10 ans déjà… L’air de rien, tout s’accélère de plus en plus pour notre rap game, qui évolue à une vitesse toujours plus rapide. C’est pour ça que c’est important de faire des retours sur certains projets et morceaux emblématiques d’une époque. Et des projets marquants, Seth Guex en a sorti quelques uns. Du haut de ses presque 15 ans de rap dans les pattes, Seth se place aujourd’hui dans les anciens de la scène hip hop bien plus que dans la nouvelle génération, et ses derniers morceaux comme ”Titi parisien” ou ”Maître de Cérémonie” le montrent : le MC de Saint-Ouen l’Aumône est aujourd’hui plus accompli, et donc plus apaisé.
Mais ça n’a pas toujours été ainsi. A vrai dire, lorsqu’il débarque avec son projet ”Patate de Forain”, Seth est l’un des MCs à la plume la plus agressive du moment, avec des lyrics qui sont parfois ultra violent, mais toujours remplis d’humour et d’images hautes en couleurs. On ne sait pas si son rap sent plus les rues de la banlieue, ou les camps de gitan, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a une véritable odeur de France populaire, celle des chansons paillardes, des chauffeurs de poids lourds, des piliers de bar, de la misère, et de la débrouillardise. Son argot très varié, très poussé, avec des mots de gitan, d’arabe, de vieux français, n’est pas fait pour plaire à tous les publics, mais c’est justement ce franc-parler particulier qui l’a rendu célèbre dans toute la France. Car au fond, il utilise les mots de tout le monde.
Avec ”Patate de Forain”, on touche à la perfection de ces projets incroyables qui pullulent dans les années 2000 : les fameux ”street-albums”, formats complètement abandonnés aujourd’hui à notre grand regret. Quelle est la différence avec un album normal ? Difficile de répondre à cette question, mais globalement, disons que le street-album est en général produit avec moins de moyens, que l’ambiance y est beaucoup plus sombre. Le rap est beaucoup plus ”brut”, moins retravaillé en studio, et donc forcément moins ouvert aux non-initiés que ne l’est un vrai album. Ça ne les empêche pas de contenir de véritables pépites, et d’introduire un univers auprès du public en attendant un projet qui sera plus ouvert. Et ce qu’on peut dire, c’est que l’univers de Seth Gueko décrit dans ”Patate de Forain” est incroyable et unique, et qu’il a beaucoup influencé le rap par la suite.
Caravanes, fusils à pompe et machines à coup de poing
Au panthéon des pochettes du rap français, celle de ce street-album figure en très bonne place. Elle résume à elle seule tout le personnage de Seth Gueko pendant tout le début de sa carrière (avant qu’il parte goûter les plaisirs de la vie en Thaïlande…). Une photo à la mauvaise qualité voulue, avec Seth qui te tient la machine à coup de poing en plein cœur d’une fête foraine, qui te tends la main sans décrocher un sourire. Avez-vous vraiment envie de rejoindre Le Gitan dans son univers ? Mieux vaut être sûr, car vous allez en prendre plein les oreilles.
Dès le début du projet, le MC nous averti : l’ambiance est au ”Pied de biche”, une manière comme une autre de dire que Seth prendra ce qu’il voudra dans ce monde, peu importe les moyens : ”Le rap biz, la chatte à son père, Aura un feat c’ui qui m’partagera sa bière, Neochrome lâche un glaire sur Natacha St-Pier, la poucave on la tèj dans la mer on l’attache à cinq pierres”. Tout est là : punchline, tempo, voix, attitude, maîtrise de la rime, avec là encore un rap très imagé et un rejet du rap game traditionnel.
Cette maîtrise de la punchline, et du vocabulaire des braquages et des affaires louches en tous genre, ponctués de name dropping (enseignes, célébrités), Seth Gueko va en faire sa marque de fabrique. Ainsi, il va faire référence à des figures populaires (Al Pacino, Jacques Mesrine, la bière Carlsberg, Guy Georges, etc…), et ça fait qu’il est très facile de voir oùle rappeur veut en venir : ”J’suis arrivé dans l’peura sans faire toc, toc, toc, le glock au top j’suis v’nu faire poc, poc, poc, prends pas Guy Georges en auto-stop, on nous a prédit l’habs dans l’horoscope”, rappe-t-il dans ”On nique tout là”.
Seth, c’est beaucoup d’egotrip, donc, mais c’ets surtout l’urgence qui transparaît ans ses sons, l’urgence de faire des sous, avec parfois des phases très ”réalistes” dans certaines de ses chansons. Si on ne peut pas le qualifier de rappeur conscient, il serait réducteur de le cantonner à son personnage de gitan gangster rigolard : Seth est bien plus que ça. Il est toujours entre l’extra-lucidité et la folie, comme dans les morceaux ”Hein mon zin-cou” ou ”On nique tout là” : ”On va en boite fêter les sorties de ry-fleu, On ressort avec des taches de sang sur la mise-che, on se tue à petit feu, au Moët et Chandon, c’est pas pire qu’un keuf qui fouette le jambon”.
De l’egotrip, mais la conscience que ce mode de vie viendra à bout de Seth et des siens. On ne va pas en faire des tonnes, le disque est un mélange d’insoumission, d’appel à la bagarre, un rejet des codes traditionnels du rap, avec par dessus tout ça donc des trips très gitans, très gangsters (parfois les deux à a fois), tout ça sur 17 titres, et avec beaucoup d’invités prestigieux comme Alpha 5.20, Rim’k, Despo Rutti ou encore Ol’Kainry. Il faudrait 20 lignes pour parler de chaque morceaux, et ça serait illisible, donc on va plutôt s’intéresser à ce que cet album a amené au rap de manière plus générale.
Professeur Punchline vous présente Neocrhome
Qu’on soit bien d’accord, Seth Gueko n’a pas inventé la punchline et n’en a pas le monopole. Lino la pratiquait bien avant lui par exemple même si c’était dans un style différent. Mais Seth l’a réinventée : il a apporté ses fameuses pucnhlines ”dicton”, alors qu’avant elles étaient plus sous forme d’images violentes envers l’état dans un but dénonciateur (le plus souvent). Et il leur a donné un côté gratuit, et uniquement divertissant, rafraîchissant à une époque (2007) où le rap se cherche, en manque de thèmes et de messages un peu trop répétés depuis 15 ans. ”Mieux vaut un mort sur les bras qu’un travelo sous les draps”, donnant un peu plus d’humour à son personnage de gangster.
Cet apport dans le rap est considérable, et c’est probablement l’héritage le plus important que ce disque de Seth a laissé, avec l’école Neochrome. Le label fait partie des plus productifs des années 2000, avec Alkpote, Seth Gueko, Zekwe Ramos, et des collabs à la pelle, avec Sinik, Despo, Booba, Diam’s, et plein d’autres rappeurs. Si on se contente des piliers, Alkpote et Seth, les deux sont caractérisés par leur maîtrise de la punchline, mais aussi par leurs rimes multi syllabiques, grâce à un vocabulaire très étoffé qui permet de toujours trouver une bonne solution de rime. ”Si je t’ouvre pas la porte, ‘est que j’suis dans la duche, le rap américain, je lui chie dans la bouche, dis aux autorités qu’on fuit dans la brosse, qu’un RMIste, c’est un lycéen qu’a du shit dans sa trousse”, voilà un aperçu de ce que ça peut donner, dans l’excellent morceau ”Merci Chirac”. Là encore, Ill des X-Men pratiquait lui aussi la rime sur plusieurs syllabes, mais Seth va rajeunir le concept.
Ces rimes multi-syllabiques vont faire cas d’école, et aujourd’hui, des MCs comme Nekfeu, ou Vald par exemple, se revendiquent d’ailleurs fans du travail de Seth Gueko ou d’Alkpote, pratique emblématique de Neochrome : ”On a l’ADN à Ben Ladden, mais on veut la BM à Ben Affleck”, qui paraît simple mais qui rime quand même 7 syllabes, avec un message sous-jacent que tout le monde comprend : on est des fils d’immigrés mais on veut de l’oseille. Le morceau ”Les Fils de Jack mess”, grand classique et qui avait permis à Seth d’être repéré pour la BO des films ”Mesrine”. Neochrome va d’ailleurs avoir son rôle dans les instrus, puisque Zekwe es rédité en tant que producteur, ainsi qu’Escobar Macson proche du label par exemple.
A ce petit jeu technique, le morceau avec Ol’kainry ”Busy dans les diez” est assez bien placé, ainsi que les morceaux ”Hein mon zin-cou”, ”J’marche avec ma clique” avec Despo, ou ”A mes yeux”. Seth est très technique, et sa technique est au service de son univers, celui d’un banlieusard du 95, influencé par les gitans avec qui il traîne, les films de gangsters ou de mafieux italiens, le rap, la chanson française, et toutes les populations qu’il fréquente dans son Saint-Ouen-l’Aumône. Un univers très vaste donc, et il fallait bien ce street album de 17 titres pour le présenter aux français. A écouter sans modération !