On peut mesurer la taille d’un artiste de rap, musique qui s’adressait dans un premier temps à un public nombreux, mais restreint (les jeunes des quartiers, même si ça a évolué au cours des années), à l’impact qu’il ou elle a eu auprès des gens qui sont hors “public cible”. La capacité d’un rappeur à dépasser le cadre de sa musique, à devenir une icône de la pop culture, sans toutefois s’éloigner de ses racines hip hop. Ce faisant, l’artiste contribue à faire rentrer le rap dans le monde “mainstream”, à le faire devenir populaire au sens très large, et réussissant à toucher quasiment tous les milieux, et même sûrement tous les pays du monde.
Et si il y a bien une artiste, qui incarne le fait d’avoir repoussé les frontières du rap en le faisant rentrer partout, c’est bien Lauryn Hill. Rappeuse, mais également chanteuse, actrice et bien d’autres choses encore, Ms. Lauryn a réussi là où tous les autres ou presque ont échoué : placer deux albums dans le top 15 des plus grosses ventes de l’histoire du rap. D’abord “The Score” avec les Fugees, qui s’est écoulé à 6 millions d’exemplaires, puis avec “The Miseducation of Lauryn Hill” qui s’est vendu à plus de 7 millions. Et on parle bien de ventes physiques, 13 millions de galettes vendues (estimation basse,ça continue de monter), ainsi que des millions de singles, à un point où le public rap ne suffit plus pour atteindre ces scores. Il faut aller chercher plus loin, toucher plus de monde.
Et si elle est restée dans la légende, c’est précisément parce qu’elle a su le faire en gardant son identité 100 % hip hop et roots. Une identité qui l’a toujours suivie,encore aujourd’hui, alors que la Miss atteint ses 43 ans. Une vie musicale bien remplie, que certains qualifieront de trop courte, la faute à plusieurs problèmes personnels. Mais une fois qu’on a accompli ce qu’elle a accompli, est-ce qu’il reste vraiment encore des choses à rajouter ? La question mérite d’être posée. Et cet anniversaire est l’occasion de rendre un hommage comme il se doit à celle qui figure parmi les meilleurs rappeurs de tous les temps, et qui est la plus grande figure féminine de l’Histoire du Rap. Rien de moins.
La meilleure MC des Fugees ?
Difficile de dire des chose qui n’auront jamais été dites sur la Grande Dame du Rap US. La vérité c’est qu’à 23 ans, elle était déjà une femme accomplie, une des plus grandes et des plus précoces artistes de tous les temps. Elle a su mixer avec génie rap, soul,reggae, en y ajoutant sa touche de féminité avec beaucoup de classe, et aussi beaucoup de charme. Loin des bimbos qui ont peuplé les charts de RnB pendant les années 90 et 2000 (et qui font ce qu’elles veulent, même si on n’aime pas), Lauryn avait réussi à mélanger le côté charme, le côté touchant, et le coté agressif (car quand elle kicke, ça débite sec), incarnant parfaitement la Queen dont le ghetto avait besoin. Une véritable voix pour tous les jeunes, avec des paroles très engagées, parfois même violentes (pas pro-violence, mais très noires, hardcores) et en même temps, très sincères lorsqu’elle parle de sentiments.
Lauryn a fait ses débuts dans le rap au sein du groupe The Fugees, qui a rapidement pris ce nom officiellement après quelques déboires administratifs. Rien que le nom, contraction de “Refugees” est une marque d’engagement, en décidant de représenter toutes ces populations déplacées dont descendent le trio, composé de Lauryn Hill, Wyclef Jean et Pras Michael. Un trio qu’elle domine de la tête et des épaules. Pourtant, Wyclef et Pras sont d’excellents rappeurs, et même bien plus, parmi les meilleurs, mais Lauryn détonne au milieu des deux autres. Et surtout, elle aura eu bien plus de résonance et d’influence que les deux autres, même s’ils sont remplis de talents. Et ça se voit dès le premier projet, “Blunted on Reality”, un projet vraiment très rap, avec assez peu de chant, très kické, sur lequel Lauryn se démarque un peu moins, mais l’homogénéité du trio en fait un très bon projet. On retient notamment sa performance sur “Vocab”, “Recharge”, ou encore “Nappy heads”, mais globalement, elle est un moins présente que Pras et Wyclef.
Le deuxième, “The Score”, qui est le vrai classique, lui donne par contre la place qu’elle mérite. Elle rappe, elle chante, elle fait des ad-libs, bref, elle est partout. Et quand elle rappe, avec ses changements d’intonations et de flows, elle détonne. On la retient plus que les autres, autant grâce à son rap qu’à ses paroles ou ses refrains chantés. “Ready or Not”, “Fu-Gee-La”, “Family Business”, ou encore, évidement, l’immense “Killing Me Softly with his song”, la moitié des morceaux est un classique ou au moins un hit internationale. Et c’est, beaucoup, grâce à elle. S’il ne fallait en retenir qu’un pour l’alchimie entre les trois, le côté hyper street, très conscient et génialement écrit, on choisirait certainement de garder “Family Business”. Mais la vérité est que l’oeuvre complète est un bijou d’écriture, de revendication de l’identité afro-américaine, en faisant plein de références à la culture et en prenant fermement position contre un gouvernement et une police jugés toujours aussi racistes. Un vrai cri du cœur venu droit du ghetto.
Un personnage incroyable
Mais Lauryn Hill est loin de n’être que “la fille dans les Fugees”, elle était d’ailleurs déjà un peu connue avant la sortie de leur premier album, via notamment un rôle dans plusieurs show TV ou le film “Sister Act 2” (avec Whoopi Goldberg). Sa voix bluffe alors tout le monde (encore aujourd’hui) , et, si elle n’est peut-être pas la meilleure actrice de tous les temps (la faute peut-être à un tempérament un peu énervé), elle aura finalement eu quelques apparitions remarquées.
Mais évidemment, c’est bien grâce à son talent de rappeuse / chanteuse qu’elle est restée dans toutes les têtes des gens ayant grandi dans les années 90. Le monde peut la remercier, pour son splendide album solo “The Miseducation of Lauryn Hill”. Un travail d’orfèvre, où elle mélange avec dextérité rap pur, RnB, soul, et reggae, s’aident bien entendu de sa voix incroyable pour presque tous les refrains. Résultat? Un album culte, où elle peut enfin se livrer complètement, parler de toutes ses frustrations (notamment envers les Fugees), de sa rupture avec Wyclef Jean, de ce qu’elle ressent en tant que femme noire, et c’est assez puissant. “Doo Wop”, “Superstar”, “Lost Ones”, pour le côté kick, mais aussi “I Used To Love Him”, avec Mary J. Blige, “Forgive Them Father”, on ne va pas non plus citer tous les morceaux, mais cet album fait partie des incontournables de la culture urbaine.
Voilà donc qui était Lauryn Hill, une artiste forte, engagée, mais également très sincère, et très humaine. Tellement humaine qu’elle abandonnera un peu la musique à la suite d’un enchaînement de circonstances personnelles qui l’ont mise au fond du trou. La rupture avec Wyclef Jean, les dizaines de millions de dollars qui pleuvent d’un coup, la célébrité, puis la rupture avec le père de ses enfants, Rohan Marley (fils de Bob), auront peu à peu eu raison de son énergie, au moins temporairement (elle prévoit de revenir). S’ajoute à ça, des ennuis judiciaires, car forcément, on en veut toujours plus, quitte à légèrement arnaquer les musiciens de New Ark (avec qui elle a travaillé pour son album classique), ou même avec le fisc américain, sur fond de taxes impayées, qui lui auront valu une condamnation. Mais ce qu’on retiendra, c’est sa voix splendide, son engagement pour la cause noire et aussi féminine dans ses textes, et on lui souhaite un excellent 43 ème anniversaire. En espérant que son nouvel album (annoncé depuis un certain temps déja), sera au niveau de ses précédents ! Et ça va être compliqué…