Le 26 octobre 2015, soit il y a exactement cinq ans, le rap français perdait un de ses plus grands beatmakers, un de ceux qui ont participé à le faire vraiment exploser. DJ Sya Style, Rachid Aït Baar de son vrai nom, est décédé des suites de sa maladie, un cancer si on en croit les lyrics de Soprano dans ”Mon Everest”. Il était le DJ des Psy 4 de la Rime, entre autres choses, puisqu’il ne s’est pas limité à ce seul groupe travaillant également avec tous les tauliers de la cité phocéenne comme IAM, Freeman, et bien d’autres encore.
Si Sya Styles est un grand du rap français, ça n’est pas seulement parce qu’il travaillait avec les stars des Psy 4. Il a d’ailleurs œuvré pour que Soprano, Alonzo et Vincenzo arrivent au rang de stars, et étaient avec eux depuis leurs débuts. Une véritable success story comme seul le rap peut nous en offrir, avec 4 amis d’enfance, venant du même coin défavorisé, et décidant de se jeter à corps perdus dan leur grand rêve commun de faire de la musique. Si Sya Styles est un grand c’est justement pour sa vision du rap,une vision éclectique, ouverte, qui lui a permis de décloisonner le genre, d ele faire sortir de la case dans laquelle l’industrie musicale avait rangé le rap. C’est l’occasion de revenir un peu sur sa carrière, une carrière bien remplie.
Les débuts de l’aventure
Le DJ était un battant. Avec ses trois comparses, ils écument très vite les petites scènes du Sud de la France, et réussissent à se rapprocher des grands frère d’IAM au point de finir par apparaître sur plusieurs compil’ mythiques comme ”Time Bomb” ou ”Sad Hill Impact”, à la fin des années 90. Mais c’est loin d’être suffisant, pour le groupe qui a les dents longues. Sya Styles et ses potes se retroussent les manches, et décident de sortir le premier album des Psy 4 de la Rime, ”Block Party”.
Un album dans lequel Sya Styles jouera un rôle central, puisqu’il sera le producteur principal du projet, et imposera immédiatement sa patte dès le début. Des prods assez simples, presque minimalistes, comme pour ”Le Son des Bandits”, à base de boucles avec très peu de notes, et de grosses percus comme sur ”Sale Bête”. Comme toute l’école marseillaise à ce moment là, les Psy 4 et Sya sont bercés aux ambiances East Coast véhiculées par le Wu Tang ou DJ Premier, et ça s’entend. Le DJ samplent aussi de la musique classique comme pour ”La vengeance aux deux visages”, un des chefs d’œuvre du groupe.
Le virtuose sait aussi bien nous servir des prods mélancoliques que d’autres beaucoup plus brutales, et c’est cette polyvalence du DJ et des trois MCs qui va faire le succès de la Psy 4. En 2002, ils ont déjà inventé le banger street à la française, tout en montrant qu’ils peuvent être aussi très sérieux et très torturés, selon la sauce que va leur servir Sya Styles. L’alchimie est parfaite, et la réussite est au rendez-vous avec un succès national assez rapide, bien aidés par Skyrock qui à cette époque ressemblait encore à une vraie radio rap.
Mais Sya Styles ne se limite pas à son premier groupe, travaillant notamment avec AKH, Kheops et les autres grands noms marseillais, notamment pour la mixtape ”La Cosca Team”. On peut y voir l’aspect avant-gardiste de sa musique, notamment sur le morceau ”Les Frères Castagne”. Le morceau sort en 2000, mais la prod du DJ a facilement 5 ans d’avance sur ce qui se fait à ce moment. Des prods très rythmées, presque calibrées pour les soirées, même si ça reste très street. Et c’est grâce à son avant-gardisme qu’il va devenir un des piliers du rap français dans les années 2000.
La consécration, en restant fidèle à ses principes
Lors d’une interview (qu’on ne retrouve malheureusement pas…), le DJ aurait déclaré que pour lui ”il n’y a que deux genres musicaux : la bonne et la mauvaise musique”, signifiant ainsi à tous les puristes du rap qui auraient pu lui reprocher d’avoir un peu changé son fusil d’épaule pour vendre plus, que le rap c’est devenu plus gros que simplement un sample, une caisse claire et un flow. Cette lutte permanente pour casser les frontières entre les genres va l’accompagner toute sa carrière, notamment sur le deuxième album des Psy 4 ”Enfants de la Lune” ou sur le premier album de Soprano, ”Puisqu’il faut vivre”.
Cette capacité à faire des titres aussi ouverts qu’ ”Enfants de la Lune” tout en restant toujours street, voilà quelque chose qui a profondément fait avancer le rap en France. A l’image d’un DJ Mehdi pour le rap francilien, Sya Styles a vu qu’on pouvait parfois donner au rap des aspects plus ”electro/house”, ou même sampler des chansons populaires, donnant ainsi au rap un potentiel d’impact plus grand. Avec DJ Ralph et DJ Majestic, il fonde un des premiers crew de Djs en France, les Turntables Dragons (avec qui il produira l’album de Freeman ”Le Palais de Justice” en 1999) poussant toujours plus loin l’art du sample, des scratchs, n’hésitant pas à faire resurgir certaines phrases marquantes d’AKH ou d’autres grands MCs pour de nouvelles musiques.
Une position ambiguë, entre l’hommage au rap, l’ambiance de rue, et la volonté de faire une musique qui va toucher le plus de monde possible (ce qui est peut être le but de la musique finalement), mais une position parfaitement cohérente, que le DJ tiendra jusqu’à la fin de sa vie. Une position courageuse, puisque les amateurs de rap français sont en général assez peu perméables à l’époque aux diverses innovations musicales apportées par le dirty south ou l’électro par exemple. Avec quelques petits OVNI musicaux, comme le titre ”Où sont les…” avec le grand Bouga, preuve qu’on peut rester terriblement street même en faisant du disco.
On n’a pas le temps de s’attarder sur toute sa carrière, mais sachez qu’elle a été remplie de succès, avec ses 4 disques d’or gagnés au côté des Psy 4, celui gagné avec l’album solo de Soprano, et des collaborations par milliers, avec Freeman, avec Princess Aniès, des apparitions dans les bandes originales mythiques de ”Taxi”. Bref, une vie artistique bien remplie, pour un DJ qu’on continue toutefois à regretter aujourd’hui. En 4 ans à peine, la France a perdu deux des plus grands producteurs de rap, une chose qui ne veut peut être plus dire grand chose pour vous à l’heure où les ”Type Beats” sont dispo gratuitement partout sur le net, diminuant la visibilité des producteurs d’instru…
Mais ceux qui connaissent l’importance d’un producteur de cette qualité, ceux qui ont galéré des heures sur ProTools ou autres logiciels de son, savent la vérité : Sya Styles était un vrai génie. Repose en paix, grand monsieur…