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Quand les Lord Of The Underground débarquaient avec “Chief Rocka” ! [Classique]

Si on a beaucoup exploré les dernières années de la fameuse décennie d’or du rap, les 90’s, le début de cette Belle Epoque mérite aussi qu’on s’y attarde un peu. Car c’est à ce moment qu’ont été posés les jalons de la véritable explosion commerciale (et internationale) du rap US, avec des maisons de disques de plus en plus demandeuses des artistes rap, et des moyens de production et de diffusion qui se multiplient. On assiste surtout à l’émergence d’une nouvelle génération post NWA, Public Enemy, Rakim & Co. Place au Wu-Tang, à ‘Pac, Biggie, Snoop, puis Nas, Jay-Z et les autres futures superstars du hip hop.

Un moment où l’industrie s’empare du hip hop, et aussi où, comme une sorte de réaction, les discours anti-label et anti-industrie se multiplient. Et au milieu de tout ça, demeurent ceux qui ont conservé le hip hp sous une forme quasi identique à celle qu’il avait à sa naissance, dans les 70’s. Les Lords Of The Underground font partie de ceux-là : ceux qui ont d’abord du rap pour faire bouger les foules. Le “message” est secondaire, le rythme compte beaucoup plus, et ça n’empêche pourtant pas le groupe de toujours se rattacher au ghetto et à la rue dans les lyrics. Seulement, il y a bien trop de violence dans leurs vies respectives pour avoir besoin d’en parler tout le temps au micro.

Le groupe est composé d’un trio, les deux rappeurs DoltAll et Mr.Funke, accompagnés de leur DJ Lord Jazz. Les trois potes se sont rencontrés à l’université Shaw, et ont sorti leur premier album “Here Come the Lords” en mars 1993, il y a donc à peu près 25 ans. Un album terriblement rythmé, qui a été teasé via 5 singles. Et l’un des plus mythiques d’entre eux, celui qui a le mieux fonctionné, c’est “Chief Rocka”, sur lequel on va se pencher aujourd’hui. Un titre, accompagné de son clip devenu culte, qui leur ont valu toute l’attention de la part d’un public US déjà bien éduqué au hip hop et à tout ce qui y touche. Cette chronique, plus que celle d’un classique, sera celle de l’autopsie d’un hit, qui a rencontré son public pile au bon moment, et qui renferme une certaine version de ce qu’on peut appeler “le hip hop pur”.

Leçon de MC-ing

Le but des rappeurs avec ce premier album, et ce single, c’est de se présenter, tout en réussissant à faire danser les gens avec un morceau irrésistible. Un exercice pas facile que Mr. Funkee commence de manière brutale, avec un “Boom Shaka Laka, yo, here comes the Chief Rocka, rock it down, so jump up off the tip you’re not my nucca”. Dans cette simple phrase, il y a déjà tout le génie du rappeur en condensé, notamment en terme de flow : la deuxième partie de la rime est beaucoup plus longue que la première, et pourtant, il arrive à leur faire prendre quasiment la même place sur l’instrumentale. Un sens du rythme, et de la formule : “nucca” est un mot Yiddish qu veut dire père, assez peu utilisé, qui montre bien la culture de Funkee (il peut aussi être utilisé par les blancs comme une alternative au mot “nigga”, très connoté). Et le “Boom Shaka laka”, utilisé plusieurs fois, est une onomatopée qui viendrait du bruit que fait le cerceau au basket lorsqu’on tape un dunk.

On voit donc déjà les éléments principaux du rap des Lords Of Underground : du vocabulaire (de la culture même on peut dire), le sens de la formule et de la rime, et tout ça mis au service de la rythmique. Le “message” importe assez peu, car au final, on assiste surtout à un énorme egotrip très bien mené. Funkee veut montrer qu’il est plus fort que les autres, et on le croit : il enchaîne en espagnol, en argot des quartiers, en se demandant ce qui le rend si chaud au micro. Le tout avec une bonne dose d’humour : il pousse même le foutage du gueule jusqu’à dire “To tell you the truth, when on the mic i’ll say anything  that sounds good like “drump pan, a drump pan sound over some uuuuh”, the cat in the hat and the mouse ran up the stairs, “that doesn’t make no sense”, C’mon who cares ?”. On s’en fout du sens : Mr Funkee fait de la musique avec sa bouche, et fait bouger les gens en rappant. C’est tout ce qui compte, faire sonner des groupes de mots, des phrases, pour faire hocher les têtes.

“I Live for the funk”

Et au vu de toute cette importance accordée à la rythmique, on peut penser une chose : Funkee et DoltAll ne seraient-ils pas d’anciens danseurs ? Evidemment, c’est le cas : “hip hop and rap, yah, that’s where my heart’s at, even back when i used to break on a box, backspins for backspins, even while i’m rappin’, before i had a record, i always kept’em clappin’ “, rappe DoltAll dans son couplet. Ils n’ont pas attendu d’enregistrer des disques pour faire bouger les foules. Ce sont des showmen, des entertainers du ghetto rodés aux grandes soirées de battle entre crews, avec des danseurs, des MCs amateurs, des DJs, la base du hip hop, quoi. D’où toutes ses onomatopées n’ont pour but que d’amuser les foules et de les faire danser, et à ce petit jeu là, les deux rappeurs des Lords Of The Underground estiment être les meilleurs.

Car comme ils le disent eux-mêmes, dans une phrase qui sera reprise par Notorious BIG un peu plus tard: “I live for the funk, i’ll die for the funk”. Ce mot “funk” désigne autant le genre musical “Funk”, que le Hip Hop au sens large, et les connexions entre les deux mondes sont d’ailleurs nombreuses. En vérité, “funk” désigne la fête au sens large, une fête populaire, où les gens dansent. Quand les Lord Of The Underground clament vivre et mourir pour la funk, on comprend mieux pourquoi leur musique est si énergique et si rythmée : le Hip Hop est une fête. Ça n’empêche pas de passer quelques messages, d’envoyer quelques piques au système, d’apporter un peu de culture (via des références dans les textes, ou des samples d’autres genres musicaux), mais la fête doit pour eux rester au centre du hip hop. Et c’est avec ces doux mots qu’on va souhaiter un joyeux 25ème anniversaire à ce projet et à ce véritable classique !