Si le rap de Memphis fût en pleine renaissance avec le groupe Three Six Mafia et son entourage, servant alors d’inspiration principale pour les sudistes d’aujourd’hui, Bone Thugs-N-Harmony parait remonter à la surface. Notamment à cause de ce beef avec les Migos qui clamaient être le groupe le plus influent et les meilleurs rappeurs au passage. Des propos qui seront démantelés par Layzie Bone, l’un des membres de BTH, en leurs rappelant le rôle qu’ils ont joués à la fin du siècle dernier. Pour les qualifier, deux choses viennent à l’esprit : leurs chants gospels omniprésents et leur attitude de voyou se mêlant avec une harmonie spirituelle qu’ils retranscrivent dans leurs lyrics. Signé sous le label Ruthless Records d’Eazy-E, les rappeurs de Cleveland n’auront pas été que de méchants garçons.
Un chemin vers la rédemption
Il est vrai, le Bone Club n’avait pas la réputation d’être des tendres de par leurs méfaits récurrents comme la fois où ils ont volés tous les biens pouvant rapporter des pépettes dans un hôtel luxueux. Pour autant, ils n’en restés pas moins des hommes très croyants. Pris dans la spiral des signatures en abondance du label Ruthless dans les années 90, les cinq héros nommés Krayzie Bone, Wish Bone, Bizzy Bone, Layzie Bone et Flesh-n-bone auront eu la chance d’en faire parti tout en impactant la Californie. Eux, pourtant venus de Cleveland, l’une des villes les plus pauvres des Etats-Unis dans un paysage abandonné aux friches dénudées et où contourner la loi est le seul moyen de survivre. Malgré cela, ils réussiront à taper dans l’œil d’Eazy-E et partir en Californie. A cette époque, le Gangta Rap s’était imposé dans tout le pays grâce à un langage virulent et une attitude désinvolte. Et même si Bone Thugs-N-Harmony avait ce bagout, l’aspect religieux aura su s’immiscer dans leurs textes. Un postulat qui intrigue, nous poussant à en savoir plus.
Pour comprendre leur démarche, il faut remonter à leur premier EP Creepin On Ah Come Up, où des traces plus qu’évidentes pouvaient être aperçues. Exemple avec le titre Mr.Ouija qui invoquait les esprits provenant de la tablette maléfique du même nom. Les membres seront désireux de connaître leur avenir notamment sur leur date décès, certains de mourir d’une balle dans le crâne. Une balade aux phrases écourtées à la manière d’une invocation. S’en suivra d’un Mr.Ouija 2 pour l’album E. 1999 Eternal où des rumeurs couraient disant que le morceau utilisait le backmasking. Cette technique consistant à mettre la plage en arrière pour y desseller un message caché.
Ce qui ferra le sel de ce premier album restera Crossroads. Un single en l’honneur d’Eazy-E après sa mort tragique (mais douteuse) dû au sida. Sur un sample de Joe Delia, les rappeurs voulaient initialement rendre hommage à tous leurs proches tués par balle. Et même si l’idée restera en sous-couche, la mort prématurée de leur boss aura eu raison quant à la direction finale du morceau. Sous les accords RnB, les anthologistes prêche les tragiques histoires du ghetto avec une vision endogène. Se rajoute à cela une vidéo exposant une cérémonie funéraire ou bien un hôpital et ses murs pâles. Tout du long, un esprit vêtu d’un trench en cuire s’immiscera sur chacune des scènes telles un ange déchu. Le groupe s’expose au monde de par ce hit et installera leur idéologie dans la tête des auditeurs.
Ne se faisant pas prier, ils continueront dans leur lancé avec l’album The Art of War en 1997 en écumant des thèmes, certes, en rapport avec le rue mais aussi et toujours sur la religion. De plus en plus, un lexique propre à eux prend forme. On y compte le mind spirituel, le mindblow lorsqu’un crâne explose sous la pression des balles ou encore leur statut de brother keeper auprès de leur famille. Le titre Evil Paradis rend explicite la relation étroite qu’ils entretiennent entre le paradis qu’ils convoitent et leurs actes terrestres assez douteux qui leurs font voir des artefacts démoniaques aux coins de leurs yeux. Mais force de constater que leur situation précaire s’efface peu à peu et les pousse à exclure toutes les mochetés de ce monde. Les valeurs s’encrent toujours plus dans Mind of a Souljah avec cette envie de parler de ce phénomène presque inconnu qu’est la mort. Surtout, Layzie va redéfinir le mot thugs, comme si celui-ci n’était qu’un acronyme cachant une vérité que seuls eux détiennent. Sous la bannière Trues Humbly United Gathering Souls, on devine que la signification se place loin des voyous et autres criminels.
Les conations spirituelles et ésotériques continueront à parsemer leur musique mais il faudra attendre 2007 avec leur quatrième album Strength & Loyalty pour apercevoir un changement majeur dans leur prise de position. Il semble que les cinq hommes ont parcourus le chemin de la piété en étant toujours plus croyants. Pour justifier ce postulat, le titre Order My Step (Dear Lord) illustre amplement l’idée. Dorénavant, les pas qui guident nos rappeurs ne sont plus le crime des les violences de gangs mais plutôt le seigneur. Layzie Bone ne veut plus être rebelle, il s’est assagit. Ses paroles sont assez claires, notamment lorsqu’il déclare « When I can stop and give it all to Christ ». On devine alors que la figure du diable est désormais l’ennemi suprême. L’écart de leur discours entre 1997 et 2007 est assez probant. Pour bien comprendre ce changement, il faut se pencher sur la nouvelle vie de Krayzie et Bizzy, les deux membres les plus impacter par les croyances.
Le pardon éternel
Que ce soit l’un ou l’autre, ils auront embrassés de tout cœur la religion. Pour Bizzy, qui n’a pas été évoqué au sein des lignes précédentes, il aura pris un virage serré. Entrant dans le Judaïsme, c’est avec un œil remplit d’ésotérisme qu’il abordera cette religion. En effet, la mythologie, trop peu connu, prendra pleinement part à son raisonnement. Il faut faire une distinction entre la Torah, qui retranscrit les principes fondamentaux du culte par écrit, et la Kabbale, n’entreprenant la pratique de l’apprentissage uniquement de façon orale. Pour Bizzy, il choisira la deuxième option tout en faisant la liaison avec cette fameuse mythologie. L’évocation de Nuriel, qu’il rebaptisera Purple Homie, semble être son cheval de batail. Sous la forme d’un ange, elle représente le phénomène météorologique de l’averse. Il nous l’explique vaguement en interview, mais qu’importe le temps passé à déceler les paroles grandiloquentes, le tout reste très flou. Les médias le diront mentalement instable en vu d’une flopée de mots et pensées décousus qu’il déverse sans y mettre une quelconque cohérence.
Pour Krayzie Bone, son cas se veut être plus terre à terre, quoi que fortement empreint à l’extrapolation. La vision spirituelle reste tout autant présente pour lui mais il se rapproche plus facilement des figures religieuses connues du plus grand nombre. Depuis quatre générations, sa famille aura baignée dans une culture millénariste régit par de le nom des Témoins de Jéhovah. Saturé de doutes, il est en quête de la balance parfaite entre le bien et le mal. C’est-à-dire ne pas pêcher sans pour autant ne plus avoir une vie un tant soi peu hédoniste. Au-delà de cela, il dérive sur des affirmations houleuses à propos de la nouvelle génération de rappeurs qui se ferraient distraire par l’une des créations du diable qu’est le matérialisme, et qu’ils ne pourraient donc pas se poser de questions existentielles. Un comportement qui, d’après lui, s’appliquerai sur une majorité du peuple et qui se conclurai par l’apocalypse. Bref, l’idée reste extrême.
La position prise par Bone Thug-N-Harmony concernant les esprits surnaturels et le folklore qui les entourent aura donné ce petit grain de sel nécessaire à solidifier leur univers. En plus de leur influence en termes de chant et de structure des morceaux, ils seront les prescripteurs en ce qui est de la fascination pour l’au-delà et les figures divines. Que ce soit les Illuminatis ou le diable, ils instaurent un nouveau climat dans le Hip Hop, et cela dès le début des années 90. Un patrimoine trop souvent négligé et qu’il est important à garder en mémoire au coin de sa tête.