Quand Monsieur R et AKH se préparent pour la guerre

 

Il y a des rappeurs excellents, bourrés de talent, mais qui n’ont finalement pas trop marqué l’histoire du game. On peut citer Salif par exemple. A l’inverse, il y a des rappeurs avec un peu moins de talent, mais qui ont réussi à profondément marqué leur époque comme Menzo de la Fonky Family. Si on devait être vraiment honnêtes, on classerait Monsieur R dans la deuxième catégorie. Car si c’est un lyriciste honnête, il n’a pas la plume d’un Kool Shen, Lino ou Akhenaton. Mais sa force se trouve ailleurs, dans son interprétation, sa voix surtout, et ses positions engagées sans aucune concession.

Le rappeur a lutté dans la vie, et lutte encore lorsqu’il rappe, ça s’entend à son timbre et à l’amertume et la détermination qu’il met dans chaque son. Ça n’est pas un hasard s’il a pris un procès pour son morceau ”FranSSe”, dans lequel il pointait du doigt les violences policières et le refus d’intégrer les minorités. Il sera finalement relaxé, mais ce procès aura au moins eu le mérite de braquer les projecteurs sur lui un court instant. Car Monsieur R est un des rappeurs qui ont compté, en France, et même aux USA.

En 1999, Monsieur R, rappeur du 93, sort son deuxième album studio, ”Mission’R”, qui va le faire connaître un peu mieux du grand public. Le projet contient 19 titres, et on y trouve des feats avec des proches du rappeur, comme P.H.I.L.O., Kid Mesa, G-Kill (la scène du 77) et d’autres. Mais on retrouve aussi, surprise, un marseillais, et pas n’importe lequel : sa seigneurie Akhenaton, venu prêter main forte au rimeur francilien, sur le morceau ”Et si c’était demain”. Un classique dont on va vous parler un peu plus en détails.

La maîtrise d’AKH

AKH n’a pas son pareil pour accrocher l’auditeur, n’hésitant pas à l’interpeller dès sa première ligne. Mais là où il est le plus fort, c’est pour sortir une suite d’images qui vont décrire parfaitement le sentiment ou le décors qu’il veut nous transmettre. Ici, dans son couplet, il décrit un environnement hostile, où il est entouré de gens avec des préjugés, de policiers, et de quelques galériens qui se sentent exclu comme lui : ”Sans appel, sur simple appel ma cage s’ouvre, Sûrement un bon pauvre gâche saoul, là où je prêche, où la merde règne là où le gadjo crache, où la milice veut savoir AKH crèche où ?”.

C’est là le thème du morceau : deux rappeurs des quartiers qui observent u fossé grandissant entre français ”de souche” et ceux issus des diverses vagues d’immigration. Certes, AKH est originaire d’Italie, il est donc blanc, mais subit la peur et la haine des autres aussi bien que les autres jeunes de son quartier. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, certaines enseignes affichaient ”Interdit aux chiens et aux italiens” sur leur façade. Chill’, son deuxième surnom, s’attaque donc au racisme et aux préjugés : ”Fallait s’y attendre avec les : J’les aime pas mais toi t’s pas pareil que les autres, au fond t’es un bars bien”.

Il se positionne donc en soldat, qui part en croisade contre tous ces abrutis, dégoûté par les sobriquets dont on affuble ses potes : ”y’avait trop d’bamboulas dans les bouches, trop d’blagues sur les bougnoules et trop d’S sur les Pagnol, et dans l’air, trop d’joules”. Il fait également référence à des figures étrangères de résistance, puisqu’on les considère comme des étrangers : ”Foulard Palestinien sur la gueule” ou encore ”On apparaît comme le Moudjahidin afghan”, commandé par le commandant Massoud. Un personnage remarquable, et dont on parle assez peu en France (bizarrement…). Un bon pamphlet contre la société française, donc, qui va faire face à l’appel aux armes un peu particulier de Monsieur R.

La sincérité et l’amertume de Monsieur R

Monsieur R va lui donner dans le style qui l’a rendu célèbre : volontairement choquant, mais, d’une certaine manière, très lucide, et très sincère. Très alarmiste aussi, à l’image du refrain : ”Que ferais tu gars, s’ils nous tuaient de leurs deux mains, quelle serait ton attitude si c’était demain ?”. Plus qu’un simple rejet, Monsieur R va très loin : certains français veulent la mort de la jeunesse des quartiers, purement et simplement. Le rappeur appelle donc tout le monde à résister, dans le vrai sens du terme, et annonce que lui est prêt à prendre les armes s’il faut : ”Et si c’était demain je continuerais à militer, dans les bas fonds, puis dans la chanson, mais sur un autre front”.

Il explique également pourquoi il est sur le point de céder à la violence, lui aussi : ”Instable je suis mais je n’peux rester stable, aimable, avec ceux qui racontent des fables, Haïssent les noirs et les arabes, brandissent la flamme du F sous forme d’une bonne prêtresse”, le F faisant évidemment référence au Front National. Et plutôt que de partir, le rappeur a bien l’intention de rester, quitte à se battre, pour prouver qu’ici ‘est chez lui. Il en profite pour balancer un bon tacle au Général De Gaulle : ”S’expatrier non ! Comme l’a fait De Gaulle en laissant la Gaule en pleine gaule, sans jouer son rôle”. On s’amuse un peu de l’écriture ”simple” de Monsieur R, qui n’est pas très littéraire, c’est vrai.

Mais elle est sincère, et parce qu’elle est simple, le message qu’elle véhicule peut être compris par tous. Un très bon point lorsqu’on fait du rap conscient, qui donne la priorité au message et au texte. Il conclut de manière assez tragique : ”la clarté, la sincérité d’mes propos font qu’si c’était demain, y a pas photo”. Monsieur R nous décrit une France au bord e la guerre civile et d’un déchaînement de violence, et vous annonce dans quel camp il sera : celui de ceux qui se battent. Simple et efficace. On va parler aussi rapidement de la prod (visiblement signée AKH), composée d’un sample de violon, de quelques notes de piano, et de grosses percu à l’ancienne, juste mélancolique comme il faut. Exactement ce qu’il fallait pour nous faire un petit classique !

Rémi
Rémi

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