CLASSIQUE RAP FRANCAIS
De retour cette semaine pour notre traditionnelle rubrique du Retour vers le classique. Délaissons quelques peu nos confrères américains pour nous concentrer d’avantage sur ce qui se fait dans l’Hexagone. Comme d’habitude, il y a toujours du bon à faire ressortir, à (re)découvrir. Une fois n’est pas coutume, on s’oriente vers un artiste encore inconnu de nos articles jusqu’à présent, et il s’agit de Pit Baccardi avec le morceau “Si Loin De Toi”.
Pit Baccardi se fait rapidement connaitre dans le milieu du rap français de par sa présence au sein du collectif Time Bomb. Au cours des années 90, il participe à de nombreux albums et autre compilation, multipliant les featurings avec divers artistes (Oxmo Puccino, Akhenaton, Arsenik,…). Il instaure peu à peu sa place jusqu’à enfin se démarquer en solo avec son premier album éponyme paru le 22 juillet 1999. Un album qui réussit à conquérir le public (et que l’on peut aujourd’hui raisonnablement considéré comme un classique du rap français). Parmi les différents titres de qualité, Pit Baccardi sait se mettre en avant avec le single “Si Loin De Toi” en hommage à sa mère disparue. Oxmo Puccino lui-même y fera référence dans son classique “L’Enfant Seul” que nous avons déjà vu ici:
“perdre sa mere c’est pire, demande a pit’ j’t’assure t’as pas saisi, enleve la mer de la cote d’azur”
En guise de réponse, c’est ainsi que Pit commence son premier couplet (“J’ai pas eu besoin d’enlever la mer de la côte d’azur”). Baccardi laisse libre cours à la poésie de sa plume tout au long du son, nous délivrant des phases d’un lyrisme puissant: “L’absence est à l’amour ce qu’est au feu le vent attiseur”. Il nous livre ses pensées face au deuil et s’avoue démuni (“Je suis cet arbre sans feuilles ce stylo sans encre”) un ressenti général face à la mort. Egalement, le thème de la religion est abordé, puisque le rappeur fait régulièrement référence à Dieu tout au long du son (“Christ, est-ce une manière de me dire/Dois-je en vouloir à la vie ou à Dieu/Où est le diable ? plus je grandis plus Dieu est petit”). De par ses trois phases, qu’on retrouve respectivement au premier, second et troisième couplet, on peut noter la perte de confiance du MC qui d’abord s’interroge, puis laisse place au doute et enfin, ne semble vraiment plus y croire. Ce qui renforce l’idée de désespoir au cours du son. Du reste, les figures de style et la technique ne sont pas laissées de côté (“La vie me fait rire, me fait pleurer, me fait même pleurer de rire”), alors même que le flow est posé, extrêmement calme, rythmé par la guitare pincée à la prod, l’artiste semblant livrer une sorte de lettre ouverte dans un morceau qui se veut volontiers introspectif: “Qui sait ce que j’ai ressenti au moment/Ce n’était qu’un rêve…” Le troisième couplet fait place à un accablement certaine et un assombrissement des pensées de Pit (“J’ai le mal de vivre”), versant même dans le morbide qui sonne comme un appel à l’aide (“La vie me va mal, la mort m’ira peut être mieux” ou encore “Mais je serais peut-être mieux mort que vivant maman”). L’artiste allant même jusqu’à évoquer le suicide (“J’ai songé au chemin le plus court mais est-ce vraiment un raccourci ?”). A cette profondeur des couplets dans l’écriture et les images qu’ils renvoient, s’oppose la simplicité du refrain qui, au final, ne fait qu’énoncer la portée et le sens même du son (“Si loin de toi je suis si seul tu me manques/Si loin de toi je suis si seul tu me manques maman”). Enfin, avec une forte gravité, Pit Baccardi achève son texte avec une sombre conclusion:
“Je te rejoindrais au paradis dans un train d’enfer”
Un morceau fort, sensible, qui témoigne de la très belle plume du rappeur qui n’hésite pas à se livrer de façon intime, sincère et touchante. L’hommage envers les mères n’est certes pas une nouveauté dans le rap, mais nous sommes assurément là en possession de l’un des plus vibrants. Un classique, tout simplement intemporel. Une pensée à toutes celles partis trop vites…
https://www.youtube.com/watch?v=1i-XTFOK6jg