Ärsenik parle du temps “où le lyric était plus important que le reste” !

Récemment invité par Radio Nova en interview pour les vingt ans de leur masterpiece “Quelques gouttes suffisent”, les deux frangins du groupe Ärsenik n’ont pas tardé à exprimer leur ressenti sur l’évolution du mouvement, et plus particulièrement le rap.

Lino, à qui on peut toujours reconnaitre la même justesse dans ses propos parle de phénomène “générationnel” et fait le pont entre délaissement du lyric et obsession du chiffre.

« Nous on est cette génération où le lyric était plus important que le reste en fait. » Lino

Une déclaration qui ne manquera pas d’hérisser une certaine relève qui a su garder cette tradition de l’écrit qui prime. Cependant s’il va sans dire que l’artiste parle d’une tendance visible indiscutable, il ne dit pas pour autant que tous les emcees de l’époque étaient de grandes plumes ni que tous les nouveaux sont des incompétents.  Tâchons de nuancer un peu, il est clair que la place du lyric dans l’industrie tend à se clandestiniser mais nombre d’artistes modernes continuent l’affrontement contre ce néant lyrical.

Les deux frères ne s’arrêtent d’ailleurs pas là et donnent matière à réflexion aux jeunes en leur rappelant qu’à leur époque, producteurs et rappeurs allaient (presque) toujours de paires ! L’exemple du mythique DJ Premier lié à Guru pour Gangstarr est vite donné car emblématique, mais au delà d’eux il reste vrai que cette génération a fonctionné dans la collaboration de manière systémique et systématique.

En quête de sens

Il ne s’agit pas pour autant de lancer un énième “le rap c’était mieux avant” dénué de réflexion, d’ailleurs je pense qu’en terme de visibilité peu d’artistes regrettent les cassettes sous le manteau vu l’impact du streaming depuis. Chaque époque a ses faiblesses et ses forces …

« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » Frantz Fanon

Pourquoi une telle maxime se retrouve t-elle ici me direz-vous ? Et bien parce que la question de notre mission se pose aujourd’hui, alors que nos anciens ont déjà fait leurs preuves. Nous sommes la relève, c’est un fait. Que tenons-nous à en faire ?

Nous pouvons sans trop se tromper assimiler la génération rap 90’s au combat social … Est-ce vraiment devenu old school pour autant ? Si de nouvelles revendications sont nées depuis et que la société a bel et bien évolué, de nombreux textes dénonçant l’injustice ou la corruption n’ont pas pris une ride.

Les idées que portaient les grands frères sont-elles vraiment désuètes ? Question rhétorique cette fois-ci, évidemment que non. Et si la nostalgie vous gagne à la lecture de ces mots et que vous cherchez un coupable, il est en papier filigrané et porte un hologramme. Les aspirations générationnelles ont bel et bien changé à l’ère Internet, à l’heure où le premier gamin qui gratte 3 rimes dans sa chambre se voit déjà palper.

“Retour aux lyrics, c’est mon slogan d’campagne” Lino

C’est un capitalisme apolitique qui sévit aujourd’hui dans le rap, et l’argent étant dorénavant admis comme motivation artistique, c’est tout un pan de la jeunesse qui accouche d’une musique sans âme.

Mais comme dirait notre cher Yoshi, personne n’est dupe ! L’auditeur averti sait encore aisément différencier la musique passionnée de l’intéressée, quand bon nombre deviennent littéralement les clients de leur rappeur préféré.

Il ne s’agit pas non plus de noircir le tableau, le rap est devenu bien trop vaste pour ça de toutes façons. Mais cette démocratisation largement bénéfique à notre mouvement a ses revers, et c’est aujourd’hui sur l’affaissement du niveau textuel global que se porte notre attention.

“Parfois je m’sens vieux, comme un rap à thème” Lino

Il est clair que Monsieur Bors est une vraie mine de lines questionnant sur le sujet, et au vue de sa plume et de sa carrière qui mieux que lui pourrait parler de tout ça ? Même si nous nous défendons de toute moralisation, nous ne pouvons qu’inciter les plus jeunes à être eux-même et à faire la musique qu’ils aiment sans se soucier du qu’en dira t’on. Repoussons cet esprit facebookien “top commentaires” de nos créations, car si plaire au plus grand nombre peut s’avérer rentable il peut surtout nous éloigner de nous-même.

Quelle meilleure façon de conclure cette petite chronique interrogative qu’avec ce son magistral issu de l’album “Requiem” ?

Golem
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