A l’occasion de la sortie du clip de “Sales mômes” qui rassemble Scylla et Furax Barbarossa, nous avons interrogé la barbe rousse la plus respectée de la scène hexagonale.
Figure importante du rap indépendant, Furax Barbarossa se fait si rare dans les médias que l’interviewer semble être une mission impossible. MC charismatique, Furax donne l’impression d’être inaccessible voire fermé. Mais à notre grand bonheur, notre prise de contact sur Instagram pour cet entretien n’a pas été aussi compliquée que ce qu’on a pu imaginer.
Sauf qu’avant de lui envoyer un MP, il est clair qu’on redoutait sa réaction. On ne pouvait pas s’empêcher d’imaginer le grand roux, arborant un look à la Peaky Blinders (comme sur le clip Mona Lisa), en train de décapiter des têtes dans le premier port de pêche. On ne pouvait pas aussi s’empêcher de l’imaginer songeur. Sans doute parce qu’il n’a toujours pas annoncé la date de sortie de son nouvel album. Ou peut-être que le fait que notre entretien se soit déroulé au cœur de la nuit ait, tout simplement, boosté notre imaginaire.
Mais en réalité, il n’en est rien. Modeste et accessible, Furax Barbarossa est loin des gros projecteurs mais proche de son public. La preuve, même à l’ère de la pandémie, il essaie toujours de savoir si tout le monde se porte à merveille, à travers des freestyles chirurgicaux. Car au final, le plus important est d’adoucir les moeurs. Entretien.
Salut Furax, tu nous demandes souvent si ça va ces derniers temps, mais toi alors, ça va ?
Je ne me suis pas ménagé ces jour-ci. Donc, un peu fatigué mais ça va merci.
Tu rappes depuis presque une vingtaine d’années, mais tu sembles aussi passionné qu’à tes débuts. Est-ce le cas ?
Bien sûr, et je dirais même que la passion s’est amplifiée avec le temps. Aujourd’hui, je n’ai pas les mêmes armes qu’hier et putain, qu’est-ce que c’est bon d’assassiner avec les armes d’aujourd’hui.
Furax Barbarossa, l’artiste, c’est une voix reconnaissable parmi mille autres, c’est la promesse d’un rap sombre à l’écriture riche et sophistiquée, c’est la garantie d’un vrai kickage. A chacun de tes sons, on ressent un véritable travail technique. Mais en même temps, on n’a pas l’impression que tout travailler à la virgule près soit un casse-tête pour toi. Est-ce vrai ?
Ce serait un casse-tête pour n’importe qui lol. Mais avec le temps, j’ai trouvé une certaine gymnastique, une méthode pour arriver droit au but, terriblement vite. J’ai mis en place un mécanisme, une routine qui me permet d’être efficace en me faisant le moins possible mal à la tête… Mais c’est inévitable. Pour faire du bon, du solide, il faut s’appliquer et ça prend un peu de temps.
Mais concrètement, sans te jeter de fleurs, quel est ton secret pour avoir une plume qui n’a rien à envier aux grands auteurs contemporains de notre génération ? Tu bouquines beaucoup ?
Ahah ! Déjà merci de me comparer aux grands auteurs contemporains. Personnellement, je n’aurais pas cette prétention, il n’y a pas d’autre secret que le travail. Je suis comme un apprenti dans les arts martiaux qui a assimilé l’enseignement pendant des dizaines d’années. Aujourd’hui, je suis arrivé là où je voulais être techniquement… Je n’ai lu que 2 livres dans ma vie : Le Petit Prince et la biographie de Mike Tyson. J’ai fait tous mes morceaux avec ça. Pour être plus sérieux, je regarde beaucoup de documentaires. Je m’intéresse à beaucoup de choses qui pourraient paraître futiles à pas mal de gens lol… Quand quelque chose m’intrigue, je vais chercher sur Google. Enfin, je m’intéresse à tout ce qui m’entoure. C’est là que je vais puiser mes mots, mon inspiration, et dans mon vécu bien évidemment .
Au-delà de ta plume affinée et de ton flow toujours aussi bouillant, nombreux sont tes morceaux qui laissent croire que la rage t’habite, « qu’elle fait partie des meubles » comme tu le dis si bien.. mais cette rage ne bouge pas avec le temps, pourquoi ?
La rage peut-être un vecteur positif si elle est bien employée. Moi elle m’a toujours amené à me dépasser elle m’a toujours tiré vers le haut, le but étant de ne jamais l’accoupler avec la jalousie, cette dernière ne draine rien de bon.
Même si on connaît très peu de choses sur ta vie, beaucoup d’artistes se sont assagis avec l’âge ou suite à une paternité. Furax, l’artiste et non pas l’homme, est donc insensible aux aléas de la vie ?
Déjà, j’aimerais te dire qu’il n’y a que très peu de différences entre l’artiste et l’homme. Donc oui, je suis sensible aux aléas de la vie forcément. Je me suis assagi parce que je prends de l’âge et je suis père. Je ne me vois donc pas raconter les mêmes choses que je racontais à 20 ans. Ce serait complètement ridicule, j’ai évolué. Ma vie a changé, je ne vis plus dans une roulotte, donc mon rap a changé aussi… C’est inévitable, et c’est tant mieux.
Ton public s’attend à un album en 2020. Est-il toujours d’actualité ? Peux-tu nous en dire un mot ?
Il a raison de l’attendre, oui, parce qu’il est toujours d’actualité, bien sûr. On a pris un peu de retard avec les événements récents, mais il sera là en 2020… Je peux t’en dire un mot oui : foudre.
Tu as profité de ce confinement à l’ère du coronavirus pour nous régaler, sur tes réseaux sociaux, avec des freestyle “À l’isolement”. Pourquoi ne pas les avoir exploités sur YouTube ou les plateformes de stream ?
Elles ne sont pas sur Youtube parce que ce sont des vidéos filmées au téléphone, et que la qualité est dégueulasse. Ceux qui me suivent savent que j’aime m’appliquer sur l’image. Le son est, lui aussi, tout pourri car il est enregistré avec mon micro qui date de 15 ans. Donc, comme je l’ai annoncé sur Instagram, je vais enregistrer tous ces freestyles la semaine prochaine, au studio, pour les mettre sur un EP que je vais balancer sur les plateformes.
Mais du coup, on peut s’attendre à un freestyle “Déconfinement” pour clore la boucle ?
Ahahah je ferai un déconfinement, quand on sortira du 2e confinement…le vrai… pour l’heure, je vais finir cette série avec le 10ème épisode.
En parlant de coronavirus, comment as-tu vécu cette période ? A-t-elle changé quelque chose dans ta vision des choses ?
Je l’ai vécue, un peu difficilement, au début comme tout le monde. Je pense je me suis beaucoup inquiété pour nos anciens, pour nos enfants. Je suis quelqu’un de très casanier, je ne sors pas beaucoup. Les weekend où je ne suis pas en concert, je reste généralement chez moi. Donc la vie extérieure, à part les amis et la famille, ne m’a pas manqué… Puis, j’ai très vite basculé sur un mode créatif pour ne pas vriller complètement lol.
Mais ça n’a rien changé à ma vision des choses je savais déjà que ce monde était gangrené. Tout ça n’est que le début, hélas… en toute objectivité lol.
Pour revenir à ta musique et notamment ta discographie, même si tu es quelqu’un de très prolifique, ton dernier album solo va bientôt souffler ses 6 ans. Pourquoi cette longue absence ?
Mon dernier album solo “Testa Nera” est sorti en 2014… Ensuite, j’ai fait l’album “Dernier Manuscrit” avec Jeff le nerf en 2017 puis l’album avec Bastard Prod en 2018… Donc, je sors un projet tous les 2 ans. Pour moi, c’est un temps de gestation normal. Je ne fais pas un album en 2 mois parce que je privilégie la qualité… et en parallèle, on est quand même en concert toute l’année donc, pour moi, on ne peut pas parler d’absence.
Je ne comprends pas ces gens qui me parlent de retour, alors que je ne suis jamais parti. Ceux-là, je les soupçonne d’avoir quitté le navire et d’avoir cru que ce dernier avait coulé en leur absence…
Entre temps, les albums qui rencontrent un énorme succès commercial en France semblent, avec tout notre respect pour les artistes, travaillaient à la va-vite. Qu’en penses-tu ? Y’a t-il des artistes de la “nouvelle génération” que tu apprécies ?
Je ne pense pas qu’ils soient travaillés à la va-vite. Ils sont juste pensés et créés différemment. Il y a du très bon dans ce qui sort aujourd’hui, comme du très léger. Et ça, on peut le constater sur toutes les époques. La priorité n’est pas au lyrics aujourd’hui, c’est une autre formule qui fonctionne.
Et oui, il y a pas mal d’artistes de la nouvelle génération que j’apprécie, que j’écoute avec plaisir, même si je dois te l’avouer, je n’écoute que très peu de rap français. J’écoute plutôt beaucoup d’instrumental et un peu de rap ricain… En ce moment, je me bute à Eto.
Bastard Prod, ça en est où ?
Nous allons reprendre les concerts, quand la situation nous le permettra, et un deuxième album est en discussion.
Tu avais expliqué dans une interview accordée à nos confrères du “Bon Son” que vivre à Toulouse n’est un handicap que pour ceux qui rappent pour d’autres raisons. Que veux-tu dire par là ?
La phrase exacte ce n’était pas ça lol… mais ce que je voulais dire, c’est que vivre à Toulouse, pour moi, n’est pas un handicap pour faire de la musique. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, tout ne se passe pas à la capitale, surtout aujourd’hui avec les réseaux. Beaucoup de talents émergent de tous les coins de la France. Et ici, à Toulouse, nous avons de très bonnes structures nous permettant de nous développer. En l’occurrence pour moi, c’est le label Jardins Noirs avec qui je suis en contrat.
Je n’ai jamais rappé pour la gloire. C’est la passion du truc qui m’a amené là. Monter à Paris pour faire carrière n’a jamais traversé mon esprit, ni fait partie d’un quelconque projet.
Dans tes rares interviews, on a parfois l’impression que tu rejettes toute éventuelle théorie qui remettrait en question ta faible exposition médiatique ou toute injustice par rapport à ton succès commercial. Comme si tu n’as jamais ambitionné de vendre tes disques par millions. Qu’en penses tu ?
Pourquoi voir une injustice là-dedans ? Si je ne vends pas des millions de disques, c’est que je ne fais pas la musique permettant d’arriver à ce but.. Tout simplement… Devrais-je en vouloir au public de ne pas acheter mes CD ?
Si le public de masse ne l’achète pas, c’est qu’il ne se retrouve pas dedans point barre. Bien sûr que j’aimerais vendre plus, bien sûr que j’aimerais avoir plus de visibilité mais… pour ça, je ne peux m’en prendre qu’à moi. Je ne me donne pas toutes les chances en ne faisant pas de la musique actuelle, mais je fais tout simplement ce que j’aime, et qui m’aime me suive.
Aujourd’hui, je constate que beaucoup de gens découvrent encore ma musique et y adhèrent. Ce qui me donne beaucoup de force pour la suite. Je me rends compte qu’il y a encore pas mal de personne à aller chercher…c’est jamais fini. J’aimerais juste te dire que j’ai un public en or qui me suit depuis des années et je ne l’échangerai pas avec celui d’un autre… C’est pareil, la qualité plus que la quantité !
Des artistes de la “nouvelle génération”, à l’image de SCH, ont déjà mentionné ton influence sur leur écriture. Vu qu’on a l’impression que tu as aussi un bon feeling avec SCH, notamment suite avec votre collaboration sur son dernier album, peut-on espérer un featuring avec cet artiste ?
Pour les interludes de son album, j’ai beaucoup plus travailler avec Guilty (Katrina Squad) – qui était le réalisateur de ce projet – qu’avec le S. On ne peut pas vraiment parler de feeling parce que, pour être franc, lui et moi nous n’avons pas trop discuté ensemble. Mais oui, j’ai lu et entendu qu’il aimait bien ce que je faisais. Moi aussi, j’apprécie son travail, donc qui sait, peut-être que oui peut-être que non… la vie est pleine de surprises.