Posez la question à des fans de rap français : quels sont les groupes légendaires du rap français ? Ils vous citeront automatiquement NTM, IAM, puis viendra la Fonky Family, Arsenik, Lunatic, et juste après, les X-Men. Ces derniers n’ont pourtant jamais atteint le succès commercial des groupes cités précédemment. Leurs disques auront donc eu moins d’impact pour les auditeurs. Mais tous les acteurs du game français des 90’s les respectaient. Certains rappeurs les redoutaient même, en freestyle, où ils étaient capables de faire passer les meilleures performances pour des blagues à côté de leurs couplets.
Car c’était ça X-Men : des mecs tellement en avance dans leur rap, des Mcs aux lyrics hardcore et sans concessions, mais écrits d’une véritablement main de maître (surtout celle de Ill, incroyable), avec une attitude à la fois très gangsta et très spirituelle qui est jusqu’à aujourd’hui restée inimitable. Malheureusement, leur apogée a duré assez peu de temps, et le groupe n’a pas su convertir en ventes de disques le respect qu’on leur vouait.
Un seul véritable album, ”Jeunes, Coupables et libres” en 1998, des embrouilles avec les labels et les maisons de disque, mais des apparitions en pagaille et des morceaux classiques à foison. Si on a décidé de ne pas parler de leur album dans l’ensemble, car la pression des directeurs artistiques a considérablement amoché le projet, ce qui provoqua le départ des X, le CD contient quand même quelques titres absolument géniaux, comme ”Oublie le Come Back” dont nous allons parler aujourd’hui.
Entre mélancolie et menaces
Là où X-Men a toujours été incroyable, c’est dans leur manière de construire cette aura autour d’eux et de leur rap, une aura extrêmement mystique, constamment alimentée d’images bibliques ou coraniques, tout en restant terriblement street. Très loin d’un MC Solaar, la musique des X-Men n’est pas ”raffinée”, elle est brute, dure, rugueuse et pleine d’interrogation, exactement comme la rue. Ça n’est pas non plus un rap politisé, qui dénoncerait particulièrement, en fait, la musique des X-Men pourrait être vue comme la bible de la rue à l’époque, ou le code de la rue : Ill et Cass‘ racontent histoires et anecdotes, et donnent leur manière de se comporter dans la rue, d’y vivre, d’y prospérer, afin d’en devenir les caïds.
Mais cela ne les empêche pas de dresser des constats très précis et amers. Ce morceau ”Oublie le Come back” s’inscrit parfaitement dans ce registre : entre mélancolie et attitudes de rue, entre constats tristes et menaces à demi-voilées. La prod est signée par l’énormissime Geradlo, ou Generaldo, l’architecte de l’album des Lunatic et de bien d’autres encore. Le Mozart du label 45 Scientific nous livre une instru planante complètement inédite, terriblement triste. Et c’est dans ce domaine qu’il excelle.
Pour ce qui est du côté menaçant, on pourrait simplement mentionner le refrain : ”Et si tu pars oublie le come-back, et si tu parles obligé qu’on t’traque, et si tu craques obligé qu’on t’braque, et si tu jactes obligés qu’on t’mac” qui est à la fois un avertissement lacé aux MCs et aux ennemis qu’ils pourraient éventuellement croiser dans la rue. On ne quitte pas le game, on ne balance pas, on ne faiblit pas. On en revient à cette notion de code de la rue.
Un rap méchant mais loin d’être bête
Comme le titre de leur album l’indique, les X-Men sont dangereux, au micro et dans la rue. Mais ils sont également très conscients des forces en présence dans la rue, où tout est menaçant : ”J’me méfie même des mecs secs aux corps de tox” (big up à nos maigres). Là où Cass‘ est fort dans ce premier couplet, c’est qu’il arrive à densifier son texte et le remplir d’images fortes sans décoller du rythme très lent de l’instrumentale : ”Un texte sur nos lifes serait trop long”, sous-entendu qu’ils ont beaucoup trop de vécu, qu’il se passe beaucoup trop de chose dans la rue pour qu’ils puissent le raconter dans leurs textes. On reste très vague, mais ça renforce cet aura mystique autour du groupe. Un mystère qui s’épaissit au fil du couplet de Cass’ : à qui s’adresse-t-il dans ce long avertissement ? A des rappeurs ? A des gars du business ? Sans doute aux deux…
Lorsqu’Ill rentre en scène, l’ambiance n’est alors plus du tout la même. Le flow, le timbre de voix, et les lyrics beaucoup plus explicites donnent un côté beaucoup plus agressif (mais tout en restant dans l’ambiance générale du morceau) : ”Toc-Toc ça y est on rentre maintenant t’es out, Boc-Boc, et c’est toi qui est die” : la couleur est annoncée d’entrée, ils viennent faire main basse sur le bizz. S’ensuit une très belle description de la rue de la part de Ill, tout en simplicité ”donc flic deals crimes dans chaque ruelle, Oh ! J’avais pas vu lui, j’avais pas vu elle, ils ont grandi, leurs regards ont changé, Ah ! La vie de d’bandit, trop dur de vivre la vie d’Gandhi, donc j’reste cruel” où sans effort Ill dresse un tableau très réaliste, celui d’une rue où petit à petit tout le monde finit par avoir les crocs.
La suite est un long mélange d’ego-trip parfaitement maîtrisé et du code de la rue dont on parlait plus haut : ”Concentre-toi sur ton sort, n’essaye pas de savoir comment vivent les morts”, ou ”Mes gars t’servent comme Ivanisevic”, une des plus punchlines de sport les plus mythiques du rap FR. Mais c’est après le refrain qu’on voit l’étendue de tout le talent d’Ill. Le couplet est limite trop génial pour avoir le droit d’en parler, avec un enchaînement de punchlines magiques de la part du rappeur parisien :”On meurt pas on s’multiplie apparemment frère, ils espéraient qu’on ait fortement diminué depuis l’avortement”, une référence déguisée aux critiques faites vis à vis des familles ”nombreuses” issues de l’immigration: le système espérait les voir mourir, mais ils sont plus forts que jamais. Tout en restant dans l’egotrip, magistral. Mais même das l’egotrip, les X-Men restent dans la modération, un peu comme Ali à son époque : ”On forme un vrai clan fort, et tout concorde, chacun sa propre place comme au trom’, sa propre classe, pas besoin de chaise en or”. Pas besoin de trône, les X-Men sont déjà les rois, il ont un clan soudé autour d’eux et ont de toutes façons plus de talent et plus de couilles que les autres.
Rien ne sert de lutter, les X-Men sont irrésistibles, le travail d’équipe est parfait, comme le témoigne la fin du couplet de Cass’ : ”Ill fait le block, je shoot, swish”. Encore une belle métaphore sportive, et dans la compétition du rap, à ce moment là, les deux MCs de Paris Nord sont premiers. Sur la version originale du morceau, après que la mélodie ait cessé, on retrouve une sorte d’interlude freestyle cachée à la fin du track. On y entend Ill et Cass‘ en soirée, en train de discuter avant de se lancer dans un petit battle de freestyle sur le thème de la rue, encore une fois. Un vrai bijou.