’en est-il du contenu et de sa réception par la critique et le public ? On va se plonger un peu plus en détails sur ce projet devenu un classique.

”Un classique, mais…”

Une rapide recherche sur internet vous conduira vers un nombre assez remarquable de chroniques sur ce projet, et globalement, toutes ont un peu la même analyse : ” Art de Rue est un classique, mais…”. Que reproche-t-on à ce projet, exactement ? Principalement la prétendue ”faiblesse” des prods. Il faut préciser que cet album a été produit à plusieurs mains, celles expertes de Pone, naturellement, mais aussi celles, novices cette fois, du Rat Luciano. Le Rat venait alors de se mettre à la production, et les gens sont assez peu satisfaits par la fraîcheur et la naïveté que ça apporte au projet.

C’est notamment lui qui est à l’origine de la prod de ”Histoire sans fin”, morceau souvent accablé de reproches, pour la prod, et une interprétation pas forcément optimale de la part des MCs. C’est oublier que même sur leur premier projet, la FF avait déjà ce même problème, notamment à cause d’un Menzo, et que globalement, ça a toujours fait partie de l’identité du groupe. Leur reprocher ce qui faisait leur originalité auparavant est un peu idiot, car contrairement à IAM ou NTM, la FF a toujours ce phrasé et ces constructions de phrases assez simples, en employant un langage très populaire.

On peut effectivement reconnaître que les paroles sont peut-être un peu moins percutantes que par le passé. Mais on préfère voir, ici, une volonté de pouvoir s’ouvrir à un public encore plus large, plutôt qu’une flemme des rappeurs. Et des morceaux comme ”Art de Rue”, ou ”Petit Bordel”, sont des singles vraiment efficaces qui peuvent avoir leur place en soirée et faire bouger les gens, ce qui était quasiment impossible avec leur premier album (qui ne pouvait faire bouger les gens qu’en concert). Et il ne faut pas oublier que cette notion de rythme, de faire danser les foules, a toujours fait partie du hip hop depuis ses débuts, et si le rap français l’a souvent oublié, ça n’est pas nous qui allons reprocher cette tentative à la FF.

Un album beaucoup plus varié

Ce qui fait la faiblesse de ce projet fait pour nous sa force : on y trouve absolument de tout, des textes conscients, d’autres assez bêtes, des titres assez agressifs, d’autres beaucoup plus poétiques, avec une insouciance et une naïveté assumées qui sont devenues inséparables de l’identité du rap marseillais (jusqu’à Jul encore aujourd’hui, qui incarne le plus cette ”insouciance”, parfois jusqu’à la bêtise). Mais la FF n’en est pas pour autant devenue un groupe pour adolescents. C’est devenu un groupe pour tout le milieu populaire, qui rappe pour tous les pauvres et les gens en difficulté de France, avec cette logique du ”nous contre eux’ toujours aussi présente. Ils restent un groupe ultra-lucide, comme en témoigne le morceau ”Mystère et Suspense” : ”à voir l’état de ces rues et leur évolution, on se demande à quand l’émeute, la révolution ? Hé du coup, si j’pose autant d’questions c’est qu’j’ai pas les solutions, que faire quand y a rien à la clefs de nos bonnes résolutions ?”

FF continue d’attaquer ses cibles favorites : le système carcéral, l’état en général, les huissiers (dans ”Nique Tout”), la police, en continuant à être les témoins fidèles de leur époque. Ils parlent notamment toujours aussi bien de la jeunesse qui a changé, après les échecs des grands frères à se faire acceptés. Elle est devenue plus violente, plus prompte à se laisser tenter par ”l’autre voie”, elle veut profiter pleinement de tous les plaisirs de la vie qu’on lui promet à la télé : les filles, l’argent, les voitures, l’alcool, etc… Dans ”Tonigt”, on les retrouve dans une sorte de story-telling assez réussi, dans ”Nique Tout”, on les voit énervés au maximum, bien décidés à faire l’éloge de la violence contre l’ordre établi, et sur le morceau ”Dans la légende”, on les entend à un niveau auquel ils ont rarement été auparavant. Le discours est simplifié, clarifié, ça ne part plus dans des envolées mystiques ou spirituelles comme le Rat pouvait en faire sur le premier album (ça avait son charme ceci dit). Sat nous livre un couplet assez incroyable, et il faudrait sûrement un article rien que pour ce morceau, un autre pour ”Mystère et Suspense”, et peut-être même un autre pour ”On respecte ça”.

Et ces textes parfois assez violents côtoient des singles assumés : ”Art de Rue’‘, ”Petit Bordel”, ou ”Check 1,1,1”. Assez peu d’invités sur cet album, même si on n’échappe pas au fameux posse cut avec leurs potes de la scène du Sud, d’un niveau un peu moins bon que l’ancien, ”Marseille envahit”, c’est vrai. Un album plus ouvert donc, et pas forcément moins bon. Si certaines prods du Rat peuvent paraître un peu moins abouties, celles de Pone (les pistes 1, 2, 4, 6, 7, 8, 10, 12, 13, 15 et 16) sont elles de vrais chefs d’oeuvre, et beaucoup font partie de ses meilleures instrus. Même Menzo rappe mieux que sur le premier album du groupe. Alors ne faisons pas les difficiles, et savourons ce classique de la Fonky Family !

Rémi
Rémi

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