On est toujours sur les 20 ans de l’album classique de la Fonky Family, “Si Dieu Veut…”, sorti en janvier 1998 et qui est, comme vous l’aurez compris, un des disques phares de ce premier âge d’or du rap français. Un album qui hisse la performance jusqu’à devancer IAM en terme de “Marseillisation” du rap français. Si IAM étaient les précurseurs, le rap de la FF, à cause de leurs accents, de leur argot, sent bien plus les rues phocéennes que le rap de leurs aînés.
Car sur “L’école du Micro d’argent”, IAM nous livre un rap très travaillé, très léchée, très intellectualisant tandis que la FF a un côté beaucoup plus rentre dedans, “grande gueule”, plus proche des clichés qu’on colle aux gens de Marseille. Et surtout, ils n’hésitent pas à scander leur amour pour leur ville, un aspect beaucoup moins présent dans le rap de IAM.
La preuve avec ce nouveau posse cut made in Mars’, “Marseille envahit”, où la Fonky Family est rejointe par le Troisième Oeil, juste derrière eux en notoriété, mais dont le talent n’a rien à envier ni à la FF, ni à IAM. Ensemble, ils vont nous faire un gros morceau à la gloire de leur ville, tout en n’abandonnant pas leur concept de “l’amour du risque” et de l’aventure, ainsi que la glorification de “la débrouille”.
Marseille’s back
Pour commencer, il nous faut absolument souligner le travail de DJ Djel, pur produit de la cité phocéenne (il vient de Belsunce) et DJ attitré de la Fonky Family. Son instru est très spéciale, hyper minimaliste, avec seulement quatre ou cinq notes plus les “battements”. En cherchant un peu, on a trouvé que ces notes seraient extraites d’une chanson de Isaac Hayes, “Ike’s rap 1“. Ce qui montre, une fois de plus, l’étendue et la diversité de la culture chez nos beatmakers du Sud. Une instru dont on croit qu’elle sera mélancolique, alors que finalement, Djel aidé de ses rappeurs vont en faire quelque chose de complètement inédit.
Ils vont en faire un morceau au profil assez unique, où ils représentent, revendiquent, et se vantent en même temps. Fiers de venir Marseille, les rappeurs vont revendique leur différence et assumer ce côté irrévérencieux qui nous plaît tant. Mais dans la bonne humeur, et en respectant les codes du rap new yorkais de l’époque: instru minimaliste, scratchs, et des textes insolents et drôles sans être trop hardcore. Avec, comme mantra, ces passages tout en scratchs de Djel, encore lui : ”Marseille’s back”, pour annoncer la couleur.
Débrouille, insolence, technique et esprit de famille
Tous les artistes présents pour le son veulent kicker comme l’exige un hommage de cet ampleur, et c’est réussi à chaque fois. C’est Boss 1 et Mombi qui se chargent d’attaquer, avec un premier couplet assez court, avec des rimes asse approximatives et un débit très particulier. Un des bonheurs des “posse cut” : dans le lot, il y a des MCs excellents, d’autres dont les performances sont étranges, et enfin, d’autres qui ne sont pas très forts mais qui se démarquent par leur énergie. Si ce premier couplet ne restera pas dans la légende, celui qui vient juste après, interprété par Don Choa, est un modèle de technique, du justesse dans les rimes et dans les placements : ”French Connexion, jeunes chacals sous le sunshine, Marseille et sa production live jusqu’au Liechtenstein, Tactique Einstein quadrille l’hexagone rapologique, Mars le phare, la fondation au rap anthologique”. Tout est là, dans cette punchline : référence à un groupe de trafiquants de drogue de la côte d’Azur, egotrip avec la “Tactique Einstein” pour arriver au sommet du game, et un hommage à Marseille, le point central, l’origine de tout.
Mombi ré-enchaîne juste après avec un couplet beaucoup plus costaud que son premier, qu’il conclut par un magnifique “Représente partout notre emblème le 13, FF, 3ème Oeil avec nous y a pas de trêve”. Avec toujours cet esprit de famille, comme si les deux groupes faisaient parti du même ensemble, plutôt que de rentrer dans des rivalités sans aucun sens. Ce côté ”clan” est capital pour comprendre comment le rap marseillais se perçoit lui-même, comme une grande famille. La FF prend le relais avec Sat, qui lui aussi conclut avec une déclaration d’amour à sa ville : ”J’rappe mon drame, rame dans mon élément, représente sciemment pour le drapeau bleu et blanc, 3ème Oeil, les miens du 3ème arrondissement, Marseille, un nouveau gisement”. Il est conscient que le déco dans lequel il vit est dramatique, mais il ne l’échangerait pour rien au monde, car il sait que c’est là-dedans qu’il est à l’aise. Un amour de la ville et de ses rues et de la débrouille nécessaire pour s’en sortir, conscients que ça donne à leur vie un rythme incroyable, plutôt que de bosser à la chaîne et devenir fou.
C’est ensuite au Rat Luciano d’intervenir avec un refrain incroyable où il résume tout l’état d’esprit des MCs marseillais de l’époque : ”On n’sera jamais plus riches que le baron d’Bruneï, on cherche des ronds comme nos darons à travers l’pays, FF n’a jamais trahi, le son que l’président haït, Marseille envahit la France et désobéit”. L’insolence, la volonté de s’en sortir par leurs propres moyens, les références à leurs parents, ceux la première génération d’immigrés qui ont été parqués dans les cités. Et donc, forcément, un côté révolté, qui incite à la désobéissance sous toutes ses formes. Le couplet du Rat est d’ailleurs assez explicite à ce sujet : il avoue rapper pour l’argent, et remercie Dieu et sa ville de lui avoir donner ce talent pour raconter des histoires en rimes. Boss reprend le micro pour clamer son envie de faire voyager l’étendard phocéen jusqu’en Sibérie, pour porter les valeurs d’universalité et de métissage présentes à Marseille.
Puis c’est au tour de Menzo, qui est normalement le moins à l’aise, mais qui, sur ce morceau, est assez juste dans sa manière de rapper si particulière, notamment sur le pass-pass avec Le Rat Luciano, qui nous gratifie d’un ”On sera jamais une des plus grosses fortunes de cette planète, le rap ne rapporte rien, trop la rage pour arrêter net”. Puis c’est au Rat Luciano de conclure ce posse cut 100% Marseille, avec un couplet mi-parlé mi-rappé. Un morceau classique car il a longtemps été le fil conducteur du rap marseillais, une sorte de code de conduite dans lequel tous les jeunes rappeurs se sont reconnus, même encore aujourd’hui pour certains. Une volonté de rendre à leur ville tout ce qu’elle leur a fait vivre, en insistant sur la manière dont, sans toute cette criminalité, sans toutes ces histoires, cette atmosphère, ils n’auraient jamais pu devenir de bons rappeurs.