Joyeux anniversaire Redman ! [Chronique]

Dans l’Histoire de la culture hip hop, les MCs qui ont réussi à faire leur trou hors du rap ne sont pas si nombreux. Enfin, il y en a, mais si on compare à toute la masse de rappeurs qui existe, on se rend compte que les élus ne sont pas nombreux. Les légendes comme Tupac auront eu le droit à leur apparition à l’écran, 50 Cent s’est construit sa place, des mecs comme Ice Cube et Xzibit ont eux aussi eu la leur. Pourquoi ? Car ce sont des rappeurs appréciés, qui ont du talent pour le rap, et aussi pour l’acting, avec une bonne dose d’humour et de second degré toujours importante.

Cette capacité à rester très gangster, très thug, tout en divertissant, montrant qu’on est capables de sortir de l’aspect très “premier degré” de certains morceaux assez hardcore, Redman l’a, sans hésitation. Le rappeur du New Jersey n’aura eu besoin que d’une seule apparition (même si ça n’était pas sa première) dans “How High” pour doubler une fanbase déjà bien remplie, tout comme il n’aura fallu qu’un album pour l’installer d’emblée parmi les grands noms de ce game.

Un jeune prodige qui avait déjà accompli à 22 ans ce que peu d’autres rappeurs ont réussi dans leur carrière : être désigné Artiste Rap de l’Année par le magasine The Source, grâce à son album “Whut? Thee Album”. Et si Redman détonne autant, c’est grâce à son côté à la fois très street, et à la fois grâce à son humour, et son rap très satyrique. Sous ses allures de jeune fou du ghetto, rappant avec des intonations bizarres comme s’i était sous substances, se cache un fin analyseur de la société, qui préfère simplement tourner tout ça en dérision plutôt que de faire du “rap conscient”. Redman, à son époque, faisait déjà du rap d’inconscient, où ses excès étaient mis en avant, pour bien nous présenter son personnage. Et comme il a 48 ans aujourd’hui, on a essayé de revenir un peu sur sa carrière.

Straight from the streets

Pour rendre hommage à un rappeur qui a eu une carrière aussi longue que Redman, c’est compliqué. D’autant qu’il n’a pas eu, comme un Prodigy par exemple, des centaines de personnes qui se sont penchées sur ses textes pour en faire des analyses littéraires. Pourtant, lui aussi a du talent dans l’écriture et dans la rime, et s’il n’a peut-être pas réinventé le rap East Coast, il en incarne une des figures majeures. Pas parmi les faiseurs de tendance (au contraire d’un Jay-Z, Nas, Method Man, ou ASAP Rocky pus récemment), mais parmi les rappeurs que tout le monde respecte. En particulier les MCs eux-mêmes. C’est d’ailleurs Erick Sermon, la moitié d’EPMD, qui l’a fait rentrer dans le business, sentant que Reggie (surnom de Redman) avait quelque chose de spéciale.

On va revenir sur cette ascension éclair. Viré de son lycée à 16 ans, le rappeur revient chez sa mère, qui l’a visiblement renvoyé aussi car il vendait de la coke. Il prend ensuite le pseudo de DJ Kut Killa pour se lancer dans le DJing, puis est repéré par EPMD lors d’une soirée avec les Lords Of The Underground. Il partira avec les premiers en tournée, quelques mois plus tard, et posera même sur leur album de 1990, “Business As Usual”. Puis, deux ans après, la consécration tombe déjà avec son premier album solo. Dans le projet, on trouve des morceaux engagés, comme “Time 4 Sumaksion”, et d’autres un peu plus délirants comme “Da Funk”. Jusque dans la volonté d’écrire les titres de la manière la plus phonétique possible, pour que ça rentre facilement dans les têtes, en rejetant les codes de l’orthographe, ça montre bien la mentalité street du mec. Bien sûr, là encore, ça n’est pas le premier à le faire, mais tous les détails comptent lorsqu’on s’intéresse au personnage de Redman. Il récidivera 2 ans plus tard, en 1994, avec “Dare iz a Darkside” en allant toujours plus loin dans la satyre humoristique.

Ce style, ce personnage lui collera à la peau pour le reste de sa carrière. Un personnage de gars du fond de la classe, loin d’être bête (et même plutôt débrouillard), mais qui préfère regarder par la fenêtre et se moquer des profs quand ils écrivent des bêtises au tableau, plutôt que de suivre un cours inintéressant. Redman vu pour “Da Funk”, comme tous les mecs de l’Est qui ont grandi dans les 70’s et 80’s. Sa facilité à rapper, sans trop en faire, en fera le parfait MC de featuring, et c’est d’ailleurs un de ceux à qui cette étiquette colle le mieux. Attention : sa carrière solo est plus que respectable, elle est grande, et contient de vrais classiques ainsi que des hits (“Whateva Man” par exemple, un de ses plus gros succès) mais il souffrira parfois de la comparaison avec un Method Man, véritable scientifique du micro. Redman est plus tourné vers l’énergie et les changements d’intonations que sur la technique pure, un aspect qui le confortera dans son rôle d’ambianceur du Hip Hop US.

L’importance du personnage

Redman est le parfait équilibre entre le très bon rappeur, le personnage trop cool, avec qui on voudrait taper des soirées, et le mec du ghetto complètement imprévisible, et donc un peu effrayant. Et contrairement à beaucoup d’autres, même s’il est très porté sur l’egotrip, il est surtout fan de gros joins, de grands verres, et de filles. Les trips de gangsters internationaux, ou de richesse immense à la P.Diddy, très peu pour lui. S’il est si important pour la culture urbaine, et qu’il continue à remplir des salles de concert en attirant les fans, c’est aussi parce qu’il est resté fidèle à la rue. En 2001, il apparaît dans un épisode de MTV Cribs où les rappeurs montraient leur maison. Et contrairement à tous les autres qui exhibaient luxure et train de vie hallucinant, Redman apparaît en mec bien bordélique, vivant dans une baraque hyper basique, dans laquelle il habite d’ailleurs toujours en 2018 selon plusieurs sources.

Ça nous montre l’intérêt de se construire un personnage cohérent avec soi-même dans le rap. Ca n’a pas l’air de grand chose, mais il ne serait pas resté populaire aussi longtemps s’il avait sorti une énorme Maybach de son palace. Cette manière de surjouer un rôle en restant très naturel lui a ouvert les portes du cinéma, avec le légendaire “How Hig”, aux côtés de son pote de toujours, Method Man. Un duo toujours inséparable, au point que Redman fasse partie de la grande famille du Wu-Tang (sans faire partie du groupe). Que dire de plus sur cette légende du rap ? Ses albums de 1996 (“Muddy Waters”) et 1998 (“Doc’s da Name 2000”) furent deux classiques avec de très gros scores de ventes. Son projet collaboratif avec Method Man, “Blackout!”, également, et son projet avec le Def Squad sorti en 1999 restera à jamais gravé dans les esprits des spécialistes.

En vérité, revenir sur tous les morceaux classiques de Redman n’aurait aucun sens, il y en a beaucoup trop, et vous vous arrêteriez de lire avant la moitié de l’article. On préfère parler de la manière dont ce personnage a incarné à merveille le ghetto youth insolent et joueur avec qui c’était cool de traîner. Et le rap game ne s’y est pas trompé : Tupac, Kurupt, Method Man, Kriss Kross, Busta Rhymes, P.Diddy, LL Cool J, tous auront voulu poser avec le Doc. Et il est surtout la figure emblématique du hip hop “fun” dans les films qu’il sera impossible à détrôner. 17 ans après, on cherche toujours un successeur à “How High”. Ses 16 projets (dont 14 en solo, et 3 en commun) lui auront permis de rester à jamais dans les livres d’Histoire du rap. Et on est prêts à parier que son côté “stoner rappeur” a pas mal influencé la jeune génération d’aujourd’hui, même sans qu’ils s’en rendent compte. On va donc profiter de ce 48ème anniversaire pour rendre à Redman ce qui est à Redman : c’est un excellent rappeur, toujours partant pour un feat, et fidèle à la rue et à une certaine vision du hip hop. Pour toujours, on l’espère.

Rémi
Rémi

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