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Quand le reggae se mêle au rap

On le sait, si le rap s’est formé et a évolué au cours de nombreuses années, revêtant encore aujourd’hui différentes formes (à ce titre, je vous conseille l’article explorant le phénomène de la trap), il est assez difficile de lui donner une véritable base. Beaucoup diront que ce style n’est autre qu’une sorte de pot pourri de différents autres genres qui, d’une façon ou d’une autre, auront influencé notre genre préféré. Cependant, de par ses affiliations logiquement plus fortes avec la musique noire, on pourra lui trouver certaines affinitées plus poussées avec certains styles. Notamment un en particulier sur lequel aujourd’hui portera toute notre attention: le reggae. Genre phare de la musique noire, il est pratiquement assez logique dans un sens qu’il se lit avec le rap. C’est donc l’occasion de décrypter ce phénomène.

Reggae, rap… Même combat ?

Lorsque je disais que l’on a un peu de mal à situer les origines même du hip-hop, on peut cependant s’appuyer sur quelques éléments sûrs. A commencer par un certain Kool Herc, père du hip-hop dans son ensemble, et d’origine…jamaïcaine. Eh oui, déjà on peut commencer à tisser quelques liens. D’ailleurs, afin de donner toute son importance au pays, il déclarait lui-même:

“hip-hop, the whole chemistry of that came from jamaica”

Ainsi, puisant dans les codes de la musique rasta, le hip-hop a pu commencer à se faire une identité, se positionnant comme une sorte de petit frère du reggae. Kool Herc mais également Grandmaster Flash ont donc participé à la propagation de cette culture. Et d’ailleurs, si l’on s’attarde sur d’autres aspects, on retrouve encore ce reggae. A commencer par le “toasting”, ce terme jamaïcain que l’on ne peut traduire en français mais qui désigne le fait qu’un artiste vienne poser sa voix sur une instru. En clair: la base même de ce que tout rappeur entreprend à l’origine. Le toast se retrouvera donc dans de nombreuses block parties de New-York, elles même déjà héritées des sounds systems jamaïcains. En bref, de par sa composition, ses sonorités et son utilisation, le hip-hop se calque sur le reggae qui lui sert de modèle. Mais uniquement sur le point de l’écho musical ?

Sur bien des aspects, rap et reggae se ressemblent, ou du moins se rejoignent. Et notamment sur les thèmes abordés. Certes, il ne faut jamais céder aux clichés. Pour autant, il est vrai que la plupart du temps, ceux là ne font que mettre en avant un aspect assez largement répandu. Aussi, et ce n’est une surprise pour personne, on peut difficilement dissocier le reggae de… la marijuana ! Eh oui, avouons le, il n’est pas rare que nos artistes du genre soient également des fumeurs de ganja expérimentés. Si à l’origine pour beaucoup de rasta fumer du cannabis était une forme d méditation, reconnaissons qu’on abandonne tout aspect spirituel et/ou religieux du côté du hip-hop. Cependant, qu’il s’agisse d’en vendre ou d’en consommer, nos MC’s ne sont pas en reste pour nous rappeler qu’à ce niveau, ils ne sont pas les derniers ! Mais ce n’est là pas là le seul thème commun que l’on retrouve, et d’ailleurs, il y a bien plus sérieux.

Musiques noires oblige, et qui plus est de la même génération (encore que le reggae soit tout de même plus vieux), la lutte contre le racisme reste un sujet régulièrement abordé. Il faut dire que la Jamaïque, pendant plusieurs années sous l’égide britannique (au XVIIème siècle précisément), est un territoire ayant été fortement impact par la traite négrière. L’indépendance retrouvée, la jeunesse jamaïcaine a depuis toujours été confronté à la suprématie blanche qui lui a été imposée. Aussi, cela se traduit par la musique, et le questionnement sur l’égalité blancs/noirs. Avec l’arrivée du rap, ce questionnement peut prendre d’avantage d’ampleur, la place prépondérante accordée au texte laissant libre cours à la traite du sujet. Le rap peut donc, avec le temps et l’influence jamaïcaine (qui se traduit également par l’immigration aux Etats-Unis) devenir le fer de lance de l’expression de la minorité noire. Ainsi, les deux frères rap et reggae tombent d’accords sur leurs opinions politiques.

Il y a également un effet miroir qu’il est bon de relever. Certes, le hip-hop (et donc le rap) doivent beaucoup au reggae, c’est un fait. Mais si l’élève a largement puisé dans tout ce que le maitre pouvait lui offrir, il faut bien reconnaitre que de nos jours, le vieux mentor ne se prive pas de jeter un oeil sur le travail de son pupille. Si l’on parle de changement dans le rap, il est encore plus extrême dans la musique jamaïcaine. Et ce, à tel point qu’aujourd’hui, on peut quasiment déclarer que le reggae traditionnel n’est plus. Il est en réalité d’avantage passé du côté d’un dancehall un peu particulier, qui garde certes ses fondamentaux mais puise essentiellement dans le modèle américain qu’il côtoie. Logique diront certains, c’est surtout une question de génération qui a grandit avec le rêve américain, ou du moins son image de modèle. C’est également, de façon plus bénéfique, le signe que le rap a prit suffisamment d’ampleur pour rayonner sur d’autres genres, inversant la boucle même de sa naissance ! Mais aussi, puisque l’on parlait des thèmes abordés, on retrouve aujourd’hui d’avantage de légèreté dans les propos. Les messages politiques ne sont plus guère ce que recherche le publique, et l’on se retrouve centré sur la drogue, le sexe, l’alcool et la violence. Des thèmes plus légers (façon de parler tout du moins), qui s’inscrivent d’avantage dans la fiction.

 

Le featuring parfait entre les genres… ?

Mais alors, si aujourd’hui le reggae s’inspire du rap et qu’il a complètement changé, quand est-il pour la musique ?

Gardons toutefois à l’esprit que le raggae d’aujourd’hui conserve une sonorité d’avantage club et dance que la majorité du rap actuel. En réalité, alors que je parlais de générations plus avant, c’est sur ce point qu’il faut s’interroger. A la naissance du hip-hop et du rap, le raggae était déjà installé depuis un bon moment, avec ses sons et ses artistes représentatif. Si le double H a su s’en imprégner pour exister, il a surtout eu par la suite l’intelligence de s’en démarquer suffisamment pour s’en remettre à ses propres codes. une sorte d’émancipation qui lui aura permis d’atteindre son statut actuel. Par opposition, le genre du reggae a quand à lui accuser une sérieuse perte de vitesse et d’intérêt pour l’ensemble du public. Qu’on le veuille ou non, le rap évolue dans un sens ou dans un autre, mais c’est bien parce qu’il se réinvente depuis toutes ses années qu’il progresse et ainsi, réussit à rester d’actualité et populaire. A l’inverse, le reggae n’a pas su se réinventer, tout juste a-t-il repris quelques idées et éléments du hip-hop sans le travailler d’avantage à son image, afin de lui apporter une couleur précise.

Gommons toutefois cette sombre image du reggae car, comme à chaque fois, tout n’est pas à jeter. A la manière de tout un tas de featuring (et on le sait, le rap en est friand !), le reggae a tout de même parfois pu trouver sa place. Et ce, même auprès de la jeune génération ! On pensera là notamment à Chronixx qui rejoint le jeune Joey Bada$$ sur le titre “Belly of the Beat”.

https://www.youtube.com/watch?v=kcvsoBtnNrE

Cela peut même parfois donner lieu à des projets encore plus imposants, et puisque l’on en parle, il est donc impossible de passer à côté de “Distant Relatives”, l’album commun entre Nas et Damian Marley.

image cover album Distant Relatives de Nas & Damian Marley
pochette de l’album commun “Distant Relatives” de Nas et Damian Marley

Enfin, certains artistes n’hésitent pas à se laisser influencer par les deux genres, et on se rappellera tous ce moment ou Snoop Dogg nous annonçait qu’il se tournait vers le reggae justement et qu’il faudrait dès lors l’appeler Snoop Lion. Une espèce de crise d’identité qu’une partie du public à dénigré, alors qu’en réalité il s’agissait simplement d’une volonté d’expression artistique différente !

image Snoop Lion article quand le reggae se mêle au rap
Le rappeur Snoop Dogg devient Snoop Lion en se mettant au reggae

Et c’est justement l’exemple du passage d’un artiste rap par excellence au reggae qui nous permet de réaliser que la frontière entre les deux est ténue. A l’inverse aujourd’hui on retrouve Snoop Dogg avec son album “Neva Left”, mais qui sait s’il ne retournera pas du côté de la Jamaïque la prochaine fois ? On retrouvera aussi des influences de la sorte chez Wiz Khalifa, notamment sur son album “Rolling Papers” (avec son “Fly Solo” notamment). Un mix des styles qui n’est pas toujours avoué mais témoigne bien de l’influence de ces deux genres musicaux l’un sur l’autre.

Par ses multiples collaborations, on distingue bien le lien fort qui unit rap et reggae, comme s’ils ne pouvaient pas vraiment s’éloigner l’un de l’autre. De New-York City à Kingston, on retrouve ainsi l’un et l’autre. Forcément, avec une telle promiscuité artistique, on ne peut que s’attendre à une concordance véritable entre les deux. D’aucuns ne manqueront pas de dire qu’aujourd’hui, si l’on parle encore de reggae, c’est bien grâce au rap qu’il subsiste. Ce serait bien vite oublier tout ce qu’il a apporter au rap justement, et l’a quasiment engendré (le rap ne serait peut-être pas là sans !). Certains à l’inverse voient d’ailleurs dans le rap l’évolution logique que se devait de prendre le reggae. Quoiqu’il en soit, on retient principalement deux styles phares de la culture noire, qui auront su se différencier pour pouvoir exister, mais qui ne peuvent s’empêcher de collaborer à nouveau de temps à autres. Cependant une question se pose aujourd’hui, alors que l’on peut pleinement prendre conscience de l’impact du rap. S’il est devenu si prédominant, et si à l’inverse le reggae quant à lui diminue en intensité, voir pire en identité, n’est-il donc pas le temps de prononcer le divorce ? Si le rap s’en sort très bien de son côté, et sait se renouveler quand il se doit de le faire; le reggae quant à lui ne devrait-il pas également se recentrer sur lui-même, s’interroger, afin de pouvoir véritablement se réimposer comme un genre à part entière, unique et véritable… ?

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