Quand Rohff nous livrait son ”Testament”

Vous êtes sans doute au courant maintenant, Rohff a été condamné hier à 5 ans de prison fermes. Même s’il a encore 10 jours pour faire appel, il y a de fortes chances pour que le soldat du 94 prenne un grosse peine, et cela, c’est en partie dû à son casier judiciaire, loin d’être vierge. Ça n’est pas la première fois que le rappeur va faire un aller-retour sous les barreaux, et le fait d’être une star du rap ne l’a jamais empêché de régler ses problèmes comme s’il était en bas dans son hall.

La dernière fois qu’il avait été condamné, c’était en 2007, pour possession d’arme à feu. Déféré à Créteil, il avait écopé de 5 mois fermes. 5 mois durant lesquels le rappeurs va écrire des textes d’une qualité incroyable, avant de ressortir en novembre 2007, pour assurer la première partie du concert de 50 Cent à Bercy, ainsi que la promo de son nouvel album, ”Le Code de l’horreur”, dont une partie a été écrite en détention.

Et on ne sait pas si c’est la prison,le fait d’avoir pris le temps de réfléchir sur lui-même et sur la vie, qui a fait ça, mais Rohff nous a alors livré des textes qui frôlent la perfection, au point qu’on se demande si la prison n’aurait pas eu un effet ”amplificateur” sur le talent du rappeur. Parmi les grands titres de cet album, il y en a au moins un qui est un véritable classique, parce qu’il résume à qui seul toute la personnalité et la mentalité du chanteur, qui se met en scène avec une justesse jamais égalée. Ce titre, c’est ”Testament”.

Un morceau fleuve, spécialité de Rohff

Ce morceau est un morceau-fleuve, c’est à dire un morceau complètement hors format radio (8 minutes, beaucoup trop long pour être diffusé), très long, sans refrain, et rappé d’une traite (c’est l’impression que ça donne). Pourquoi faire de tels morceaux ? Parce que Rohff a des choses à dire, il a une tonne de rage à déverser, d’impressions à confier, et que tout ce flot d’émotions ne peut pas être contenu dans un simple morceau radio de 3min30 avec 3 refrains. Ces morceaux-fleuves, Rohff en a fait sa spécialité, on se appelle par exemple du morceau classique ”Générations Sacrifiées”, classique lui aussi.

Cette volonté de faire des morceaux non diffusables par les radios, dans l’unique but de se confier et de tisser un vrai lien avec l’auditeur, qui arrive beaucoup mieux à s’immerger dans l’univers de l’artiste, voilà qui caractérise le rappeur. Il fait des morceaux personnels, dans lesquels il parle de lui, pas de la vie des autres, mais en étant extrêmement touchant, et en parlant de lui, ses phrases font écho dans les esprits de plein de gens. Ce morceau, c’est un peu sa psychothérapie en même temps que son héritage : ”J’pense à la mort constamment, c’est l’dernier testament, Rédigé consciemment, fais comme si j’étais mort récemment”.

L’humeur n’est pas à la fête, normal pour un texte écrit en prison. On sent que la feuille de papier a fait office de défouloir, sur laquelle il a jeté toutes ses idées et ses émotions. Tout y passe, la réflexion sur lui-même, sur la vision qu’il a du rap, ce que ça signifie pour lui: ”Ma voix te surine, mon son dévalorise leur frime, Exprime trime, crime, centimes, j’porte mes couilles en guise de bling-bling” . Voila pour lui: un rap sans artifices, sans superflu, un rap simple et sincère, à l’image du rappeur.

Cette humilité, qui cohabite dans sa tête avec une grosse estime de lui en tant que vrai gars qui porte les valeurs du ghetto, en opposition à ceux qui surjouent les gangsters et exhibent leurs richesses voilà qui est révélateur de son rap: ”Mes regrets sont bien dans leur peau irritée, rescapé de l’immaturité, richesse de la précarité”. Rohff rappe pour les cassos, avec des sautes d’humeur ravageuses qui leur causent des regrets, mais qui gardent la tête haute.

Rohff le clairvoyant

Là où le morceau devient génial, c’est quand il se livre un peu plus en profondeur. Qu’il met en lumière ses contradictions, qui le font agir à l’opposé des principes qu’il prône dans son rap, une dualité qu’il assume parfaitement, de manière tantôt narquoise, tantôt amère: ”J’suis ce microbe excédé de problèmes, qui casse la dernière bouteille d’Heineken, pour tagger sur son bras toute sa haine”.

Il nous parle aussi du rôle salvateur qu’a joué la religion dans son existence, même s’il est lui-même conscient d’avoir été un ”mauvais” croyant par certains de ses actes: ”Meilleur des refuges, est dans le din, ça te donne une bonne mine, les ablutions te purifient les mains remplies d’hémoglobines, fier d’être muslim, que Dieu me guide si j’en suis pas digne, avec ou sans la tâche au front on est des gens bien au fond on est hnine”. Tellement humble qu’il n’est même pas certain d’être digne de croire en Dieu.

Les moments les plus incroyables sont ceux où il parle de son procès: ”Petite larme émotive, pour la daronne appelée à la barre. Comment plaider contre l’un de ses fils, quand l’ainé risque le placard?”, ou encore ”Pourquoi tu cours, en criant police au secours? J’allais pas te tirer dessus mais ptet te crosser par amour” qui, quand on sait à quel point ces affaire le touchent, sont vraiment des rimes historiques.

Un seul article serait trop court pour raconter toute la complexité de ce morceau, qui se balade entre egotrip, moments de profonde dépression, de réflexion intense et de lucidité (ça va souvent de paire avec la dépression), avec toujours cette fierté banlieusarde d’avoir été fidèle aux siens et à ses convictions ”Rohff, comme Nike mon blaze est sous marque, quel plaisir de pouvoir se mater dans la glace du 94”. On ne peut qu’approuver. En on espère qu’il nous ressortira d’autres morceaux aussi puissants que celui-ci.

Rémi
Rémi

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