L’album classique “Suprême NTM” a 20 ans ! [Chronique]

Qu’est ce qui fait qu’un album devient un classique, ou un succès commercial? La promotion, le fait que l’e projet “trouve” son public, la qualité, l’innovation? Peut-être un peu de tout ça, les facteurs sont multiples. Mais quand un disque marque les esprits à un point où 20 ans après, tout le monde se rappelle de presque chaque seconde de l’album, il s’agit de plus que ça. Un véritable phénomène de société, voilà ce qu’a été le projet “Suprême NTM”, du groupe NTM, évidemment. Le duo du 93 a livré, le 20 avril 1998, sa pièce maîtresse.

Pourtant, l’album n’est pas forcément bien meilleur que le précédent, “Paris Sous Les Bombes”. Certains estiment même qu’il est assez inégal, contenant des titres assez anecdotiques, qui côtoient d’autres morceaux légendaires. Pourtant, c’est bien avec celui-ci que le groupe a vendu 40 000 exemplaire le premier jour de sa sortie, un score irréel, même aujourd’hui en comptant les streams. Un succès qui s’explique peut-être aussi par la dimension nouvelle prise par le groupe depuis leur condamnation pour leurs propos contre la police lors d’un show en 95. Un véritable débat s’est créé, les rappeurs ont pu venir à la télévision, et surtout, Skyrock explose, évidemment.

Mais le côté médiatique ne peut pas être la seule explication. Le projet marque un véritable tournant dans le rap français, avec des instrus d’un nouveau genre, et même si le grand nombre de producteurs (Spank, Madizm, Sully Sefil, LG Experience, Sulee B Wax) fait qu’on n’a pas une véritable cohérence musicale, on a globalement franchi un pas en termes de qualité des prods. NTM n’a pas oublié que la base d’un grand succès en rap, ça a toujours été des bonnes instrus. Sur lesquelles le duo légendaire de Saint-Denis a pu déballer tout ce qui leur restait dans leur sac avant de clore l’aventure.

Fin de l’insouciance, arrivée du pessimisme

Si le précédent opus se distinguait par un côté particulièrement insolent, frais, rempli d’énergie (jusqu’à exploser, d’où le “…sous les bombe”), avec un état d’esprit assez “positif”, “Suprême NTM” prend lui le revers complet de cette posture. On s’aperçoit que, globalement, l’heure n’est plus à l’amusement, finie l’insouciance, et on sent même une certaine peur de l’avenir, notamment sur “That’s My People”, où Kool Shen nous parle notamment de la nécessité de rester avec les siens, et de rapper pour eux, car comme il le dit, “faut pas comprendre qu’on les aimait une fois qu’ils sont ti-par”. Il faut dire que quand l’album sort, Joeystarr a 31 ans, et Kool Shen 32. Plus le temps passe, et plus on affronte de soucis, de galère.

Cette peur du temps qui passe n’est pas la seule angoisse développée sur le projet. Une autre, par exemple, concerne l’authenticité, ou plutôt, la “perte d’authenticité” qu’ils sentent pointer dans le rap français. Voilà aussi pourquoi cet album contient énormément d’hommages et de références au 93 : ils veulent que cet album continue à coller à la rue, malgré les médias qui tentent de s’emparer du rap, et aussi du CSA qui tente de le museler et l’adoucir. A ce point de vue, “On est encore là” (et son remix en deuxième partie d’album) est assez explicite. Plus que simplement pour le rap, ils semblent même craindre globalement un recul de la liberté d’expression, avec un “retour en force de L’Ordre Moral”.

Toujours aussi engagés, avec des morceaux comme “Odeur de souffre”, “Je vise juste”, “C’est arrivé près d’chez toi”, où ils attaquent le système frontalement, là encore, on les sent plus dans l’urgence qu’auparavant. Joey Starr remarque par exemple la brutalisation de la société, avec une violence qui touche les plus jeunes : “comparés à nous, le fossé est déjà bien large, dans certains coins à quinze ans on est déjà bien barge”. Un constat partagé dans le morceau “Pose Ton Gun”, ou même “Laisse Pas traîner ton fils”. Un thème très présent dans tous les albums de 98 (et même 97 avec IAM), qui vient probablement du fait que les grandes émeutes urbaines et les cris d’alerte des rappeurs n’ont eu aucun effet sur les politiques du gouvernement. Les inégalités continuent de s’accroître, les gens sont de plus en plus à cran, avec possibilité d’explosion, et NTM sent venir une véritable cassure, d’où l’urgence omniprésente sur le projet. Une attitude un peu empruntée à ce qu’on voit sur la côté Est depuis 95 et le “The Infamous” de Mobb Deep. Et ça n’est d’ailleurs pas le seul point commun avec le duo new-yorkais, qui a beaucoup influencé le rap français, en particulier à l’époque.

Inégal, peut-être, mais certains sons sont parfaits

Car c’est surtout au niveau des productions que l’influence de Mobb Deep se fait sentir. Les instrumentales sont plus léchées, perfectionnées, avec des BPM un peu ralentis par rapport aux précédents opus. Les instrus de “That’s My People” ou “Laisse Pas traîne ton fils” font par exemple clairement écho à ce qu’on peut trouver à New-York depuis 4 ans. 1998, c’est l’année où a France a “rattrapé” un peu de son retard sur les USA en termes d’ambiances. On touche là à la perfection, avec une alliance de la forme et du fond, tous le deux plus épurés pour ne contenir que l’essentiel.

Un effort qui n’est pas constant sur tous les morceaux, c’est vrai. “Je vise juste” ou encore “Respire” sont un peu faiblards comparés aux autres titres du projet. C’est dommage, surtout pour le second, car il était un des deux seuls morceaux un peu plus funky de l’album, avec “Ma Benz”. Des respirations qui sont les bienvenues, mais le duo du 93 a bien plus travaillé son côté hardcore qu’ambianceur sur ce disque. Enfin, ça se discute : d’un côté, il y a moins de sons du style “La Fièvre” ou “Pass Pass le oinj”. Et d’un autre, il y a beaucoup plus de singles au fort potentiel radio.

Là est le paradoxe de l’album “Suprême NTM” : des titres véritablement légendaires comme “That’s My People”, “Seine Saint-Denis Style”, “Laisse pas traîner ton fils”, côtoient des “C’est arrivé près d’chez toi” ou  “Je Vise Juste”. Mais en même temps, ceux qui font ce reproche à l’album oublient que un disque de rap parfait avec que des singles du début à la fin, de la cohérence, une aura, ça n’arrive presque jamais. Et avec ce dernier album, le groupe NTM fini d’écrire sa légende, en faisant d’ailleurs pas mal de clins d’œil au chemin parcouru jusqu’ici par leur rap. Cet album contient tout ce qui manquait à la discographie du groupe pour les faire passer au statu de tandem emblématique, à tel point qu’ils ont longtemps été le groupe de rap le plus connu, même par ceux qui n’aimaient pas cette musique. Ce disque marquera aussi la “fin” (ils ont recommencé à faire des concerts, et même des featurings, plus de 10 ans après la séparation) de l’aventure commune entre Joey Starr et Kool Shen, qui ont fondé chacun leur label pour continuer en solo. Mais y avait-il encore des choses à dire, après avoir sorti un album d’une telle ampleur ? Pas sûr. En tout cas, on souhaite un joyeux anniversaire au projet, qui n’a pas pris une ride.

Rémi
Rémi

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