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L’album “Relapse” fête ses 10 ans : le magistral contrepied d’Eminem

Si Eminem a une carrière aussi longue que les joints de Snoop Dogg, celle-ci n’est pas pas pour autant un long fleuve tranquille. Au contraire. Le 15 mai 2009, il dévoilait “Relapse”, son sixième album. Alors star planétaire, Marshall Mathers vivait selon ses dires la période la plus compliquée de sa vie. Et cet album est une belle preuve que les âmes torturées sont souvent les plus imaginatives. 

Après deux albums au succès colossal – “The Eminem Show” en 2002 et “Encore” en 2004 – Eminem était la figure inévitable du rap américain. Celle que même les gamins de province françaises connaissaient et écoutaient en boucle à la récrée. Pourtant, à cette époque, le rappeur blanc le plus cool et déjanté du hip-hop prend ses distances avec la musique. Il faut dire qu’il traverse une période sombre, très sombre. S’il a toujours été un homme empli de tourments, ceux-ci se réveillent à la suite d’épreuves desquelles on ne sort pas indemne.

Eminem est addict aux médicaments, véritable fléau outre-atlantique. Il consomme entre 40 et 60 doses de valium par jour et plus de 20 doses de vicodin. Une quantité irraisonnable. Sa vie familiale ne roule pas non plus au mieux. Après s’être remarié avec son ex-femme, Kimberly Scott – connue par les fans comme “Kim” – il divorce en 2006. Dernier coup de poignard dans son petit cœur déjà meurtri, son ami de toujours et rappeur Proof est tué par balles à Détroit la même année. Le cercle vicieux où drogues et dépressions s’épousent font d’Eminem un homme abîmé, perdu. Se concentrer sur la musique est logiquement difficile.

L’inspiration retrouvée d’Eminem

Pourtant, après une grosse période de trou, où le Real Slim Shady alterne entre page blanche et aller-retours en cure de désintoxication, la machine va se remettre en route. Dès 2007, il s’entoure à nouveau de Dr. Dre pour produire son nouvel album. Surtout, il arrive à se défaire de son addiction. L’inspiration est retrouvée, et ce qu’Eminem va montrer de lui à la face du monde est spectaculaire.

L’artiste annonce la couleur par le titre. “Relapse”, c’est la rechute. Pas la guérison (qui arrivera un an plus tard avec “Recovery”). Em va plonger son auditoire dans les tréfonds de l’âme humaine. Dans l’introduction “Dr. West”, il se confie à un médecin, se disant nerveux quant à son retour à la vie normale après sa cure. Comment va-t-il résister ? Dès la première mesure du titre suivant “3 a.m”, Eminem livre sa réponse : “Il n’y a aucune issue, il n’y a aucun endroit où se cacher” dit-il.

La grande force du projet, au delà de la production impeccable (Avec Dr. Dre aux manettes quoi de plus logique ?), c’est la cohérence du propos. Eminem propose presque un album concept, dans lequel il mélange habilement des situations vécues à de la fiction. Le résultat est violent, sans concession. Terriblement jouissif pour certains, à côté de la plaque pour nombre de critiques à l’époque.

Fasciné par les tueurs en série, il se projette dans leur esprit et leur atrocité sur des titres polémiques, mais brillamment écrits. Dans “3 a.m” toujours, il tue et déchiquette inconnus (“Je me réveille au McDonalds, imprégné de sang / Des corps inertes derrière le comptoir”), comme membres de sa famille (“Je me rappelle la première fois que j’ai démembré un membre de la famille”) avant de décrire la scène avec une précision glaçante. Em verse dans la barbarie à un tel degrés de détails qu’il s’agit davantage d’une bande-originale de film d’horreur fictif que d’un album classique.

Un album introspectif

Dans “Same song & Dance”, pourtant une ballade assez douce sur le plan musical, il kidnappe et tue ses proies. (“Lentement, elle se laissait entrainer et j’ai pu commencé mon rite après l’avoir enchaîné”) Pas n’importe lesquelles puisqu’il s’agit des stars Lindsay Lohan et Britney Spears. De quoi choquer tout le pays. Un fil rouge sang renforcé par les interludes narratives présentes tout au long du projet.

Mais l’œuvre d’Eminem est complexe. S’il embrasse parfois le rôle du sadique sans sentiments, c’est qu’il voit complétement flou dans les siens. La chanson “Beautiful”, la seule qu’il dit avoir écrite alors que l’addiction le rongeait encore, est sûrement le constat le plus lucide qu’il ait fait sur soi : “J’ai pris des coups, je suis tombé en morceaux / Je me suis écroulé mais je me suis relevé / J’ai besoin de cette étincelle pour retrouver toute ma tête / Pour que je puisse à nouveau prendre le micro”. Une introspection sincère, sa voix tremblante en est la preuve, qu’il réitère sur “Déjà Vu”. Un storytelling poignant sur les dessous de son addiction (“Je me défonce jusqu’à ce que les enfants rentrent de l’école / Et depuis que je suis convaincu d’être insomniaque / J’ai besoin de ces pilules pour dormir, et m’écroule 3 fois par jour”). 

Cette vérité brute contée par une star au fond du trou couplée au style incisif et impertinent d’Eminem a fait de “Relapse” une pièce unique qu’il faut célébrer. Peut-être pas son plus grand album mais, à coup sûr, le plus sous-estimé.

Eminem – Relapse en streaming