Oui, oui, on sait, parmi toutes les plumes qui ont travaillé avec l’immense DJ Premier, Blaq Poet n’était sans doute pas l’un des plus connus. La faute à une trop grande gueule, probablement. EN effet, quand on se fait connaître par un diss-track envers KRS-One et son label Boogie Down Production. Car Blaq Po’ a commencé sa carrière en pleine ”Bridge War”, cette rivalité hip hop entre le Queen’s et le Bronx, sur fond de ”quel est le vrai berceau du rap, où est-il né ?”. Une guerre musicale qui a fini par causer de vraies morts comme celle de Scott La Rock.
Blaq Poet était actif dans cette période, mais s’est par la suite fait plutôt discret, et au final, il a bien fait car ça aurait pu mal tourner pour lui. Après un album en 1991, une foule de mixtapes, un autre en 2006, BP arrive en 2009 avec son album ”Tha Blaqprint”. Un projet entièrement produit par DJ Premier, à une époque où le dirty south domine toute la scène US, même s’il se fait progressivement remplacer par la trap. Sans le savoir, Blaq Poet a aborder un thème qui va être celui de prédilection des trappistes d’aujourd’hui, alors que lui-même est un grand défenseur du hip hop à l’ancienne : les haineux.
Le morceau ”Hate” est là huitième piste du projet, et pour aborder ce thème important, celui de la haine, Blaq Poet a fait appel à un autre taulier de New-York, en la personne de N.O.R.E., moitié de Capone-n-Noreaga. L’instru est évidemment signée DJ Premier, et le morceau a tout, du début à la fin, pour être vu comme un classique.
Les new-yorkais parlent de haine
Pour parler de l’importance de ce son, il faut rappeler le contexte des débuts de carrière de N.O.R.E, Blaq’ Po’ ou encore DJ Premier, qui ont tous commencé à la fin des années 80 ou au tout début des 90’s. La ”War Bridge” n’est pas une farce, et il y a beaucoup de tensions autour du hip hop, beaucoup de rancœurs, et plus encore au sein même du rap New-Yorkais, bien avant la guerre East/West. C’est important de le préciser, car ce son est fait par trois new-yorkais, et font bien souvent référence à des problèmes new-yorkais, puisque c’est ceux auxquels ils ont assisté.
Les échantillons de voix samplés/scratchés par Primo sont d’ailleurs tous issus de groupes new-yorkais plus anciens, comme le Wu-Tang (”Da Mystery of Chessboxing”) ou encore Main Source (”Looking at the Front Door”). Ce thème de ces négros qui se haïssent entre eux,, qui se jalousent et s’envient jusqu’à parfois se tirer dessus, les rappeurs connaissent. Que ce soit N.O.R.E., avec son ”Hate is a drug and most niggas love tu use it, Addicted to it, so they abuse it, Hate from the heart, they hate from within, and not realizing they’re hating their own skin”.
N.O.R.E. explique ici que pour beaucoup de noirs des ghettos, voir un autre noir réussir est inconcevable, puisqu’ils sont sensés être noirs et que ça bloque les perspectives professionnelles. Un noir qui réussi est donc un noir qui ”blanchit”, d’où le ” ‘Bout to change my name to Victor”. Le refrain, tout en scratchs et en samples, avec notamment cette phrase ”I’m mad vexed, it’s what the projects made me”. C’est de cette frustration d’être bloqué dans les quartiers pauvres qu vient cette haine.
Un sujet devenu central dans le rap
Blaq Po’
enchaîne dans un registre beaucoup plus agressif avec un flow beaucoup plus hâché et une voix beaucoup plus énergique.Il décrit la manière dont il doit slalomer entre tous ceux qui le haïssent maintenant, ce qui est devenu la routine de tous les rappeurs semble-t-il. Car la haine est présente partout, et c’est même en disant cela qu’il conclut son couplet de fort belle manière : ”In the hood, rock stars pack heavy metal, Give me a break,niggas, hate on every level”. Les stars du ghetto sont obligées de s’armer sous peine d’être les cibles de la haine des autres habitants, qui est présente à tous les étages.
Une bien triste manière de parler de ses congénères, mais en même temps, on ne peut pas leur donner vraiment tord quand on voit le sort qui a été réservé à plusieurs autres MCs de New-York. Cette manière de traiter le sujet est assez géniale, d’autant plus que le thème des jaloux dans le rap deviendra par la suite le seul argument de vente de beaucoup de rappeurs n’ayant pas grand chose à raconter, par faute de vécu ou de vocabulaire. On se plaint des jaloux et des haters, ce qui justifie du coup tous les débordements, puisque de toutes façons ce sont ”les jaloux” qui font des reproches.
Ici, le thème est ancré à la rue et il part d’un constat bien réel : les noirs ds ghettos américains s’entre-tuent plus qu’ils ne s’entraident. Rien à voir avec les MCs d’aujourd’hui qui se plaignent des réactions des gens sur Twitter (ridicule…), genre ”j’vois les rageux sur Internet” alors que leurs sont ont à peine 100 000 vues… Mais on peut tout de même dire que, d’une certaine manière, ce morceau a été assez influent, et relate en tout cas une vérité assez crue. Le rôle premier du hip hop !