[Interview] IAM : “On est des guerriers qui œuvrent pour la paix”

A l’occasion de la sortie de Yasuke, le dixième album d’IAM, forcément spécial, nous avons rencontré le mythique groupe de rap marseillais.

Pour le commun des mortels, ce vendredi 22 novembre est un jour comme les autres. Pour les amoureux de hip-hop et de rap français, c’est un événement : celui de la sortie de Yasuke, le nouvel album d’IAM. Un dixième projet dans lequel le groupe pionnier de Marseille continue d’évoluer, tout en restant fidèle à son esprit spontané et combatif.

Faut-il vraiment présenter Akhenaton (Philippe Fragione) Shurik’n (Geoffroy Mussard), Kheops (Éric Mazel), Imhotep (Pascal Perez) et Kephren (François Mendy) ? Au travers leur riche héritage musical, dont la pièce maîtresse reste l’Ecole du Micro d’Argent, ils œuvrent depuis plus de trente ans, pour la gloire du rap français et l’amour de la culture hip-hop.

Quelques jours avant la sortie de Yasuke, nous les avons rencontrés à Marseille, chez eux, dans l’enceinte du mythique studio La Cosca aussi appelé le “Temple d’IAM”. Forcément qu’une réunion dans un tel lieu était propice à un riche échange.

Entre leur nouvel album, leur longévité, leurs débuts à New-York, leur vision du hip-hop ou encore leur relation avec les Psy 4 de La Rime, nous avons brassé de nombreux sujets. Cerise sur le radeau, les gars nous gratifient même d’un petit cours d’Histoire : celle de Yasuke, un homme au destin extraordinaire et dont le récit a résonné jusqu’à la Planète MARS.

Prenons la température tout d’abord : comment on se sent quand on s’appelle IAM, à l’aube de la sortie d’un dixième album ?

Shurik’n : je dirais comme à chaque album à la même période. On a mis tout ce qu’on estimait avoir à mettre dedans, les thèmes, les sujets, les idées. On a choisi les morceaux après beaucoup de temps passés ensemble. C’était beaucoup de création, de réflexion, mais comme d’habitude, on a gardé les meilleurs. On ne peu plus changer le contenu, “alea jacta est“, mais on en est tous clairement satisfait. On a hâte que le bébé sorte enfin.

Après, on reste des artistes. La musique c’est de l’art, donc on a surtout hâte de savoir comment il va être accueilli, au-delà des attentes du public. On est aussi dans l’attente de le jouer sur scène pour constater de nous-même quel impact il aura eu. On est comme des enfants à Noël, on sait que ça arrive, on est habitué, mais jamais blasés. Maintenant, on s’en remet à notre bonne étoile. Jusqu’ici, elle nous a toujours été fidèle donc nous verrons bien.

Aujourd’hui, nous sommes au studio La Cosca à Marseille, un lieu emblématique pour IAM, son temple même. Pouvez-vous nous raconter son histoire ?

Akhenaton : Tu l’as dit, c’est un lieu emblématique pour IAM, mais aussi pour d’autres artistes et groupes de Marseille : Les Psy 4 de la Rime et l’Algérino par exemple ont aussi enregistré ici. On est arrivé dans ce studio en 1998 donc après L’Ecole du Micro d’Argent et dix ans après la fondation du groupe IAM. C’est un lieu qui nous a permis d’enregistrer, de créer, composer et écrire nos albums. C’est un peu le prolongement du studio où on se réunissait à la Friche de la Belle de Mai avec le groupe.

Aujourd’hui, c’est encore un lieu où on se pose souvent pour penser, écrire et enregistrer des morceaux avant d’aller réellement en studio professionnel. Tout simplement parce que la cabine d’enregistrement ici n’existe plus depuis le début des années 2010. Pour la musique, c’est un lieu chargé d’Histoire. Concernant cet album, on a composé, écrit et enregistré les maquettes ici. On l’a enregistré en Thaïlande et mixé à New-York, au studio Germano, le même où on a mixé Rêvolution, Art Martiens et …IAM.

Cet album, c’est finalement la suite logique de Rêvolution, artistiquement parlant

AKH : C’est vrai que Yasuke est assez lié au précédent. Mais ce n’est pas calculé. On pense toujours à faire la musique qui nous plaît au moment où on la fait. C’est la suite logique, car les deux ne sont pas très éloignés dans le temps. Et puis mine de rien, la période qui sépare Yasuke de Rêvolution, c’est quasiment trois ans qu’on a passé sur scène. Ils sont forcément proches, mais celui-ci est un peu plus enlevé en terme de tempo et d’énergie. On s’est clairement inspiré de nos lives.

Avec IAM, on ne pense pas les albums, mais on fait des morceaux. Pour celui-ci, on en a fait 35 et dans le lot, on a éliminé ceux qui ne nous plaisaient pas. Après réflexion, il y en avait 16 qui faisaient consensus. On fait toujours comme ça. Je pense que si on avait arrêté de travailler sur l’album un mois avant ou continué un mois après, la tracklist aurait été légèrement différente.

Pas de regret du coup ?

Kephren : Jamais ! Tu ne peux pas regretter. Quand tu regrettes, ça veut dire que tu n’as pas fait le travail comme il faut.

Imhotep : Si ! Il y a un regret. En faisant comme ça depuis toujours, il y a beaucoup de bons morceaux qui sont jamais sortis, mais qui je suis sûr, feraient plaisir à nous et à notre public. Ce sont des morceaux qui, soit n’ont pas eu l’aval de tout le monde, soit n’étaient pas terminée. Mais ça reste de très bons morceaux.

AKH : Ce n’est qu’une question de manque de temps et d’esprit. Déverrouiller un titre et écrire un bon couplet dessus, des fois ça se fera dans la demi-heure qui suit la composition du morceau, et des fois ça sera deux, trois mois après.

35 titres, c’est assez peu pour IAM finalement.

AKH : C’est peu oui, mais beaucoup sur la période qu’on s’est fixé. On a commencé à travailler sur le projet fin janvier, pour finir d’enregistrer début juin, juste avant de partir en Thaïlande.

Kephren : C’est l’expérience qui nous a appris à nous brider justement. En général, on partait sur 50 titres et c’était le bordel pour choisir. On s’est volontairement restreint et bridé pour en faire moins, mais mieux.

AKH : Quand j’y pense, on ne se fixe pas vraiment de règles pour l’écriture ou la compo d’un album. On n’a pas de schémas répétitifs, il y a une vérité par album. Comme on le dit souvent, l’album d’IAM qui sort, c’est la photographie des mois où on l’écrit en l’enregistre. On le sortirait six mois plus tard, l’album serait radicalement différent.

C’est peut-être justement cette spontanéité dans votre façon de faire qui explique votre longévité…

AKH : Quelque part oui. Dans la créativité, on arrive à se remettre en question. Après, il faut vraiment être capable de se focaliser et distinguer les bons morceaux. Aussi, je pense que notre longévité est due au fait qu’on respecte notre art, notre musique, nos directions artistiques et nos valeurs. On ne perd pas notre sans-froid en redirigeant l’album vers quelque chose de plus moderne. Comme on le faisait déjà dans les années 90 et 2000. Yasuke, c’est un album d’IAM, un vrai.

Sur cet album, il y a une volonté de transmission historique très forte. Au travers la référence d’abord au tableau Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, puis au samouraï Yasuke.

AKH : Oui. Le Radeau de la Méduse symbolise de manière réduite la société. Le radeau sur lequel on est bloqué, c’est le monde dans lequel on vit tous les jours. On s’aperçoit qu’on est obligé de cohabiter avec des gens que l’on n’aime pas forcément, mais aussi avec des personnes intéressante qui font des choses extraordinaires et qui nous enrichissent. Sur ce radeau, on constate la société qui est en dérive, mais aussi Yasuke avec son sabre.

Shurik’n : L’histoire de Yasuke est une histoire dans laquelle on se retrouve facilement et qui nous a touchés. D’abord son arrivée en tant qu’esclave noir-africain, et son accession impossible sur le papier à l’époque, à un rang important dans la hiérarchie du Japon féodal. Pourtant, il a réussi à devenir samouraï, l’un des rangs les plus respectés.

Avec IAM, on reprend ça en s’identifiant à son histoire. Oui, on met le doigt sur plein de choses qui ne vont pas dans notre monde, mais malgré tout, on veut dire que tout reste possible. Notre réussite en est la preuve et on n’est pas les seuls. Du coup, on veut surtout donner de l’espoir. Si on se contente de décrire le noir en disant qu’il n’y a pas de sortie, on va au suicide de l’album.

image-iam-yasuke-featurings-album

Kehops : Aussi pour nous, il y a cette image qui nous a marqués à l’époque. Celle de cet enfant de 14 ans retrouvé noyé sur une plage en Méditerranée, avec son radeau et son carnet de notes cousu à l’intérieur de sa veste. Il partait en Europe pour réussir avec ses bonnes notes à l’école. C’est horrible, mais ce gamin s’est dit “là-bas c’est possible”.

AKH : Mine de rien, beaucoup de nos familles sont venues dans ce pays “sur des radeaux” , par voie de terre ou par voie marine, mais les pioches et les pelles les attendaient. On est tous issu de familles immigrées à un moment donné.

Imhotep : On est des immigrés de souche (rires)

La démarche d’IAM aujourd’hui, c’est donc de se replonger et puiser dans son passé, pour mieux évoluer. C’est une démarche difficile à adopter ?

AKH : Non parce qu’on est la somme de plusieurs expériences. On utilise le passé comme une forme d’expérience. On en parle justement dans “Once Upon A Time”. C’est une traversée temporelle de Marseille dans la culture hip-hop.

Le plus difficile pour moi sur un album, et je pense que Geo (Shurik’n) sera d’accord, c’est d’arriver à trouver des sujets à la fois variés et attrayants. Nous on n’arriverait pas à faire un album sur un seul thème. Que ce soit des chansons d’amour ou de quartier, ce serait compliqué pour nous.

Par exemple, sur cet album, on trouve des morceaux qui reviennent à l’essence même du hip-hop, certains en mode battle de rap et d’autres qui sont plus egotrip. On a fait ça parce que tous ces éléments font partie de notre culture. On voulait faire un album plus énergique et ces formes de rap là ont par essence de l’énergie. On est dans le même esprit que des battles de breakdance. On s’affronte, on rivalise, on essaye de sortir les mêmes phases et au final, on s’étreint.

Shurik’n : comme un danseur qui affronte son adversaire, dans cet album, il y a des phases, des punchlines, des chambrades. Ce n’est pas dirigé vers une personne en particulier, mais plutôt vers ces adversaires imaginaires et impersonnels que tous les MC ont, les “Sucka MC”.

AKH : Les nôtres, on les a nommés : les “Commode”, les “Pabo Escroblague”. C’est un exercice de style. Après, si les gens se sentent concernés par l’habit qu’on décrit de l’ennemi, c’est autre chose. Ce sont des noms, mais surtout des vannes qui permettent de mettre des phases en valeur. Ça ressemble bien à IAM. On est des guerriers qui œuvrent pour la paix.

Imhotep : A l’époque, on était des gardiens de la paix, mais ça voulait dire autre chose. Dommage parce que, “Imhotep et les gardiens de la paix” ça aurait fait un beau nom de groupe (rires).

AKH : Imhotep le condé du coup ! (rires)

Dans l’esprit battle justement, il y a ce morceau, “Fin des Illusions”, en mode cypher avec Veust, R.E.D.K., Relo, Faf Larage & Allen Akino. C’est donc important pour vous de remettre en lumière cette discipline du hip-hop aujourd’hui en perdition ?

AKH : C’est clair que plus personne ne le fait, et nous c’est justement le genre de truc qui nous branche. Aujourd’hui, quand on regarde l’Histoire de cette musique, dans toutes les époques… Années 80, et surtout dans les années 90 et 2000, il y a eu des cyphers mythiques qui sont restés des grands morceaux. Pour moi, l’un des plus grands, j’en parle souvent, mais c’est “Scenario“, d’A Tribe Called Quest et Leaders of the New School. Un titre incroyable.

Imhotep : Il y a aussi “60 Second Assassins” de DJ Kay Slay, Busta Rhymes, Layzie Bone, Twista & Jaz-O.

Akhenaton: Tous les groupes dans ces années-là ont fait des cyphers et c’était bien. D’ailleurs aux Etats-Unis, l’exercice est arrivé dans des émissions de récompenses modernes. Pour les BET Hip-Hop Awards, entre les séquences de remise de prix, il y avait des cyphers. Si DJ Premier a fait ça pendant des années, ce n’est pas pour rien, ça fait partie de la culture et c’est l’esprit même du hip-hop. Même les rappeurs les plus connus, aiment et apprécie cette forme-là.

 L’intérêt aussi des Cyphers, c’est que même si les MC’s sont en concurrence, il y a une émulation entre eux qui permet d’élever le niveau global. Les uns et les autres sont poussés à donner le meilleur d’eux-même, ce qui donnent souvent des performances incroyables.

AKH : Exactement, il y a ce côté transmission d’énergie. Et c’est exactement ce qu’on a ressenti en enregistrant ce titre. Ça restera un très bon souvenir. On a volontairement fait ce morceau a une époque ou plus personne n’en fait.

Ça s’inscrit logiquement dans votre combat en tant que “Rap Warriors” finalement…

AKH : Tu sais… Pour beaucoup d’artistes qui ont marché dans le rap français… Quand tu regardes bien à la base, tu as des gros collectifs derrière : Secteur Ã, Les Psy 4 de La Rime, La Sexion D’Assaut, La Fonky Family. Le public en France et en général, aime que les gens se rassemblent.

C’est l’esprit Block Party. à vrai dire…

Exactement. L’esprit positif du hip-hop. Inconsciemment dans la tête des gens, il existe. Il ne faut pas oublier que cette culture-là est née d’un partage, d’un échange, et ce même s’il y a un esprit de compétition sportive derrière. La base du hip-hop, c’est d’échanger, de partager des bons moments et des sons.

Imhotep : La compétition dans le hip-hop, ce n’est pas trouver le maillon faible, c’est trouver le maillon fort… Boom, cadeau !

Tout le monde : Popopoooooo !

Kehops : Messieurs, merci, bonsoir !

AKH : Si je te la reprends celle-là, je suis obligé de faire un drop the mic !

Imhotep : Et en plus tu seras obligé de me verser 10% à la SACEM. En faite, c’était pas cadeau en fait, faut payer ! Cadeau 10%.

Concernant les autres collabs de l’album, j’ai l’impression qu’elle retrace en gros toute l’histoire d’IAM : Skyzoo pour les débuts à New-York, les Psy 4 pour le côté famille et héritiers, Kalash pour le côté reggae et représentant de la nouvelle génération, et enfin, le fiston JMK$ pour boucler la boucle sur le dernier morceau.

Akhenaton : On l’a pas calculé mais c’est bien vu ! Après, c’est pas si illogique que ça puisque quand on invite des artistes, ce sont des gens qui font partie de l’univers musical d’IAM. Effectivement, on a eu très tôt des proximités avec le dancehall et le reggae. Kalash peut s’inscrire dans la lignée de “La 25ème Image” et “Un cri court dans la nuit”, les morceaux qu’on a fait dans les années 90 avec Daddy Nuttea. C’est complètement ça, mais pour être honnête, on a fait les morceaux sans faire attention à ça. L’analyse, c’est le boulot des journalistes !

Imhotep : C’est quand même mieux de relever des choses pertinentes auxquelles on avait pas forcément pensé, que de nous demander ce qu’on a mangé le matin ou si on préfère les boxers ou les slips ! Bon il y en a un dans le groupe, on sait qu’il préfère les strings, mais on ne dira pas qui…

Alors justement, racontez-moi : c’est quoi une journée type dans la vie d’IAM ? Non je déconne… Puisqu’on parle de collab, j’aimerais revenir sur celle avec les Psy 4. C’est un peu un événement.

Akhenaton : Pour nous, c’est symbolique. Si on est des tontons, ils sont nos neveux. C’est le prolongement de notre relation. Autant qu’IAM, les Psy 4 venaient enregistrer leurs albums ici à la Cosca, on a fait des tournées ensemble. J’ai vu ce morceau comme une continuité plutôt qu’une cassure.

Il y en a peut-être une dans la tête du public qui a plus l’habitude de les voir ensemble. Je pense que Rachid, (Sya Styles), que Dieu ait son âme, aurait été fier de voir l’équipe réunie sur ce titre-là. Personnellement, je trouve que c’est un moment émouvant parce que j’ai travaillé de près avec eux au quotidien, et que je sais que Rachid était extrêmement attaché à la culture hip-hop et ce qu’elle représente. D’ailleurs, il est présent sur le morceau. Kheops a fait 16 mesures et on entend ses scratchs.

Kehops : On a récupéré des vielles bandes qu’on a réutilisées. On remercie Nabil (“Zenn” Ghrib) d’ailleurs, c’est lui qui nous les a fournis. C’est a dire qu’on a émis l’idée, et ils ont répondu présents direct. C’était surtout une question de planning.

Imhotep : Au moins ils sont tous les quatre dans le morceau. La question ne s’est même pas posée, c’était normal.

Il y a le feat avec Skyzoo aussi, il représente en quelque sorte, l’âme new-yorkaise d’IAM.

AKH : Pour tout te dire, cette collab était prévue pour l’album précédent. Pour dire la vérité, on a eu un énorme problème de sample sur la version précédente. Avec Skyzoo, on s’est rencontré par connaissance commune. Quand il est venu jouer à Marseille, on a eu l’occasion de le rencontrer physiquement. Quand on rencontre des gens qu’on aime et qu’on apprécie, les collaborations viennent facilement.

ça s’est fait un peu comme en 98 avec Talib Kweli, on a fait la collab et on a gardé des liens. Régulièrement on se recroise, on s’est vu à la Gare de Lyon une fois. La dernière fois il est venu jouer à Marseille dans le parc, c’était le top.

Pour revenir à Skyzoo, il fait partie des rappeur qui symbolisent l’âme new-yorkaise du hip-hop. De par sa diction, son flow, sa voix et ses métaphores, il évoque un peu le type de rap de Jay-Z dans les années 90. C’est un super artiste et il super gars. Il est talentueux et humainement, il est vraiment au top.

C’est aussi à vous AKH et Kheops que l’on doit la première collaboration rap franco-américaine, “This is the B-Side”. Il y a une histoire incroyable derrière ce morceau.

AKH : C’est une collab en pyjama. On était tous les deux avec Kheops et il y avait un studio dans la maison. Ce jour-là, Chubb Rock et Todd Terry avec nous. Je me rappelle descendre en pyjama dans le studio, j’avais des pantoufles ridicules et tout. Je regarde les gars rapper et un des MC galérait à poser son couplet. Mon pote Tony D, l’ingé son, propriétaire du studio et du label me dit : “Hey Phill, vient montrer comment on pose un couplet en français. J’ai rappé, ils sont devenus fous et ils l’ont gardé. Le morceau est sorti en maxi avant d’être inclus dans une compil en Angleterre seulement. C’est vraiment le premier disque qu’on a fait en 1988.

Kheops : On en a fait un autre, “The journalist” à la même époque, avec M.C Sergio.

AKH : Oui, peu de gens connaissent cette histoire, mais on a aussi fait notre première production. J’ai fait le beatmaking et Kheops les scrtachs. J’étais assis dans le studio, j’observais les beatmakers et ces enfoirés se moquaient de moi. Il y avait Marley Marl et Andre Harrel qui m’appelaient Andre de Bourlemarl. (rires).

Après, ils sont partis à Philadelphie, j’en ai profité pour allumer le studio. C’est la première fois que je touchais un sampler et j’ai fait un morceau direct, juste grâce à mes observations. Je ne touchais jamais les machines, c’était une Mirage et une SP-12. J’ai fait deux instrus, une où j’ai samplé Bill Withers et une autre où j’ai samplé “Joy” de Isaac Hayes. C’est cette instru qui a été gardé pour “The Journalist” de M.C Sergio.

Kheops : un jour, j’ai acheté le disque, j’ai entendu le morceau et j’ai halluciné ! Dedans, il y avait son instru et mes scratchs. Je crois même que c’est mon premier scratch sur vinyle. Déjà à l’époque, quand tu regardes le maxi “Jimbrowski” des Jungle Brothers, il y a nos noms sur le label écrit. Et dans le même label, il y avait le groupe TYB qui parle de nous dans ses paroles.

AKH : C’était une période importante pour nous parce qu’on était vraiment des fanatiques. Quand t’as faim, que t’as vraiment envie, que t’as la fougue, c’est un truc de fou. Kheops et moi, on faisait vraiment de l’espionnage industriel à cette époque. On voyait quand même des artistes de fou enregistrer tous les jours. On les regardait on était fasciné. Quand il sont partis à Philly, c’est la première fois que nous-mêmes, on faisait nos sons. On avait déjà enregistré en studio, mais ça a changé notre perspective de la musique. On s’est aperçu qu’avec les samplers, on pouvait tout faire. Le Mirage et la SP-12 ont changé beaucoup de choses dans le rap. C’est à cette époque que Marley Marl a fait pivoter le rap dans l’ère moderne.

Petit rappel : pourquoi cette envie de crier toujours haut et fort cet amour du hip-hop ?

AKH : Simplement parce qu’on l’oublie trop souvent dans le hip-hop. Dans beaucoup de morceaux aujourd’hui, on crie l’amour des belles voitures, de l’argent, et bien nous on crie haut et fort quel est notre centre d’intérêt. C’est notre fascination de cette musique, la manière dont on la fait, la manière qu’on a de l’écrire et de la performer.

Par exemple, l’autre jour, on regardait un danseur qui s’appelait Kida The Great. En voyant son style, je me suis dit qu’il venait du Krump et ça m’a fasciné. J’ai regardé plein de ses vidéos et je l’ai montré à Geo qui le connaissait.

Shurik’n : je le connaissais parce que je regarde souvent des vidéos de Krump. Je l’ai connu petit quand il a commencé et il avait déjà le même nom.

Des battles de beatmaking aussi ?

AKH : Oui, mais je trouve qu’elles sont à 5% de ce qu’on pourrait faire. J’aimerais que les gens réalisent que le sampling et le DJing sont de véritables formes d’art. Ces battles qu’il y a autour d’un même sample, c’est fantastique. Tu files un sample à des producteurs, tu leurs donnes une heure, et tu t’aperçois qu’avec le même sample, les morceaux sont radicalement différents. C’est la preuve que tu peux partir d’un sample, sans forcément copier l’originale.

Les battles de beatmaking mettent surtout en lumière des gens qui travaillent différemment. Aujourd’hui, on vit dans une époque où tu télécharges les rythmes et les patterns facilement. Tu prends ceux de Drake, tu changes les pieds, les caisses etc et ça y est c’est fini, tu as une rythmique. Or, ce n’est pas ma conception. Pour moi, c’est du hitmaking et pas du beatmaking.

Imhotep : Et ça marche pas.

AKH : si ça marche. Il y a des morceaux qu’on m’a fait, qui ont strictement la même rythmique.

Imhotep : Alors le monde va mal.

AKH : On a des passions communes dans le groupe et on les partage. Geo est à fond dans les battle de danse, moi je suis plus sur le battle rap. Je préfère les battles US parce qu’ils rappent plus de manière rythmée. Le rap français est plus prosaïque et manque de rythme à mon goût.

Bref, on crie haut et fort notre amour de cette culture. Elle se retrouve dans nos discussions de tous les jours et est ancrée en nous. On commente les albums, les sorties, les clips entre nous tout le temps.

Récemment, Nas a déclaré qu’il en avait marre que les gens lui parle toujours que d’Illmatic. Est-ce qu’IAM éprouve le même sentiment à l’égard de l’Ecole du Micro d’Argent ?

Shurik’n : En tant qu’artiste non, parce qu’on est fier d’avoir sorti un album qui a marqué la vie de tant de personnes. C’est une fierté et ce serait mentir que de dire l’inverse. Maintenant, en tant que performer, je comprends pourquoi il a dit ça, parce qu’il a sorti pleins d’autres choses derrière. Je comprends qu’il en ai marre qu’on le ramène toujours à cette période alors que sa carrière est vaste.

Nous c’est vrai que même si on a aussi une longue carrière derrière nous, on le vit plutôt bien. On sait qu’on a des classiques qui sont inévitables sur scène. Si on ne les joue pas, c’est le lynchage direct et on vient nous chercher dans les loges. Cela dit, on reste des MC et on amène de la nouveauté à chaque fois, comme les spectacles que nous on aimerait voir !

Dans le morceau “Once Upon A Time” qui clôture l’album, vous revenez au début de l’histoire d’IAM et la retracez avec JMK$. C’est un moyen pour vous de passer le flambeau ?

Shurik’n : on ne passe pas le flambeau, mais plutôt, on le partage.

AKH : Il y a un passage de témoin, mais c’est surtout une accélération dans le temps. On part de l’époque des breakbeat de disco, on termine sur une prod’ à la Mobb Deep sur le dernier couplet de Geo, et Yannis arrive sur une prod’ un beaucoup plus moderne et fidèle à l’image de son rap. En faisant ça, on traverse l’histoire du hip-hop, de Marseille, et l’histoire du groupe IAM. C’est un partage important à nos yeux. Au début, il n’y avait que IAM, et François (Kephren) a suggéré à la fin d’inviter Yannis sur la prod’ moderne. Je trouve que ça a vraiment du sens.

Pour finir sur un ton plus léger : quelle est votre “Good Morning Song” ?

AKH : je vais t’en donner deux : Rick Ross Feat. John Legend, “Free Enterprise” et “Thankful for What I Got” de Barbara Lewis.

Shurik’n : Pour mon classique, je dirais “Alone In The Street” de Styles P qui revient souvent dans la voiture, et en ce moment, j’écoute “Church” de Samm Henshaw & EARTHGANG.

Kheops : Un morceau de funk pour moi, mais je peux pas te dire lequel, ça dépend de comment je suis réveillé.

Imhotep : Moi je vais dire “Kaya” de Bob Marley. On change un peu de registre.

Kephren : Tu m’as surpris alors moi aussi, je vais changer : “Roller Skates” de Steel Pulse.

Jérémie Leger
Jérémie Leger

Dans la même rubrique

Recommandé pour toi