The Alchemist : “Je suis un explorateur, je cherche toujours à dénicher des pépites insoupçonnées”

A l’occasion de la sortie de son nouveau projet Yacht Rock 2 , nous vous dévoilons notre entretien avec The Alchemist, réalisé lors du dernier Demi Festival.

La réputation de The Alchemist n’est plus à faire. Celle d’un producteur et DJ de légende qui a travaillé avec les plus grands rappeurs de l’histoire du rap US. Mobb Deep, Dilated Peoples, Roc Marciano, Styles P, Sean Price Le Wu-Tang Clan, House of Pain, Cypress Hill, Curren$y, Eminem, Guru, Nas, Royce Da 5’9″ Action Bronson… J’en passe et des meilleurs.

Habitué à tourner dans nos contrées, le natif de Los Angeles a fait une halte au Demi Festival de Demi Portion pour nous éblouir de sa science musicale. C’est alors que nous le retrouvons au lendemain de sa performance, chez Discomaniaks, un disquaire de Sète.

La rumeur court que le producteur a acheté plus de 400€ de vinyles pour sa collection personnelle. Impossible bien entendu de vérifier ses emplettes, mais peu importe. Alchemist est détendu, posé, et près à nous donner quelques minutes de son précieux temps.

Un entretien millimétré durant lequel nous avons quand même pu aborder quelques aspects de son immense carrière : son lien avec le rap français, sa vision et son approche de la musique, son nouveau projet Yacht Rock 2, et bien sûr ses liens forts avec certains de ses collaborateurs, notamment le regretté Prodigy. Entretien.

Alchemist, c’est un honneur de te recevoir. Hier, tu as enflammé le Demi Festival. Jouer dans ces conditions est quelque chose de nouveau pour toi ? Comment as-tu vécu cette expérience ?

C’était génial, le public était incroyable et le cadre magnifique. C’était vraiment une surprise pour moi, je ne m’attendais pas à aussi bien avant de venir. Et pourtant, à chaque fois que je viens en France, il y a toujours de bonnes vibes. Le fait aussi d’être le seul artiste US présent, ça met la pression. Tu ne sais pas à l’avance si le public sera réceptif ou s’il connaîtra tes sons. Au final, les gens étaient connaisseurs. Tu envoies de l’énergie et on te la renvoie encore plus. C’était une expérience vraiment fun pour moi.

Tu étais à ta place, car je sais que tu es très concerné par les artistes français. Quand tu as fait la mixtape Paris LA, Bruxelles pour Red Bull par exemple. Peux-tu revenir sur cette expérience ?

J’ai toujours été historiquement lié aux artistes rap français, depuis l’époque où j’ai commencé à travailler avec Mobb Deep même. Il y a toujours eu cette connexion entre moi et des artistes de Paris ou ailleurs. Toute la France vraiment. La mixtape Paris, LA, Bruxelles pour Redbull, c’était dans l’ordre des choses, c’était vraiment quelque chose de naturel. On m’a fait écouté tous ces gars, je les ai trouvé géniaux et on a simplement fait de la bonne musique ensemble.

Il y a de plus en plus de connexions entre des rappeurs français et américains aujourd’hui. Est-ce que c’est quelque chose que tu souhaiterais faire valoir de ton côté ? Peut-être en travaillant avec d’autres rappeurs français à l’avenir ?

Au final tu sais, la bonne musique est organique et se fait de manière naturelle. De nos jours, tout le monde est sur les réseaux sociaux et peut communiquer avec tout le monde alors…. Oui, tu vois ce que je veux dire ? Je suis ouvert à tout, du moment que c’est frais et nouveau.

Au-delà de la France, je sais que tu te considères comme un “Citoyen du monde de la musique” : peux-tu m’en dire plus sur cette philosophie ?

Oui c’est vrai. En fait, je pars d’un principe simple : chaque pays est différent et a une richesse à proposer en matière d’influence musicale. Et c’est vraiment tous ces aspects insoupçonnés de la musique que je cherche à découvrir. Quand on écoute vraiment la musique, on comprend qu’elle ne vient pas d’un seul et unique endroit, mais qu’elle résonne tout autour du monde. Les sons sont différents, mais unifient les gens du monde entier. Même s’il y a du bon et du moins bon forcément, si tu cherches bien et a une bonne oreille, tu trouveras des pépites partout où tu iras. C’est exactement pour cette raison que j’ai acheté autant de vinyle, j’ai vraiment pioché dans tous les styles.

Tu nous as habitué à travailler avec des vétérans du hip-hop et des artistes plus “underground”, mais que penses-tu de la jeune génération mainstream ? Pourrais-tu envisager de travailler avec elle ?

J’aime aussi les nouveaux qui débarquent. Quand j’ai commencé à travailler avec Action Bronson ou Earl Sweatshirt, ils étaient encore des rookies. J’essaye toujours de dénicher des jeunes talents et de favoriser les connexions entre eux. C’est naturel du moment que la musique qui en résulte est de qualité. La manière de travailler change en fonction de chacun, qu’importe la génération. De mon côté, j’essaye toujours de laisser les artistes faire leur truc comme ils le sentent. Je n’ai jamais forcé qui que ce soit à poser avec un autre. S’ils aiment l’idée que je propose, ils me le disent et nous écrivons l’Histoire.

Qu’est-ce que tu as trouvé d’intéressant dans cette boutique ?

Tellement de choses, j’écoute tout ce que je trouve. Je me vois un peu comme Lewis et Clark (les premiers explorateurs américains à avoir traversé les États-Unis à terre jusqu’à la côte pacifique ndlr). Je suis un explorateur, un radar. Je laisse ma tête et mes yeux me guider et je flaire tout ce qu’il y a autour de moi. Mon but est sans cesse de dénicher des pépites insoupçonnées, des sons qui ne me sont pas familiers et que je n’aurais jamais pensé trouver. J’ai dépensé 400 euros, mais c’était la première moitié. Je pense que je vais ressortir 400 euros aujourd’hui.

Peux-tu me parler de tes projets à venir ? Sur quoi tu travailles ?

Il y a Yacht Rock 2 qui va sortir dans quelques jours (il est sorti aujourd’hui le 30 août 2019). C’est la suite du premier. Comme le dit le titre, c’est un disque qu’il faut écouter pendant l’été sur un bateau. Un album estival à écouter avec ses potes. Dessus, on retrouve justement tous mes collaborateurs les plus proches actuellement : Roc Marciano, Action Bronson, Benny The Butcher, Conway The Machine, Westside Gunn et Willie The Kid. Je sortirai aussi bientôt, un nouveau projet commun avec Action Bronson.

Parlons justement de Conway & Westside Gunn, deux de tes plus proches collaborateurs aujourd’hui. Depuis peu, ils ont signé chez Shady Records et Roc Nation et commence à sortir de l’ombre. Quel est ton sentiment sur leur avenir ?

Je trouve ça génial qu’ils aient été signés. Ils méritent vraiment de la reconnaissance car ils sont talentueux. A chaque fois qu’on a travaillé ensemble ils ont tout défoncé. Je suis content de voir que d’année en année, on parvient toujours à mettre de bonnes personnes en relation. C’est ce que j’aime le plus dans la musique : voir des gars brillants percer. Je veux les voir exploser comme ce fut le cas pour Schoolboy Q ou Action Bronson, pour citer ceux avec qui j’ai travaillé.

Je sais que c’est une question difficile, mais je ne pas être face à toi sans évoquer Prodigy… Cela fait plus de deux ans qu’il nous a quitté et j’aimerais savoir : si tu avais une chose à lui dire ici et maintenant, quelle serait-elle ?

[Il est ému] Je t’aime toujours fils, je ne t’oublie pas et tu me manques. On se retrouvera un jour… J’aurais voulu qu’il soit ici avec moi. On parlait tout le temps de partir autour du monde, c’est même pour ça qu’on faisait de la musique. Pour ça et pour durer encore plus longtemps que notre vie. Il a réussi. Il avait encore tellement de choses à dire, mais je suis heureux que le monde entier ait pu bénéficier de son talent.

Photo de tête : © Joris Couronnet

Jérémie Leger
Jérémie Leger

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