Lorsque la G-Funk débarque du côté de Los Angeles, à la fin des années 80, grâce à la patte de Dr.Dre notamment, qui a eu l’idée génial d’introduire des petits samples de funk dans des morceaux, à côté de lignes de basses énormes, des ”sifflements”, la vague déferle quasi immédiatement sur tous les Etats-Unis. Alors que la côte Est est encore un peu réfractaire à cette nouvelle tendance, quelques albums classiques vont peu à peu les convertir à la G Funk, et plus généralement, au gangsta rap. Ces albums, on peut les citer : ”Straight Outta Compton”, de NWA, le premier album solo de Dr.Dre, ”The Chronic”, et le troisième, c’est celui de Snoop Dogg, ”Doggystyle”.
Le projet de Snoop, sorti en 1993, est entièrement produit par Dr.Dre, et sort sur le label Death Row, le très célèbre label tenu par très thug Suge Knight. Et on peut dire qu’on voit une véritable filiation entre Dre, Snoop et Suge : cet univers très gangster sans concession, arrogant, où le flingue est sorti à la première occasion, n’aurait sans doute jamais pu voir le jour ailleurs que sur ce label, justement tenu par un vrai criminel. Un ancien membre des Crips (Snoop) travaillant main dans la main avec un membre des Bloods (Suge), la crème des gangs de LA est représentée derrière le micro. Les meilleurs ingrédients pour produire un classique de la ”Gangsta Funk”.
La Snoop attitude, tout un programme
Si Snoop a pu porter aussi haut le concept du gangsta rap, c’est grâce à son vécu, mais surtout à son talent, son humour, sa nonchalance, tout ça mélangé donnant ce qu’on peut appeler la Snoop attitude. Un profil inédit, jamais vu jusqu’alors dans le rap, où tout le monde était un peu politisé, avait des mots très durs contre les violences policières, ce genre de choses. Snoop, lui, n’en a rien à foutre de toute cette merde. Il la vit, mais ça n’est pas du tout avec ça qu’il veut te faire danser. Ce détachement, de la part du rappeur, qui passe aussi bien des thèmes ”chill” à des histoires de meurtre ou de cul assez hardcore, est veut te raconter sa vie de criminel en la célébrant, en faisant ainsi un mode de vie que tu en viens limite à envier.
Dans ”Doggystyle”, Calin Broadus (vrai nom de Snoop) nous dévoile donc son quotidien, une vie bien remplie : beaucoup d’armes en tous genres, de la violence pouvant survenir à n’importe quel moment (comme lors du morceau ”Pump Pump” en featuring avec Lil Malik, un exemple parmi d’autres sur l’album), de réflexes de la vie de rue (se déplacer en équipe avec des gars de confiance, toujours armé, etc…), mais surtout beaucoup de déconne, d’humour, de filles faciles avec d’énormes formes, d’alcool et de weed. Et, élément indispensable à tout vrai gangster de Los Angeles, des lowriders, avec l’option décapotable si possible. La musique G-Funk sur l’album de Snoop semble avoir été faite pour être écoutée au rythme des suspensions hydrauliques du lowrider dans lequel Snoop entasse ses homies, ses tass’, sa weed et ses armes. Dans cette veine là, on peut citer l’excellent ”G-funk intro”, modèle du genre comme le laisse entendre le titre du morceau.
Snoop, c’est tout ça à la fois. Finies les histoires de course poursuite avec la police, qui de toutes façons sont des incompétents pour Snoop : lui a assez de soucis avec ses ennemis de la rue, ses business et ses femmes à gérer. Le gangsta ne se cache plus, il se pavane très lentement dans les rues de LA, spliff à la bouche et arme à portée de main. Les morceaux pour rider sont légions dans le morceau, comme ”Gin and Juice” avec Daz Dillinger.
Les instrus de Dre font aussi toute la différence. On a longtemps reproché à ”Doggystyle” d’être une copie de ”The Chronic”, mais c’est totalement faux, pour deux raisons : la première, c’est toute la Snoop attitude, qui pousse à son maximum la figure du gangster. La deuxième, c’est que Dr.Dre semble avoir pris plus de risques sur l’album de Snoop, comme sur le refrain à la flûte de ”Tha Shiznit”, une idée géniale. C’est aussi ce qui fait de ce disque un classique : Dre a vraiment tenté d’aller le plus loin possible dans cet univers musical, et grâce à Snoop, cette musique a désormais une incarnation. L’alchimie est parfaite, et le succès est au rendez-vous avec 800 000 exemplaires écoulés dès la première semaine.
Des hits en pagaille, des invités en feux
Les invités jouent un rôle capital dans l’album de Snoop. La famille de la G-Funk qui est réunie sur ce disque fait peut-être la meilleure performance de toute l’histoire des guest list du rap, en terme de cohérence avec l’ambiance et de valeur ajoutée au projet. Dr.Dre fait quelques apparitions vocales, sur ”G Funk Intro” et ”What’s my Name ?’‘, mais on retrouve surtout Daz Dillinger et Kurupt de Tha Dogg Pound à plusieurs reprises, avec à chaque fois cette complémentarité entre tous les MCs, comme sur le morceau ”Doggy Doggy World’‘.
Nate Dogg est évidemment de la partie pour le méga hit ”Ain’t No Fun (In the Homies can’t have none)”, un hymne à la fête et au cul, qui fait partie des titres qui ont le plus tourné, avec Warren G et Kurupt. Warren G qui est également présent dans le ”Bathtub”, l’introduction de ‘l’album, aux côtés de Snoop. Les interlude parlées sont d’ailleurs toujours assez incroyables, soit très drôles, soit servant à poser l’ambiance, soit pour augmenter le côté egotrip, et à chaque fois, elles sont toutes très réussies.
The Lady of Rage, Nancy Fletcher, Tony Green et D.O.C. , le grand pote de Dr.Dre, viennent compléter une famille West Coast déjà bien remplie. Le résultat, ce sont des hits en pagaille, à un point où presque un titre sur deux est un hit et un single potentiel. Quand on réécoute aujourd’hui, ça n’a pas pris une ride : ”G Funk Intro”, ”Gin and Juice”, ”What’s My Name”, ”Ain’t no Fun”, ”Doggy Dogg World”, et même ”Murder Was The Case” qui a plus tard inspiré un film, sont autant de hits présents sur les 13 pistes de ”Doggysyle”. Un album court, certes, mais sans aucune fausse note, ce qui en fait un des disques les plus réussis de l’histoire du rap. Le meilleur de Snoop, à n’en pas douter.