On s’est posé avec Akhenaton pour discuter longuement de divers sujets de société, en rebond sur les constats amers dressés dans son poème et morceau fleuve, « La Faim de leur Monde ».
« Ça ne peut qu’aller mieux », tel était le message d’espoir d’Akhenaton, en clôture de « La fin de leur monde ». Publié en 2006, ce morceau coup de poing d’IAM dressant le tableau noir d’une époque gangrenée par de nombreux fléaux. Seize ans plus tard, la toile ne s’est pas vraiment embellie et nos sociétés n’ont visiblement pas compris la leçon. Face à l’impasse, le rappeur marseillais a une nouvelle fois pris sa plus belle plume pour réveiller les consciences. Pendant plus de 19 minutes, il illustre avec lucidité et amertume l’état critique dans lequel se trouve notre monde contemporain. Bien que ses mots se suffisent en eux-mêmes, nous avons souhaité aller plus loin en abordant avec lui, de nombreuses réflexions sociétales. Culture, santé, écologie, politique, jeunesse… Tout y passe. Dans l’espoir partagé d’un avenir et d’un monde meilleur, entretien fleuve avec le pharaon et parrain du rap français, monsieur Akhenaton.
Pour la promo de « La Faim de leur Monde », tu t’es beaucoup exprimé à la télé et à la radio, mais principalement sur des médias généralistes qui ne ciblent pas vraiment les jeunes. De mon côté, j’ai eu envie de te donner la parole dans un média spécialisé, car je pense qu’il est important, voire primordial que la jeunesse entende et s’inspire de ton message.
Merci, ça me tient à cœur et c’est une bonne chose que entreprennes cette démarche-là. Culturellement, le simple fait d’avoir des réflexions sur la société, sur la vie, n’intéresse pas tout le monde et, malheureusement, pas assez de jeunes. J’espère que notre discussion changera ça, car nous aussi avec IAM, on se bat pour ça. Pendant la promo de « La Faim de leur Monde », beaucoup de journalistes et éditorialistes ont employé le terme de « Cri de colère ». Moi je vois plus ça comme une observation, un constat, une vision du monde tel qu’il est aujourd’hui. La colère est plutôt dans le fait qu’on se réveille pas et qu’on n’avance pas.
Moi, j’ai 52 ans et ma vie je l’ai déjà remplie. J’ai même l’impression d’en avoir vécu dix. Je suis plus inquiet pour ce qu’on va laisser aux générations futures que pour autre chose. La situation actuelle est infligée par des personnes de ma génération. Donc forcément au bout d’un moment, il y a une réflexion générale à avoir là-dessus. Est-ce qu’on va continuer à imposer ça à tous les jeunes, à noircir leur horizon, leur avenir, leurs espérances et leurs rêves, nous qui avons déjà vécu nos plus belles années ? Il est là le hick. Nous, on l’a faite la vida loca, la jeunesse, alors qu’elle devrait vivre des moments superbes, on lui impose des choses très très dures. Des choses qui ne seraient peut-être d’ailleurs pas passées à notre époque. Avant, il y avait, je pense, beaucoup plus de conscience politique chez les jeunes.
« J’pense à nos enfants, putain ! On est dans la merde »
C’est possible. Aussi, on voit aujourd’hui que la jeunesse se tourne de plus en plus vers les extrêmes, et notamment le Rassemblement National de Marine Le Pen. Pour les 25-34 ans, c’est même le premier parti de France après l’abstention. Comment tu analyses ce phénomène-là ?
D’une manière très simple. Les partis d’extrême droite en général sont des partis qui surfent sur la peur et ciblent des personnes comme étant responsables de tous les maux. Au-delà du sentiment de dégagisme, aujourd’hui, comme les plus jeunes vivent dans un monde de peur permanente, les émotions parlent et ils se réfugient là-dedans. Sachez une chose : le monde actuel n’est pas pire qu’avant, au contraire. Le monde était en guerre non-stop pendant des centaines d’années et n’a pas connu de réelle période de répit jusqu’en 1945. Évidemment, il y a toujours des guerres, mais elles sont d’un autre genre maintenant et ne nous impliquent pas directement. Ceci étant dit, on ne peut pas dire que c’était mieux avant, c’est faux. Par contre ce qui est pire, c’est l’impression qu’on donne du monde. Et la cause de tout ça, c’est les réseaux sociaux.
« Le doute vient quand on chasse la raison pour la peur primale
Portes ouvertes aux fachos, vannes ouvertes au max »
Avec les réseaux sociaux, on baigne dans l’info en permanence. On ne peut pas échapper aux nouvelles, entre ce qu’il se passe ici, là-bas et partout ailleurs. On vit dans un état d’oppression et de peur permanente, ce qu’on n’avait pas à l’époque. On était beaucoup plus détaché du monde par rapport à maintenant. Les journaux télévisés, c’était quand je rentrais le soir chez moi, car ma mère allumait la télé seulement à ce moment-là. Il n’y avait pas chaînes infos et je n’étais pas devant les news en boucle. Je n’étais pas soumis à un climat anxiogène. Si je voulais me documenter sur le monde, j’achetais des livres très sérieux, des livres d’historiens. J’ai pas attendu que des historiens de plateaux de télévision viennent m’expliquer comment fonctionne le monde. Le changement il est là. Forcément, si on fait peur aux gens, on se retrouve avec des jeunes générations qui vivent dans la crainte. La peur pour leur avenir ou dans la crainte de menaces extérieures justifiées ou non. C’est terrible. Je te parle de ça en connaissance de cause. Mes enfants sont trois jeunes adultes qui sont en plein dans cette génération-là et je le vois de mes yeux.
Je suis évidemment triste pour eux, mais en même temps je les ai bien préservés. Chez nous, quand on veut connaître les infos, on va lire un journal, sur Internet où autre, mais il n’y a jamais de chaînes d’info en boucle. C’est proscrit, car c’est néfaste. Au-delà du fait que le flot est ininterrompu, la rapidité de l’information fait qu’elle n’est généralement pas traitée correctement, ou pas assez en profondeur.
C’est évident qu’on vit dans un climat oppressant. Moi-même j’en ai fait l’expérience. De par mon travail, je suis sur les réseaux sociaux toute la journée. Et même si mon fil d’actualité est composé à 80 % de contenus hip-hop, le reste a suffi pour m’oppresser. Le climat anxiogène dû au Covid, le ras-le-bol du confinement et l’angoisse pesante après les attentats successifs en fin d’année dernière, on ne voyait plus que ça sur les réseaux et aux infos. Fatalement, ça m’a miné le moral, je l’ai senti et après réflexion, je me suis protégé. Je me suis responsabilisé et j’ai coupé parce que clairement, je savais que si je continuais comme ça, je deviendrais fou. Je me contentais de lire des récaps d’actu le soir et c’est tout. Crois-le ou non, je me suis senti mieux après.
Ça ne m’étonne même pas. D’ailleurs ça me fait penser. Il y a un documentaire que j’impose à la maison et que je conseille à toute la jeunesse. C’est sur Netflix et ça s’appelle, « Derrière nos écrans de fumée », il faut absolument que tu le regardes et je le conseille vivement. Alala, par contre, tu vas un peu flipper devant je te préviens ! Les intervenants, ce ne sont que des anciens directeurs de Google, Facebook, Instagram, Pinterest et autres. Écoute-moi, ce qu’ils disent, c’est fli-ppant. Le pitch, c’est la tech qui prend indirectement le contrôle du monde et de nos vies. Ce qu’ils disent, c’est que comparé à de la publicité traditionnelle faite pour nous vendre un produit, aujourd’hui, nous sommes les produits.
Nos données sont vendues – à un moment donné ils évoquent la Russie -. L’intervieweur parle du piratage Russe et le gars lui répond qu’ils n’ont rien eu à pirater du tout. Ils ont acheté les données comme tout le monde. Les profils, tout est à vendre, c’est le système qu’on a aujourd’hui. Les Russes ont truqué les élections en achetant légalement des profils et des données personnelles. C’est terrible.
« Dénoncer leurs détracteurs comme des vilains complotistes
Tout au long de l’histoire, tout n’est que guerres, pleures, beurs
Désolé, le complot ça existe »
Nos données ne nous appartiennent plus vraiment en effet… Ce sont des choses qu’on entend tous les jours, des choses qu’on sait et desquelles on se doute au fond. Malheureusement, ça nous dépasse et nous ne pouvons pas faire grand-chose pour l’empêcher.
C’est pour ça que c’est terrible. Avec ces histoires de complotisme qu’ils ont inventées, tu as l’impression quand tu parles, de devoir être méfiant avec tout ce que tu dis et affirmes parce qu’on pourrait te traiter de méchant complotiste. Au bout d’un moment, il y a des faits qui parlent d’eux-mêmes. Encore une fois, un autre phénomène qui va dans ce sens. On discutait l’autre jour avec ma fille et elle me disait qu’elle aimerait bien aller en vacances en Turquie. Après quoi, elle ouvre son premier réseau social et elle tombe sur une pub pour des vacances en Turquie. Elle me dit « mais c’est pas possible papa ! » Je lui ai répondu, « si c’est possible et ça s’appelle Siri.
Siri, c’est pas la NSA qui t’écoute, mais des gens qui t’écoutent à des fins commerciales. C’est-à-dire que Siri, il détecte certains mots clefs dans nos langages et il cible ses pubs en fonction de tes désirs. C’est pas la NSA, mais c’est Terminator. C’est les robots qui prennent le pas.
C’est là tout le paradoxe des réseaux sociaux, ils sont à la fois un don et une malédiction. On le voit aussi dans les débats. Lorsque ces plateformes ont été créées, on les a imaginées comme des outils de discussion, d’ouverture et de débat. Aujourd’hui, force est de constater qu’au lieu d’ouvrir les discussions, ça les ferme et ça bipolarise les opinions plus qu’autre chose…
Tu sais pourquoi ? Parce qu’en fait, comme dans toute activité humaine, quand il y a impasse dans le débat, c’est la force qui prend le relais. Et quand la force prend le relais, c’est celui qui crie le plus fort qui a raison. Au bout d’un moment, tu vas avoir la malveillance qui va l’emporter sur la bienveillance. C’est tout. C’est beaucoup plus simple d’être malveillant que l’inverse. C’est même compliqué d’être bienveillant.
« Avec YouTube, Facebook, ils ont dopé l’égo
Et ont comblé tout ce vide avec des mots de fachos »
J’ai envie de te dire, c’est même encore plus simple d’être malveillant sur les réseaux puisqu’il y a l’anonymat en ligne qui a libéré des paroles de gens malhonnêtes et malveillants. Je sais que tu n’utilises pas les réseaux et que limite presque, tu les boycottes, mais as-tu déjà eu des réflexions sur justement des moyens de rouvrir le débat de manière plus positive et bienveillante sur Internet ? Autrement dit, des pistes pour que nous ayons tous une meilleure utilisation des réseaux.
C’est des choses auxquelles je pense énormément, mais je reste persuadé qu’au-delà des réseaux, ce sont des choses qui se feront grâce aux interactions humaines. Du moment où tu crées quelque chose dans lequel il y a de l’anonymat et dans lequel on peut se cacher derrière un pseudo pour raconter des conneries, ça ouvre la porte à toutes les dérives. C’est ce que je dis dans « La Faim de leur monde ».
« On vit avec des drogues dures légales dans l’armoire
On peut insulter, menacer mais pas parler d’armoise »
Ta fameuse phrase « On peut insulter, menacer mais pas parler d’armoise ?
Oui. Pour te raconter : j’ai un ami, un sportif en plus, qui a chopé le Covid et qui a eu dix jours à la maison. Il était bien et d’un coup ça s’est dégradé. Heureusement ça s’est bien fini pour lui, mais il est passé par la case réa et a galéré. Ce que je veux dire par là, c’est que chez nous en France, il n’y a aucun juste-milieu. C’est soit tu restes à la maison avec un Doliprane, soit tu vas en réa sous assistance respiratoire. Entre les deux, c’est le néant. Quand tu parles de débat, c’est le genre de débat qui est impossible en France. Sur Internet, tu peux dire « sale noir, sale juif, sale arabe », ça il n’y a pas de souci, mais par contre, tu ne peux pas dire « prenez cette plante pour essayer de vous soigner ».
C’est vrai, je me souviens qu’il y a eu des tentatives d’ouverture du débat public au sujet de l’intérêt de la Vitamine D dans le traitement contre le Covid. Une position qui a été immédiatement, non pas passée sous silence, mais démontée.
Démontée faussement en plus ! C’est terrible. Tu sais, on est dans une société où tu as le brancardier qui vient faire une leçon de médecine à des éminents professeurs et médecins de ce monde. C’est vérifiable, il y a un indice qui classe les médecins selon leur valeur, déterminée par la pertinance de leurs publications et le nombre de fois où elles sont citées, ça s’appelle l’indice de Hirsch. Je n’ai pas le chiffre exact sous les yeux, mais le sien est très haut, souvent bien plus que celui de ses confrères qui l’ont attaqué. Ça en dit long sur l’écart de compétences. Ce qu’il y a entre les deux, c’est le conflit d’intérêt. Quand tu es asservi à des labos et que tu fais le job des représentants et bien tu démontes par exemple la vitamine D parce qu’au bout d’un moment, elle t’empêche de gagner à un autre endroit.
« Notre médecine est à un tournant fragmenté
Les docteurs fidèles à leur serment d’un côté
De l’autre ce que les labos ont transformé
En associés du plus grand cartel du crime organisé »
C’est vrai que toi et le groupe vous avez très vite défendu Raoult et son protocole contre le Covid. Dans « La Faim de leur Monde » tu lances « Des plateaux où les docteurs deviennent journalistes et des journalistes docteurs en tenue affoliste ». Je me demandais justement si tu parlais de Raoult ou de ses détracteurs ici, car les uns comme les autres, ils sont tous à un moment, venus parader à la télé. Raoult peut-être même plus que les autres.
Raoult, il était obligé de se défendre. Au bout d’un moment, lui a proposé des solutions pendant que les autres ne faisaient que les démonter. C’est très différent. Moi aussi je peux aller à la télévision et dire « Ah putain, lui aussi c’est un charlatan ! » Exemple Patrick Pelloux, le docteur qui était à Charlie Hebdo. Il est venu sur des plateaux en début de crise, début mars et il a dit dans « C à vous », « il y aura potentiellement 1 million, 1 million et demi de morts en France ». C’est grave de dire des choses comme ça ! C’est pas du charlatanisme ça ? Tu sais, aujourd’hui, il y a plein de trucs qu’on ne sait pas, mais quand les gens pensent le contraire de toi, d’un coup ils savant. Toute l’année ils te disent qu’ils ne savent rien, mais quand ils veulent donner des arguments inverses aux tiens, d’un coup là ils savent tous.
Je pense à John Ioannidis, l’un des plus éminents professeur de médecine et le plus grand infectiologue au monde, chercheur de l’école de médecine et de l’école d’humanité et des sciences de l’Université Stanford. Il a fait une étude de référence sur les effets inutiles du confinement et du port du masque. Il s’est fait démonter de toute part, mais par des gens 100 fois moins compétents que lui. Tu vois c’est ça le problème. Qu’est-ce qu’on valide comme système ? Des gens qui savent pas trop et qui donnent des leçons à des experts dans leur domaine depuis des années ?
« Si certains cherchent le buzz et d’autres font de la science
J’aurais jamais cru y assister
Voir des sommités dénigrées par des amateurs matelassiers »
Et selon toi, comment être pragmatique pour y voir plus clair face à toutes ces contradictions qui s’entrechoquent ? Quel travail intellectuel faut-il faire pour s’éclairer sur tout ça ?
Pragmatiquement, moi je lis et regarde les chiffres. Ils sont clairs.
Oui mais quels chiffres ? Le problème, c’est que les chiffres, chacun y va des siens et les fait parler à sa façon. Pareil pour les études. Elles ont toutes leurs arguments et se contredisent entre elles. Cela étant, pour tout le monde, c’est objectivement difficile de démêler le vrai du faux et d’y voir clair.
Les chiffres officiels, ceux de l’INSEE. Ces chiffres-là, si tu les lis, ils ne disent pas ce que les gouvernements racontent. Pour les études, je vais avoir plus tendance à croire celles dressées par les spécialistes reconnus sur un sujet plutôt que les autres. Par contre, je précise, il faut savoir faire la nuance. Si je critique l’utilisation de certains chiffres dans le débat public, je ne suis pas un anti-vax qui affirme qu’il n’y a pas d’épidémie. C’est un virus impitoyable avec des gens qui ont des comorbidités, des pathologies croisées ou d’un certain âge, mais pour les autres, Dieu merci c’est ni la Peste, ni Ebola. Si c’était le cas, franchement, on serait dans d’autres problèmes plus graves. Sachant ça, comment on peut produire aussi peu de variétés de test ? Comment on peut ne pas ouvrir son esprit et essayer de dire aux gens « voilà, au-delà du doliprane à la maison, vous avez la possibilité de vous soigner avec de la vitamine D, du Zinc… » C’est des trucs qu’on utilisait avant, mais d’un coup aujourd’hui, ça devient des hérésies.
« Les chiffres de l’INSEE sont là et l’État fait du walouisme
À l’image d’un p’tit ministre mesquin
Qui fait passer notre avenir bien après son destin »
Ce n’est pas nouveau. La médecine traditionnelle qui fait énormément d’argent, s’attaque depuis des années à la médecine naturelle. C’est un prolongement de combat qu’on voit tout au long de l’année, aux yeux des gens qui prescrivent des médicaments chers et qui ne marchent pas toujours, mais qui rapportent beaucoup. La balance bénéfices / risques, c’est les risques pour le patient, les bénéfices pour le labo.
Après, je le redis, je ne suis pas contre le vaccin, mais si le virus s’installe et que les variants continuent de se développer, ils deviendront inefficaces et ça sera le loto, comme pour le vaccin contre la grippe. C’est pour ça qu’en plus des vaccins, il faut aussi et enfin penser à des traitements de prise en charge, la vitamine C ou les anti-inflammatoires. Au début, on nous disait qu’il ne fallait absolument pas les utiliser et un an après, ça marche. C’est même recommandé il paraît.
« La course au vaccin rend le monde solidaire ?
Non, c’monde a faim et alimente un ver solitaire »
C’est vrai que depuis un an, on entend tout et son contraire. A côté, les chiffres de l’épidémie ne faiblissent pas et, le président de la République, le Ministre de la santé, le Premier ministre, restent dans un discours d’autosatisfaction, même s’il est de plus en plus nuancé. Qu’est-ce que ça t’inspire cette attitude de nos dirigeants ?
C’est sûr que ce ne sont pas des personnes humbles. Malheureusement, le politique prend le dessus sur beaucoup de choses. L’occasion fait le larron. C’est un mélange de méconnaissance, d’amateurisme et de malveillance. C’est triste pour nous. Quand tu vois qu’on nous martèle que nos salles sont complètement fermées, qu’on ne peut pas y déroger, mais qu’à côté, quand tu montes à Paris, le TGV et le métro sont bondés. Au bout d’un moment, ne me raconte pas d’histoires comme quoi le TGV est essentiel à la vie et que la salle de concert ne peut pas ouvrir parce qu’elle contamine les gens.
« J’allume la télé, j’vois vociférer un cluster de connards »
Avec cette crise, on sent clairement que les politiques aujourd’hui naviguent à vue, s’enlisent dans des discours d’intention, et n’agissent pas suffisamment dans l’intérêt général. Ce n’est pas nouveau et c’est aussi pour ça que de plus en plus de personnes, particulièrement les jeunes, deviennent apolitiques. Quelles solutions selon toi pour remédier à ça ?
Le problème, c’est que la solution est très dure à trouver. En démocratie, il faut des candidats et si aucun ne nous ressemble ou nous rassemble, c’est compliqué. Alors, la première chose à faire accepter aux gens qui nous gouvernent, c’est enfin qu’on prenne en compte le décompte du vote blanc. Lorsque le vote blanc obtient la majorité, tous les candidats sont écartés et remplacés par d’autres. Je te garantis que ça apprendrait à nos politiques l’humilité. Après, dans tous les métiers, et la politique n’y déroge pas, il y a une clause de responsabilité et d’éthique. Tu jures solennellement te mettre au service des gens ? Ok. Et bien si c’est prouvé que tu as failli, tu t’exposes à des sanctions disciplinaires beaucoup plus lourdes que pour les citoyens. Pareil pour les policiers. Tu tues quelqu’un, ta peine est plus lourde que pour les autres citoyens, parce qu’au bout d’un moment, c’est bien beau d’avoir l’autorité, mais tu dois avoir une peine à la hauteur de tes privilèges.
« Quel système pour s’faire entendre, je n’sais pas
Aucun candidat nous ressemble, ni nous rassemble »
Et si on votait pour des programmes plutôt que des candidats ?
C’est une bonne idée, mais le problème avec cette solution, c’est que faire si le programme n’est pas appliqué ? Il est là le hick. Le candidat lui te permet un minimum de cerner la personne et ses idées. Et le truc avec le vote basé uniquement sur des propositions, c’est qu’il y a mille et une raisons, par des phénomènes conjoncturels notamment, qu’un programme ne puisse pas être appliqué. Que faire dans ce cas-là. Non, la solution passe par l’éducation et la culture, la production de produits sains et d’une alimentation saine, c’est hyper important aussi.
Tiens, l’autre jour je me suis amusé à faire coïncider les morts du Covid avec l’obésité dans le monde. Tu te rends compte que les deux cartes sont assez proches. Mon idée là-dessus c’est que notre terrain et ce qu’on mange sont en partie grandement responsables de comment la maladie se comporte. Même en sachant que notre alimentation est importante, ce qui compte c’est, pour les jeunes générations, d’avoir un objectif d’avenir qui ressemble à quelque chose et pas un horizon bouché. On en revient à ce que tu disais tout à l’heure avec l’attirance des jeunes pour le RN. Si ton horizon est bouché, tu vas essayer de trouver des gens qui, à tes yeux, représentent une voie différente de ce qui se fait.
Le souci, c’est que cette bipolarisation avec des ultra-riches très peu nombreux et des très pauvres très nombreux, ça conduit toujours à des systèmes de gouvernances autoritaires. C’est ce qui nous guette plus ou moins à moyen et court terme.
« C’est la course-poursuite où l’économie tue l’écologie »
Sur une note un peu plus positive, on observe quand même un éveil de la conscience de la jeunesse sur des sujets importants comme l’écologie, le droit des femmes et d’autres sujets plus progressistes. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Oui et c’est une fierté. Si avec la mondialisation, les biens passent les frontières sans encombre, il faut aussi que les consciences et les combats passent aussi les frontières. Ça passe par les enjeux écologiques et je suis très fier de voir que la jeunesse s’intéresse à ces questions-là. On peut s’intéresser au matériel, c’est pas un souci. Les belles saps et les belles voitures, on peut les avoir dans un coin de sa tête et rêver tout en ayant une conscience écologique. Nous, on a foutu le bordel dans le monde, on ne peut pas arriver et dire aux jeunes d’arrêter de rêver comme nous on l’a fait. On ne peut pas arriver en mode, « on vous a laissé la note, à vous de débarrasser la table ». Au contraire, il faut qu’on réfléchisse tous ensemble, y compris ceux de notre génération, à comment aller vers une voie plus durable.
Dans les trente ans qui viennent, tu vas aux devants de conflits majeurs à propos de l’eau et sur les énergies. Les énergies fossiles sont en train de s’épuiser. On est dans une impasse parce qu’on a du mal à se débarrasser du nucléaire et que l’on trouve aucune solution viable en réponse. Après, je ne suis pas assez expert sur le sujet pour proposer quoi que ce soit, mais je sais que des tas de brevets sont déposés pour des énergies alternatives. Une fois que les énergies fossiles ne seront plus là et qu’ils se seront bien gavés, ils s’assurent de pouvoir continuer à se gaver avec les autres énergies. C’est le cœur de mon morceau : l’appétit démesuré d’un petit nombre d’individus.
« Le système du capital tiendra
Si les plats posés sur la table ont un partage injuste Capitalisme 2020
C’est Judas qui boit tout le vin, mange tout le pain et Jésus qui l’excuse »
« On ne détruit pas la planète, on se détruit nous-mêmes ». C’est clairement l’une des réflexions les plus forte de « La Faim de leur Monde » pour moi… C’est celle-ci qui montre que finalement, tous les problèmes du monde et de nos sociétés sont indissociables les uns des autres et tous liés entre eux.
C’est ça. L’être humain fixe le débat sur le fait d’infliger des dommages à la planète et de détruire l’endroit où l’on vit, mais il faut savoir que dans n’importe quel cas de figure, à part une guerre nucléaire, la planète se régénère tous les millions d’années à peu près. Donc, l’être humain aura juste réussi à s’effacer lui-même de la surface de la Terre. Lui et d’autres espèces. Aujourd’hui on entend dire que dans plusieurs dizaines d’années, on n’aura plus rien à manger sur la planète et donc on développe des régimes à base d’insectes. Sauf qu’on oublie qu’il y a carrément 1 % des espèces d’insectes qui disparaissent chaque année sur la planète. A ce rythme-là, ça va pas durer longtemps. C’est pour ça que je parle des insectes dans le morceau. Le jour où ils disparaissent, surtout les abeilles et les pollinisateurs, mais aussi d’autres insecte, on suivra. C’est tout un écosystème qui marche comme des dominos. Si le premier s’écroule, tout s’écroule progressivement.
« Si on lit l’histoire en bloc, ça devient easy
Artisan de notre défaite, auto-biaisés »
Jusqu’à ce que tout s’effondre… Tout ça fait écho à la fameuse théorie de l’effondrement de Dmitry Orlov qui affirme que le dernier stade de l’effondrement d’une société est l’effondrement culturel…
A ce sujet, je vais te prendre l’exemple inverse. Les États-Unis pendant de nombreuses années ont fait la guerre au monde pour imposer leur modèle culturel, le fameux « soft power ». Ils se sont aperçus à partir des années 2000 que plus que les bombes, ce qui permettait d’imposer le modèle américain au monde entier, c’était la culture. La culture aux US est devenue une arme. Les États-Unis ont libéré le monde occidental du joug des nazis, mais jamais autant qu’entre les années 2000 et maintenant, le modèle culturel américain ne s’était autant imposé. Avant, on avait quand même une culture française bien de chez nous. Maintenant les gamins, c’est des ricains. La chirurgie, les émissions de télé-réalité, les expressions… Ils ont gagné la bataille. Quand on remporte ces batailles-là, le monde change avec nous. Conséquence, si la culture devient pauvre et nulle, le monde entier s’appauvrit. Les actes violents s’intensifient parce que les gens sont désinhibés et n’ont plus la même considération pour la vie. Tout suit en fait.
C’est pour ça qu’en France et partout dans le monde, on se doit d’être exigeant avec ce qu’on produit, au niveau de la peinture, de la création cinématographique, de la musique, du théâtre, c’est très important qu’on reste avec une culture forte, l’inverse total de ce qu’on prône aujourd’hui avec la fermeture des lieux culturels.
D’ailleurs j’y pense, regarde le Louvre. Le musée est immense, les plafonds sont tellement hauts. Tu vas me dire qu’on ne peut pas faire entrer dix personnes dans une salle ? C’est incroyable d’infliger ça à des lieux aussi importants. Couper les gens de ça, c’est impossible, impensable. J’ai fait une interview avec Mouloud (Achour) aux Louvre et j’ai pris une bouffée d’oxygène en me baladant dans le musée. Comme jamais, tu n’imagines même pas.
« Et lorsque tout bascule on dit “l’artiste est-il utile ?”
Et pour traverser les épreuves la musique est trop futile
Ca veut des noms pour collecter les fonds
Quand ça va mal, on s’essuie les pieds sur nous comme sur un paillasson »
C’est juste mon bon sens qui me fait dire qu’on ne pourra pas tenir encore des années comme ça. On ne pourra pas vivre éternellement cloîtrés à la maison et enfermés. C’est impossible ou tu vas avoir une société qui va engendrer des guerres 100 fois pire que les 0,03 % de morts des malades du Covid. A l’échelle humaine c’est un pourcentage faible. Le virus est là, il est présent, il est agressif avec certaines personnes, mais ce n’est pas Ebola et heureusement.
Le confinement a clairement agrandi le problème, mais ce n’est pas nouveau, les gens sont de plus en plus renfermés sur eux-mêmes. D’ailleurs, je trouve que ça se reflète dans le rap. Par exemple, beaucoup de rappeurs parlent encore de l’amour comme étant quelque chose de négatif, voient le fait d’exprimer leurs émotions comme une faiblesse ou prônent l’individualisme. Ne penses-tu pas que c’est contre-productif pour l’avancée de nos sociétés, à l’heure où nous devrions plutôt nous rassembler autour de valeurs prônant la solidarité, l’amour et la bienveillance ?
Oui, je vois ce que tu veux dire. Moi, je vois plutôt ça comme une forme d’expression assez poétique. Je pense que nous aussi, plus jeunes, on a dû dire des choses comme ça. Tout simplement parce que ce manque de confiance en soi et en les autres, cette peur d’aimer, de se faire trahir… Tous ces sentiments négatifs dans les cœurs existent. C’est ancré dans notre quotidien. Les gens que l’on connaît peuvent changer, on peut se faire trahir ou se faire plaquer. C’est des phrases de jeunes adultes qui sont tout à fait normales. Personnellement, je pense pas que ça véhicule un phénomène négatif, c’est juste le parfum du temps, de l’époque. Les gens sont devenus très méfiants les uns des autres, et dire à quelqu’un qu’on aime et presque devenu un aveu de faiblesse.
Je suis d’accord, mais justement dans une époque où l’on a besoin de se rassembler, de se rapprocher, tu ne penses pas qu’il faudrait plutôt proposer autre chose ? Des messages plus positifs qui tireraient tout le monde vers le haut ?
C’est sûr que c’est mieux, mais le problème c’est que culturellement en France, on a descendu les bons sentiments pendant des années. Dans le cinéma, avec la Nouvelle Vague par exemple, on entendait souvent des critiques qui disaient « ce film est pétri de bons sentiments, c’est cucul, c’est nian nian »… On a longtemps prôné le culte du bad boy et d’ailleurs, ça ne vient pas de la culture rap, c’est plutôt de la culture rock. Forcément, une fois que c’est ancré, ça pose des problèmes plus tard dans ta société. Malheureusement sur cette observation, je suis un peu comme toi. Voir des gamins qui vivent dans la peur d’aimer et se renferment sur eux-mêmes pour se protéger des autres, ça me rend triste. Je trouve que c’est dommage.
« Les bons sentiments ont tellement été moqués
Que même les plus jeunes pouffent à la lecture des mots de Guy Môquet »
Cette parole « positive » ne devrait-elle pas justement passer par les artistes ? Vous avez mine de rien une influence que d’autres n’ont pas.
Oui c’est vrai, mais il faut d’abord que ces jeunes en mal de vivre apprennent à s’aimer. Tu n’es pas capable, dans une société humaine, d’aimer les autres si tu as une profonde détestation pour toi-même. Ça commence par là. Pour qu’ils s’aiment, il faut aider ses gamins-là à se valoriser. Pour ça, il faut que l’école soit valorisante et non dévalorisante, il faut que les métiers et les médias le soient aussi. Or, les médias produisent à tour de bras des imageries détestables de la jeunesse française.
Ta parole a du poids. Toi qui te considères comme « un adulte de la paix », je pense qu’il est important que tu poses des mots sur ça, en espérant qu’ils soient inspirants pour beaucoup de personnes en mal de vivre, au-delà même du public d’IAM…
En tout cas je suis le produit de personnes qui m’ont légué et transmis ces valeurs de bienveillance, à commencer par mes parents. Je pense que ça se transmet par l’éducation, encore et toujours la culture. Quand on me demande ce que j’aime dans les concerts avec IAM, je réponds toujours que j’aime le fait que ce soit des moments de communion avec des gens de tout âge. Je vais te dire, une fois, j’ai parlé avec un acteur connu. Il m’a dit : « est-ce que vous réalisez ce que vous vivez et la chance que vous avez d’être artistes ? » Après quoi, j’ai commencé à dire aux artistes français qu’ils mesurent dans leur fort intérieur, la chance qu’ils ont d’être artistes. En ce sens-là, je leur demande de respecter la chance qui leur a été donnée, respecter la musique, travailler pour se maintenir, travailler la qualité de leur musique et de leurs textes pour aller le plus loin possible. Le marketing, ça n’assure en rien la durée dans le temps.
C’est exactement ce que vous avez réussi à faire avec IAM : garde le cap depuis trente ans et respecter le fameux contrat de conscience que vous avez établi à vos débuts… Éternel respect pour ça.
Merci beaucoup, ça me touche… J’espère maintenant que d’autre prendront le relai. Aujourd’hui, ce qui dévie les artistes du chemin, c’est la course aux chiffres, aux ventes et tout ça… Aujourd’hui quand on parle d’un rappeur, on ne parle pas de la qualité de ses textes, mais de son nombre de streams ou de vues. Avec ces arguments-là, un jour t’es in et un autre jour t’es out, on t’a oublié. J’ai quand même bon espoir pour que ça évolue dans le bon sens, ça revient de plus en plus.
« J’suis un enfant de la violence donc un adulte de la paix »
Pour terminer, aurais-tu un conseil à donner, notamment à la jeunesse, pour contrer l’angoisse et la peur du lendemain ?
Je conseillerai dès que c’est possible, qu’ils aillent frapper le pavé de leur pied. Qu’ils aillent ailleurs pour voir comment ça se passe dans d’autres pays et comment les gens vivent. Moi c’est le fait de voyager, d’avoir bougé plutôt que de m’acheter un sac Louis Vuitton, qui m’a ouvert l’esprit sur le monde, ça m’a fait aimer le monde. J’aime la beauté de ce monde et ses civilisations.
Pour ceux qui n’ont pas la possibilité de voyager, contrairement à ce que l’on croit, la télévision avec Arte, d’autres chaînes, et même Netflix produisent des contenus de qualité et des documentaires exceptionnels. Regardez « Derrière nos écrans de fumée ». Enfin, même si c’est plus trop en vogue, lisez des livres. Moi, certains m’ont fait voyager, écrire des morceaux, donné des idées d’albums et inspiré au plus au point. La culture, quel que soit le medium, ça nourrit.
« Vive la vie, l’amour la joie, car la vie c’est mortel »
Si la France devient un pays curieux, curieux des autres et avec la pratique des langues, on sera un pays dont la jeunesse produira la génération du futur. Pour moi, c’est ça qui est important. Que les jeunes se disent « maintenant qu’est-ce qu’on va faire pour nos vies, pour nos enfants, notre pays, et qu’est-ce qu’on va faire pour le monde ? » N’en déplaise au clan du Rassemblement National, tu ne peux plus fermer les frontières, te renfermer sur toi-même et vivre en autarcie. Personnellement, le projet Corée du Nord moi ne me branche pas trop.
Mes enfants sont des jeunes adultes et je me dois d’être positif, même si je fais un constat amer avec « La Faim de leur Monde ». C’est un constat difficile, mais des fois il faut savoir tirer la sonnette d’alarme pour amorcer l’avenir. Beaucoup d’artistes refusent de prendre position par peur de perdre une partie de leur public. De mon côté, je suis détaché, je ne regarde pas mes intérêts et j’assume. J’ai de bonnes intentions et je dis avec conviction ce que j’estime être juste à dire. C’est tout. C’est pour ça que je m’en prends aux politiques depuis toutes ses années. Leurs attentions ne sont pas bonnes et sont uniquement guidées par leurs intérêts.
« Si je meurs, c’est en aimant sans arme ni bombe
J’attends toujours la fin de ce monde »