1998 : Quand Busta Flex explosait avec son premier album classique

L’année 1998 est considérée, probablement à raison, comme la meilleure année de ce qu’on appelle “l’âge d’or” dur rap français. Il faut dire que cette année a vu l’apparition de nombreux MCs, l’explosion de beaucoup d’autres, et surtout, une quantité d’albums qui sont devenus des classiques et ont marqué l’Histoire de cette musique. Après la Fonky Family, on va se pencher sur le premier album de Busta Flex, nommé “Busta Flex”, sorti le 3 février 1998.

Busta a connu une trajectoire assez atypique: il fait partie de la deuxième génération de rappeurs venant du 93, et commence le rap à 17 ans, en 1994. Des débuts qui font beaucoup de bruit, puisqu’il est très vite repéré par Cut Killer, puis présenté à DJ Glodfinger, deux des architectes majeurs du rap français de l’époque, qui allaient côtoyer tout le gratin rapologique. Il commence à se faire vraiment connaître aux côtés de Lone et Sully Sefil, puis finit par signet chez Warner en 1997, et à travailler avec Kool Shen, Zoxea, et leur entourage (IV My People, NTM, etc…). C’est à cette période qu’il atteint le sommet de sa carrière, avant de disparaître des radars en 2003, et depuis, il galère pour marquer les esprits, malgré des titres toujours de qualité, et très modernes (le rappeur maîtrise très bien la trap par exemple).

Ce sommet, Busta Flex y est directement propulsé par son premier album éponyme, qui a été un succès commercial (disque d’or en un an) et critique, le tout avec un véritable album de rap assez peu “marketable”. Et si ça a autant touché les gens, c’est en grande parce que Busta y a révélé tout son talent pour l’écriture et le kickage, talent qu’il a toujours aujourd’hui. Son rap n’est pas hardcore, il est street sans trop en rajouter, et surtout, il est terriblement hip hop, de la première à la dernière note. Plongée dans un des disques les plus agréables à l’oreille de cette année 1998.

Le New-York des 90’s débarque en France

Si IAM avait déjà ouvert la voie à l’incursion de l’univers musical new-yorkais dans le rap français, cet album de Busta Flex est une véritable révolution au niveau des productions. Plusieurs têtes collaborent pour produire les différents morceaux, comme Joeystarr, DJ Spank, Madizm, Kool Shen, Zoxea, Sully Sefil, et également Busta Flex lui-même. On aurait pu croire à un joyeux bordel, mais ça donne surtout une avalanche de hits potentiels dès le début du projet, avec “J’fais mon job à plein temps” et sa prod magnifique, groovy à souhaits, faite par Zoxea.

Et globalement, ça reste très cohérent musicalement, quel que soit celui qui s’y colle. On a même le droit à quelques tentatives très osées, comme l’instru de “Yeah Yeah Yo”, directement inspirée des ambiances du “strange new-york” (les rappeurs fous comme Busta Rhymes ou ODB). Le piano est très présent, exactement comme à New-York dans les années 90, (“Ça se dégrade”, “1 pour la basse”), beaucoup d’ambiances groovy, jazzy, et parfois beaucoup plus tristes.

C’est dans les parties les plus “tristes” qu’on trouve les prods les plus “françaises”, celles qui ont fait notre renommée: des dialogues de rue au début du son, un sample de violons, et un thème ultra-mélancolique : un cocktail qui est devenu vite incontournable dans le rap français (cf: Hugo TSR ou Davodka) même si la tendance s’est un peu essoufflée ces derniers temps. On le retrouve notamment sur “Majeur”. Bref, une vraie cohérence musicale, sans que l’album soit uniforme, et qui laisse toute la place à Busta Flex pour nous dévoiler son personnage et son univers, ce qu’il fait très bien.

Beaucoup de talent, de l’authenticité et du kickage

Busta est conscient des travers qui menacent sa musique déjà à l’époque, avec certains qui commencent à beaucoup trop jouer les gros bras, à s’inventer des vies, ou à rapper une musique dansante et sans message. Du coup, il prend le revers de tout ça, et décide de parler vrai, loin des clichés qui collent à la banlieue et sa cité du 93, Orgemont. Il n’en fait pas des tonnes sur les traffics, se contenant d’adopter une posture hyper authentique, celle d’un mec sans trop d’histoires, qui s’est mis à avoir des vrais problèmes dans la rue seulement après avoir commencé le rap. “Mais ma force est sur le micro garçon, regarde comment j’suis galbé, tu sais que je n’suis pas fait pour la baston”, rappe-t-il dans “Ma Force”.

Dans cette punchline, on retrouve beaucoup des aspects qui ont fait de Busta un MC très coté : une authenticité incroyable, à revers des codes traditionnels du game même parfois, et un sens de la punchline assez fort à l’époque. Un talent pour le rap qu’il n’hésite pas à mettre en avant sur de nombreux morceaux. Son dévouement pour la musique fait partie de ses thèmes favoris: le rap, c’est toute sa vie, sa principale source de culture, et il veut que ça se sache. On peut notamment mentionner les morceaux “J’fais mon job à plein temps”, “1 Pour la basse”, ou “Yeah Yeah Yo” et “Kicke avec Mes Nike” dans un registre plus egotrip. Le rap, c’est du boulot, et ça occupe toute la tête de Busta qui clame son amour pour cette musique, en même temps qu’il nous montre pouvoir maîtriser son sujet comme peu d’autres.

Busta est un freestyler, un kickeur né, qui a fait ses preuves en intro. Un morceau “Freestyle Session” est d’ailleurs présent sur le projet avec NTM, Zoxea et autant vous dire: le morceau est absolument incroyable. Une prod folle (un sample de l’instru de “Represent” de Nas, elle même samplée sur “The Thief of Bagdad” de Lee Erwin) et quatre rappeurs qui sont juste là pour le plaisir de rapper, en voulant chacun être le meilleur. Un talent qui lui aura d’ailleurs rapporté pas mal de problèmes, pour une simple rime prononcée lors d’un freestyle d’impro : “Mon style est tellement fou que même les musulmans en mangent du porc”. Après ça, Busta a été pris a parti, verbalement et physiquement, à plusieurs reprises, ce qui cause la séparation de son premier groupe, après qu’n de ses potes se soit barré en courant pendant que Busta se faisait agressé.

C’est en partie là-dedans que Busta Flex va chercher son inspiration pour la partie plus “triste” de son projet : dans la trahison, dans le mépris de la violence (“De la banlieue à Paris, du 93 au Vingt moins 1, les mecs se croisent avec des regards nerveux juste parce qu’ils sont voisins”, dans “Esprit mafieux” avec Oxmo Puccino). Dans cette veine là, on peut citer les excellents morceaux “Pourquoi ?”, “Ma Force”, mais aussi des morceaux où la critique est plus générale, comme “Ça se dégrade”, ou “What Can I Do”, excellent titre également. Bref, un excellent album de rap français, devenu classique car il arrive exactement au bon endroit, au bon, moment, avec le bon message : un message d’unité, d’esprit de compétition, et la volonté de rester positif, même si c’est de plus en plus la merde tous les jours. Et si on ajoute à ça les incroyables contributions de Kool Shen, Zoxea, Oxmo Puccino, et Joeystarr en tant que rappeurs et producteurs, on arrive à un album quasi-parfait.

Rémi
Rémi

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