Vous l’aurez compris, chez HHC, on est des grands amateurs de rap français sudiste, en particulier marseillais, même si on aime aussi le reste. La cité phocéenne a accompagné le développement du hip hop en France depuis ses débuts quasiment, puisque certains membres d’IAM commencent à collaborer dès 1985, et ils vont devenir de vraies superstars dès le début des années 90. Si on aime le rap Marseillais, c’est parce qu’il est terriblement ancré à son territoire : que ce soit dans les ambiances, dans les paroles (avec l’argot notamment), aussi bien que dans les thèmes, on sent cette volonté infaillible de faire corps derrière la ville, même s’ils n’en sont pas tous originaires, et ça, c’est beau.
Cette notion du territoire est capitale dans notre musique, tant la ville et parfois même les quartiers, jouent un rôle dans la manière de faire du rap, créant ainsi différentes écoles, avant que le style ne soit dilué et repris par d’autres. On peut citer, par exemple, le rap de Harlem, celui du Queens, et en France, le rap parisien, en particulier celui du dix-huitième (Hugo TSR, Davodka, Flynt, la Scred, etc…), ainsi que le rap marseillais, qui peut être caractérisé par un savant mélange de volonté d’apprécier la vie (faire la fête, ou se prélasser), qui cohabite avec une furieuse envie de foute le bordel, et une proximité avec le banditisme dans les sons (le parfait exemple de tout ça est Le Rat Luciano).
Lorsque le morceau ”Bad Boys de Marseille”, de IAM, la Fonky Family et Bruizza sort, nous sommes en 1996. Le succès est assez rapide ; et un clip devenu rapidement culte fait surface. Vient alors l’idée d’enregistrer une version sauvage du titre. Un morceau moins ensoleillé, un peu moins chill, plus conforme avec l’humilité de tous les interprètes présents. Elle a fait un peu moins de bruit, et pourtant, elle est beaucoup mieux écrite, et a plus marqué les esprits des rappeurs de Marseille que sa version commerciale. En témoignent les nombreux samples dont la version sauvage a fait l’objet. Plongée dans le côté obscur de Marseille.
Leçon d’écriture
Car si le morceau a autant marqué les esprits, c’est d’abord par la qualité d’écriture des rappeurs, et le caractère plus ”frappant” de leurs lignes, en comparaison avec sa version commerciale, beaucoup plus adaptée pour être chantée ou reprise par la foule en concert. Akhenaton est évidemment au taquet dans son premier couplet plein de métaphores et de punchlines : ”Comme Nicky Lauda, j’ai pas de face et prend le mic pour la pagaille, braille, dans un autre style, AKH que dalle, tous mes potes m’appellent Chill”. Une punchline Formule 1 (la première en France), et surtout, une fabuleuse manière de se présenter au micro, chose que faisaient tous les rappeurs de l’époque. On voit aussi la volonté bien marseillaise d’emmerder la langue française, dans ”On tacle à la gorge Le Petit Robert”, un trait bien marseillais qui s’est ensuite exporté à Paris chez l’école Time Bomb notamment.
Et comme cette chanson sort sur un maxi d’Akhenaton, il a le droit de faire le premier, mais aussi le dernier couplet, avec une suite de rimes débitées qui laissent l’auditeur presque groggy à la fin du morceau. Avec, comme souvent, une manière assez mystique de faire de l’egotrip : ”Sombre attitude, à titube, Érudit,je viens d’un autre latitude, la bombe mystique, 100 mega-tonnes sale magnitude”. Vous l’aurez compris, AKH est prêt à faire exploser la musique de France avec son phrasé et ses connaissances.
Le rappeur de IAM est évidemment épaulé dans son egotrip par un Shurik’n toujours aussi impeccable, même s’il est un peu moins tranchant que les autres rappeurs du morceau (le comble pour un samouraï). Mais il a tout de même un couplet intéressant, bien que court, notamment la fin : ”Sûr de son but, la mine vive, Dans chaque phrase il représente sa ville, Dos au réverbère un œil ouvert la sentinelle veille, tu reconnais bien là le style des bad boys de Marseille”. Shurik’n est le guetteur du rap marseillais, et ne te laissera pas rentrer pour lui prendre son terrain. Et surtout, il n’oubliera pas de toujours porter haut les couleurs de sa ville. Si on ajoute à ça la mélodie un peu stressante et inquiétante, on a vraiment l’impression de rentrer dans les quartiers Nord tout doucement en voiture, sous une chaleur un peu oppressante.
Les incroyables débuts de la Fonky Family
Lorsque le morceau sort, en 1996, la Fonky Family vient à peine de pointer le bout de son nez. Enfin, ils rappent depuis longtemps sur les scènes du Sud de la France, mais c’est une des premières fois qu’un de leurs sons va frapper toute la France. Et ils vont frapper fort, en particulier Don Choa. Déjà, il commence par un ”Nique la musique de France” qui deviendra le mantra du groupe, ainsi qu’une des phases les plus excellentes du rap de l’époque : ”J’arrive pour foutre mon bordel dans la discothèque, mec, secoue ton squelette”. Un couplet bien punchy et agressif comme il sait toujours les faire aujourd’hui.
On va passer sur le couplet de Menzo, comme (trop) souvent. Ça n’est pas qu’il est mauvais, c’est qu’il rappe de manière extrêmement simple et qu’on n’a pas forcément besoin de clefs de compréhension : il ”représente Mars dans tout l’Univers”, e n’oubliant pas de dénoncer les conditions de vie précaires de ses proches. C’est surtout Le Rat Luciano qui est encore incroyable, en seulement quelques vers : une rime placée grâce à un mot italien (référence aux racines), et une phrase qui sera samplée des dizaines de fois : ”Une musique pas faite pour 100 personnes mais pour des millions, c’est ça, pour des millions, arrive un peu comme une rébellion dans le milieu”. Le Rat veut se faire le porte parole de la masse menaçante qui avance doucement vers les élites artistiques pour prendre leur place (ce qui a fini par arriver).
La référence à Hitchcock est d’ailleurs faite aussi pour ça. Et la rime ”Les jeunes délinquants s’éclatent un max au micro, c’est mieux que de fourguer du plâtre aux accros”, est incroyable sur tous les aspects : le rap comme moyen d’esquiver l’illégalité, et surtout, la phrase sur la vente de drogues qui montre que Le Rat Luciano s’y connaît en débrouillardise. Toujours montrer que le hip hop est quelque chose de positif par rapport à certaines réalités de la vie de rue, voilà aussi quelque chose de très Marseillais (qui s’est perpétué jusqu’à Jul aujourd’hui).
Sat ramène lui aussi ce phrasé simple si caractéristique de la Fonky Family, avec cette volonté d’être compris par tous en disant les choses le plus basiquement possible. Et on conclura en parlant du rappeur Bruizza, un MC new-yorkais que Akhenaton a recruté pour faire le refrain, et poser un couplet incroyable, menaçant et tout en egotrip. Si vous êtes bien attentifs, vous remarquerez une référence à la boisson préférée des gens du Sud, qui marque la volonté du MC de vouloir rendre hommage à Marseille, chose qu’il fait très bien aussi dans le refrain. Bref, un excellent son, très à l’ancienne, dans l’esprit ds débuts du rap marseillais, qui continue à poser ses bases et ses codes dont on a un bel aperçu ici !
Le rat Luciano revient bordel