Alors que le rap français n’a jamais été aussi remuant, avec des nouvelles stars quasi inconnues qui font des doubles platines avec leur premier ou deuxième album, on a voulu revenir sur une période un peu moins glorieuse de son histoire, grosso modo : 2000/2010. A ce moment, les rappeurs français se situent un peu dans le creux de la vague. Mis à part Sniper et quelques autres, la tendance est à un rap de plus en plus gangster, rue (Sinik, Booba, etc…), mais le rap perdait du même coup son authenticité, car il était évident qu’aucun des MCs n’avaient la carrure pour assumer le rôle de 50 Cent à la française.
Pourtant, un personnage se détache de la masse, dans cet univers sombre et racailleux. Un rappeur dont le vécu, l’agressivité, et le réalisme des paroles sont aujourd’hui reconnus par tous, un peu tardivement malheureusement. Ce gars, c’est Salif. Jeune rappeur du 92, découvert par Zoxea puis propulsé sur le devant de la scène par Kool Shen et sa structure IV My People. Salif est devenu un des MCs emblématiques du rap français, en termes d’authenticité, et de rap de rue. IL est même devenu une référence. On va faire un petit focus sur le portrait en 10 sons de ce personnage haut en couleurs.
”C’est ça ma vie” (2000)
Une des premières apparitions remarquées de Salif, c’est ce titre posé sur l’album du IV My People, ”Certifié Conforme”. Et on remarque immédiatement ce qui va faire sa force : des rimes très bien maîtrisées, mais une manière de faire des enjambements entre les fins de ses phrases et le début des suivantes, qui va le suivre toute sa carrière. AU delà du style, ce qu’il raconte de sa vie est un exemple de textes sur l’ennui et les méfaits de la vie de quartier : ”Eh ouais c’est ça la vie, eh ouais c’est ça la voie eh ouais c’est ça l’ami, maintenant Saza pille et surtout maintenant Saza boit”. Un mode de vie racaille pas du tout assumé au début par le rappeur, qui en a un peu honte, jusqu’à s’en réfugier dans l’alcool.
”Elle est partie” (2001)
On a donc déjà vu la racaille un peu déçue de la rue, place maintenant au sentimental. Mais pas un sentimental en mode fleur bleue, plutôt en mode extra-lucide, mais après la rupture, une fois qu’il s’est fait largué. Vous connaissez ce moment : celui où vous vous rappelez toutes les fois où vous avez merdé, et où vous vous dites : oui, finalement, c’est logique qu’elle soit partie. Rajoutez à ça un pue d’alcool, de machisme, et beaucoup de mal-être, et vous avez cet excellent titre classique de Salif, une des premières chansons de rupture du rap français. Souvent imitée, rarement égalée.
”Bois de l’eau” (2001)
Un des titres les plus drôles / amers de toute l’histoire du rap français. Car oui, pour bien comprendre le personnage de Salif, une petite précision s’impose : il était alcoolique, au plus haut point, surtout dans sa jeunesse. Et quand il boit trop, Salif devient ”Fon”, et ne réfléchit plus, il laisse les idées jaillir de son cerveau sans filtres. Cette schizophrénie est très caractéristique de son début de carrière, où il se ballade entre textes extrêmement drôles, et d’autres très sérieux et lucides, voire au bord de la dépression. Ici, il explique que les gens préfèrent lorsqu’il est complètement saoul, ils le trouvent génial et subversif, pendant que lui se déteste, et les détestes également. Un morceau qui est très technique, à l’image de son deuxième couplet.
”Streets” (2002)
Pour faire le portrait de Salif, on est forcés de parler de la rue et du rapport assez fusionnel qu’il entretient avec elle. Tout en étant à la fois très critique, comme quand vous êtes fou amoureux d’une fille mais que vous savez que cette histoire finira par vous faire du mal. Salif vient d ela rue, il y a trempé toute sa jeunesse, et plutôt que de dénoncer ses vices, il va petit à petit commencer à la raconter comme un guide, comme un taulier, comme celui qui en connaît les codes et les recoins les plus sombres. Ce morceau, présent sur ”IV My People : Zone”, avertit tout le rap game : Salif est un vrai gars de rue, et il compte bien réussir par tous les moyens, le rap ou autre : ”Moi je l’dis avant qu’tu le dises, mec j’ai pas vendu d’disques, mais si c’est pas l’argent du rap, bah ça sera l’argent du shit”. Un morceau assez génial, avec une ambiance qui aurait influencé tout le rap de rue francophone.
”A la muerte” (2005)
Il continue de s’enfoncer petit à petit dans ce rap de ”racailles”, qu’il assume désormais complètement. Fini de raconter de jolis messages pour passer à la télé, finis les compromis pour faire plaisir aux ”artistes”, Salif est une racaille, un voyou, et rappe pour ceux qui lui ressemblent. Ceux que l’avidité fini par rendre fou, jusqu’à voir en son meilleur ami un rival. Une chose est sûre : ce mode de vie de galérien l’a tellement marqué qu’il sera une caillera jusqu’à la mort, comme il le scande sur ce morceau.
”Boulogne Boys” (2007)
Évidemment. Le morceau devait forcément figurer dans ce portrait de Salif, qui a le 92 dans le sang. Salif a souvent fait référence au PSG dans sa carrière, d’une manière ou d’une autre. Le club de la capitale joue au parc des Princes, à Boulogne, un endroit que Salif a fréquenté. Il a surtout arpenté les rues aux alentours, ainsi que le Bois de Boubou, pas très loin non plus, bref, un mode de vie banlieusard dont il se fait le rapporteur, le porte-drapeau même. Dans le titre, il parle du fait qu’on a souvent considéré, à tords, le 92 comme une banlieue bourge. Fon, lui, vous décrit sa ville et ses embûches d’une manière assez précise, en affirmant :”Chez moi, c’est chaud aussi !” Et on le croit, évidemment.
”Ghetto Youth” (2007)
Encore un titre dont vous saviez tous qu’il allait figurer dans ce portrait. Justement parce que Salif s’est toujours comporté comme un Ghetto Youth, un jeune des quartiers. Dans le morceau, il fiat référence à toutes sortes de choses que seuls les ghetto youth comme lui peuvent connaître, afin de parler pour eux. Tout y passe donc : le PES, la maman qui crie, et, évidemment, la crêpe nutella banane, celle des banlieusards qui meurent de fin à Paris, et ne trouvent que ça à un prix abordable. Le morceau est un dosage parfait entre bêtise, clichés, et réalité, et c’est ce qui fait qu’il résume parfaitement le personnage de Salif.
”Le remix de Jack Mess” (2008)
C’est la suele collaboration qu’on a mis dans ce portrait. Pourquoi ? Car le morceau est excellent, et parce que le côté bandit qu’elle exprime va influencer tous les rappeurs français qui sont dans cette veine aujourd’hui. Lacrim, par exemple, doit tout à Salif au niveau de l’univers. Aux côtés de Seth Guex (entre autres), Salif se revendique héritier de Jacques Mesrine, le célèbre bandit ”au grand cœur”. Le premier couplet de Salif est incroyable d’insolence et de glorification du banditisme, mais c’est toute la chanson qu’il faut prendre : Salif est un des fils de Jack Mess’, à n’en pas douter.
”Prendre le large” (2008)
En prenant un peu d’âge, Salif est devenu plus triste, plus amer, il a d’ailleurs fini par arrêter le rap qui ne lui apportait de toutes faons pas grand chose. La fin de sa carrière est ponctuée de morceaux fleuves où le rappeur nous dit ce qu’il a sur le cœur, parlant souvent de la rue et de ses méfaits, à l’opposé de l’attitude ”fier d’être gangster” qu’il peut adopter parfois. Ici, dès les premières notes, on observe tout le génie du rappeur, ainsi que totue sa tristesse : ”Vie de rue expéditive, comme le début dans Léon, Le hall a changé la pleine lune en néon, Omar Charif a transformé l’PMU en maison, les miens sont têtus, et s’butent sans raisons”. On sent que petit à petit tout ça commence à sérieusement l’énerver.
”R.U.E.” (2009)
Un des meilleurs titres de sa discographie, présent sur un de ses derniers projets. ”R.U.E.”, pour Reflet d’Une Epoque, le rappeur nous dresse un triste constat de ce monde en état de délabrement accéléré dans lequel on vit, avec bien entendu, une attention particulière donnée à la rue. Les drogués, les alcooliques, les voyous sans respects, les petits qui ont déjà la haine à 9 ans, la violence qui monte partout : Salif est dégoûté, et on sent qu’il ne veut plus être ici, même si c’est impossible pour lui de quitter la rue.