Les fans de hip hop se plaisent à dire que le RAP est l’acronyme de Rythm and Poetry, et auront donc défini le rap comme de la poésie urbaine, sur des rythmes urbains. Une vison partiellement vraie, mais qui occulte une partie de la réalité de cette musique, qui a d’abord, dans un premier temps, été conçue pour faire bouger les gens du ghetto new-Yorkais. Si évidemment le texte avait son importance, ça n’a pas grand chose à voir avec la poésie dont on parle aujourd’hui, avec des paroles très spirituelles, des figures de style très travaillées, comme on en trouve souvent dans notre rap. A l’origine, tout ça était beaucoup plus “brut”, beaucoup plus “direct”, il s’agissait avant tout de transmettre une énergie, et non pas forcément un message politique (même s’il y en avait souvent un, même sous-jacent).
Longtemps, les critiques musicaux se sont focalisés sur la qualité des textes, des rimes, sur ce que ça racontait, les histoires, le vécu. Probablement parce que les ghettos leur étaient inconnus, et que donc ils étaient “surpris” par tout cet environnement. Mais l’énergie, peut-être plus dans le hip hop qu’ailleurs, a un côté capital. Cette capacité à “ambiancer”, “motiver”, “remuer”, tout les verbes que vous voulez est ultra-importante dans notre musique qui est née sur scène, on le rappelle. Et ça, s’il y a bien un rappeur qui l’a compris, c’est notre gars DMX.
Mieux que personne, il a su incarner sa musique en lui donnant quelque chose de très fort, très énergique, et cette débauche d’énergie est assez communicative. Celui qui est né à Mount Vernon, à côté de New-York, fait partie de ces MCs qui ont vraiment marqué l’histoire de ce game, grâce à son attitude, et sa manière de rapper. Et en 1998, il explosait complètement aux yeux du monde avec 2 projets, tous les deux dans le top 10 des ventes de Hip Hop US. Le premier, “Flesh of my flesh, blood of my blood”, est le plus connu et celui qui a le mieux marché. Le second, “It’s Dark and Hell It’s Hot”, vendu à 250 000 exemplaires, n’est pourtant pas en reste, et il a presque 20 ans tout pile (sorti en mai 2018). L’occasion pour nous de revenir dessus.
DMX et son rap “physique”
a choisi de prendre le contre-pied de tous ces MCs reconnus pour la qualité de leurs textes, la manière dont ils débitent, dont ils flottent sur l’instru. X’, au contraire, choisit de rentrer dedans, de l’agresser, et nous en même temps. Et on le sent dès les trois premiers morceaux du projet, l’introduction, “Fuckin’ Wit’ D”, et surtout, le célèbre “Ruff Ryders Anthem”, un des morceaux les plus emblématiques de la longue discographie du rappeur. On comprend les journalistes américains, qui, à la sortie du projet, ont déclaré que DMX possédait une sorte d’aura agressive, presque bestiale, même sans avoir dit un mot. Et lorsqu’il se met à rapper avec sa voix éraillée, en la poussant, évidemment, cette électricité se transmet à l’auditeur.
Le projet contient 4 gros singles. On vous a déjà parlé du plus gros d’entre eux, mais ils sont tous dans la même veine, à part “How’s it goin’ down”, beaucoup plus calme. Mais “Stop Being Greedy” et “Get At Me Dog” sont deux vrais banger avant l’heure. Surtout le premier, où X’ répète son aboiement plusieurs fois, et montre bien qu’il est un des seuls vrais “Dog” de ce rap game. Le genre de morceau qui vous enflamme une scène, quel que soit le nombre de spectateurs venus observer la performance. Et c’est grâce à cette énergie palpable que le MC a réussit à se faire une place dans le Panthéon du Rap US. Une place bien méritée, car X’ est un authentique Hustler très talentueux et charismatique, qui a gardé la mentalité de la rue à vouloir arnaquer l’Etat, même une fois millionnaire (il a d’ailleurs été récemment jugé pour ça). Et il raconte de vraies histoires de rues, dont on sent qu’il en a vécu la plupart, ce qui fait que son rap touche terriblement juste.
DMX, un rap minimaliste ?
Récemment, une étude plaçait DMX parmi les rappeurs ayant utilisé le moins de mots de vocabulaires différents dans ses textes, comme si le nombre de mots utilisés par les rappeurs était révélateur de la qualité de leur oeuvre. Evidemment, ça n’est pas le cas : ce minimalisme dans le vocabulaire est chez X un gage de qualité. Et il a surtout voulu illustrer la mentalité gangster à son paroxysme : “Talk Is Cheap muthafucka”, scande-t-il avant de tirer à la fin de son morceau “Ruff Ryders Anthem”. Comprendre : parler, c’est sur fait. C’est plus facile de parler quelque chose que de le faire, et DMX a choisi de “le faire”. En fait, cette simplicité apparente du vocabulaire cache une volonté d’authenticité, et de vouloir faire ressentir à son public des émotions de manière plus physique et moins cérébral.
Cela n’empêche pas DMX de performer aussi sur des morceaux aux allures beaucoup plus traditionnelles, en suivant les codes de l’école new-yorkaise à la Nas ou Mobb Deep. Le titre “Niggaz Done Started Something” avec Mase, Sheek Louch, Jadakiss, et Styles P le montre bien. Mieux, le titre “Look Thru My Eyes” montre bien que DMX peut kicker de manière beaucoup plus posée et “consciente”. Sur l’autre posse cut, de l’album, “For My Dogs”, est également dans cette veine plus posée. Finalement, cet album de DMX fait la parfaite jonction entre les deux facettes de son rap, l’une hyper bestiale, agressive, utilisant peu de mots, et la deuxième plus traditionnelle et un peu plus réfléchie (mais toujours hardcore, évidemment). Et vous l’aurez compris, X’ décrit sur ce projet son environnement de manière aussi brutale parce que cette vie l’est, et qu’il faut être un Thug pour survivre.
DMX parle aussi bien de la vie dans le ghetto que ses ancêtres du Wu-Tang, Mobb Deep, Big Pun ou Nas. Il en parle juste différemment, sur cet album, et au lieu de le faire avec des métaphores, de faire de l’introspection, il choisi d’incarner cette violence omniprésente autour de lui, faisant d’elle la principale arme de son rap. Sur ce projet, on a toutefois pas encore atteint le maximum de l’agressivité de DMX, qui le sera encore plus sur ses deux disques suivants. Mais ce projet, qui a tout juste 20 ans, a considérablement influencé le rap. C’est un peu tiré par les cheveux, mais il n’est pas aberrant de penser que beaucoup de rappeurs trap actuels ont été très influencés par ce genre de rap bestial, avec des mots qui se répètent beaucoup et même quelques gimmicks, chose rare pour l’époque. De plus, en le réécoutant, tout ça n’a quasiment pas pris une ride. Deux bonnes raisons pour vous de vous refaire l’album en entier !