2ème chronique histoire de Sample : Brother's Gonna Work It Out

Histoire de sample : Brother’s Gonna Work It Out

“Brother’s Gonna Work It Out” est l’une des chansons les plus samplées et utilisées dans le hip-hop américain. Retour sur l’histoire d’un titre iconique, allant de Dr.Dre à A$AP Rocky en passant par Chief Keef et Kanye West.

Retour sur l’épopée d’une musique qui a traversé les générations et les styles de musiques. De sa création jusqu’à aujourd’hui, vivez l’histoire d’un titre engagé et d’une des ligne de basse les plus emblématiques des Etats-Unis.

Origine et création de la musique

70’s in California

Les années 70 américaines représentent un tournant pour ce qui est à l’époque la première puissance économique mondiale. En pleine guerre du Vietnam, les mœurs des jeunes américains se réveillent et un nouveau message voit le jour : celui de l’amour et de la paix. En effet, l’apparition des hippies fait du grabuge pour le président Nixon, qui voit en leur révolte la fin de la société capitaliste et républicaine qu’il met en place. Des drogues apparaissent petit à petit dans ce contexte, majoritairement vendu à bas prix. Le LSD et les acides prennent une ampleur monstrueuse dans le pays, et Nixon déclarera plus tard tout détenteur de cette drogue de danger du pays, afin de calmer ces néo-révolutionnaires.

Dans ce contexte si particulier naissent plusieurs types de musiques, tels que le disco ou encore un nouveau type de R&B mélangé avec de la soul, dont Marvin Gaye, les Jackson 5 et Aretha Franklin seront les porte-étendards. Ces styles musicaux permettront à une jeunesse afro-américaine d’exprimer leur mécontentement envers le racisme abondant dans leur pays et de reprendre le flambeau d’une révolte débutée par Martin Luther King et Malcom X, assassinés deux ans auparavant.

Willie Hutch

C’est alors que le jeune Willie Hutch de 25 ans fuit son Texas natal à la recherche d’une nouvelle vie d’artiste à Los Angeles. Il se fait rapidement repérer par le groupe de soul The 5th Dimension, avec qui il composera plusieurs titres. Par la suite, il enchaînera deux albums solo qui ne connaitront pas un succès commercial, mais qui sera fortement apprécié dans le domaine musical. Le voila compositeur pour plusieurs groupes et artistes. Il écrira notamment le titre “I’ll Be There” pour les Jackson 5, puis “Try it, You’ll Like it” pour Marvin Gaye, avec qui il se liera d’amitié. C’est alors que le réalisateur Michael Campus le remarque, et souhaite avoir sa pâte artistique pour la bande original de son futur film : The Mack.

The Mack

Ce film connaît une histoire particulière, puisqu’il fait parti des pionniers du genre “Blaxploitation”. Ce sous-genre du cinéma émerge dans les années 70, et questionne grandement à l’époque les populations afro-américaines, car il met en avant des noirs américains en tant que gangsters ou vendeurs de drogue, et ne reflète pas une bonne morale. Malgré ça, ce genre gagne en popularité puisqu’il est l’un des premiers à mettre au devant de la scène des noirs américains, en tant que héros de film, sans stéréotypes et sans être des “supervilains” où de simple “sidekick”. The Mack raconte l’histoire d’un homme revenant à son foyer après 5 ans d’emprisonnement. Il découvrira que son frère s’est engagé dans le “Nationalisme Noir”, mais décidera d’emprunter une autre route en devenant un caïd de son quartier.

Willie Hutch compose donc quelques musiques pour ce film en 1973, dont une qui connaîtra un succès méritée dans les foyers afro-américains : “Brother’s Gonna Work It Out”. Un titre calme et doux pendant les deux premières minutes, avant de gagner en énergie jusqu’à la fin. Il suffira à Willie Hutch de quelques lignes de basses et une flûte envoûtante pour marquer l’histoire et créé l’un des samples les plus utilisés du Hip-Hop.

The Chronic

Vous avez certainement compris ce qui allait lier cette musique au rap : son histoire et son importance pour la cause afro-américaine aux Etats-Unis. En 1996, un jeune homme du nom de Andre Young décide de se lancer dans une carrière solo suite à son désaccord avec son ami et membre d’un groupe légendaire : Eazy-E de N.W.A. Dr.Dre dévoile “The Chronic” en 1992, produit par Suge Knights sur le Label Death Row Records. L’histoire si complexe de ce label, vous la connaissez sûrement, sinon nous vous conseillons fortement de regarder le film “Straight Outta Compton”.

L’album en question reçoit un énorme succès, notamment porté par le beef entre Dre et Eazy-E sur le titre “Fuck Wit Dre Day (And Everybody’s Celebratin’)”. Aujourd’hui considéré comme l’un des albums les plus influents du hip-hop mondial, cet album a aussi servi de tremplin à Snoop Dogg, qui sortira quelque temps après son chef-d’œuvre “Doggystyle”. Premier album G-Funk de l’histoire, on y retrouve le titre “Rat-tat-tat-tat” en compagnie avec Snoop, qui démarre avec les fameuses ligne de basses. La machine est enclenchée.

Acid Rap

Faisons un saut de 20 ans. En 2013, un jeune rappeur de Chicago commence à faire parler de lui. En effet le jeune homme vient tout juste de faire la première partie de Eminem au Stade de France aux côtés de Kendrick Lamar et Tyler, The Creator. Ce n’est autre que Chance The Rapper, qui vient tout juste de sortir sa deuxième mixtape, Acid Rap, qui sera un véritable tremplin pour lui dans le rap. Acclamé par la critique, la mixtape se place à la 26ème place des meilleurs albums de 2013 de Rolling Stone, et à la 12ème pour Pitchfork. On y retrouve BJ The Chicago Kid, Action Bronson, Childish Gambino ou encore Noname.

Cette dernière chante sur le titre “Lost”, où elle forme une alchimie parfaite avec son ami de longue date. Ils racontent l’histoire d’un amour interdit entre deux personnes qui se rendent compte de ne pas être parfait l’un pour l’autre, mais prêt à accepter les différents de leurs conjoints. Comme dans le film The Mack, où les deux frères sont différents dans leur façon de penser, mais s’entraident tout de même peu importe la situation. L’occasion parfaite pour utiliser la basse et la flûte de notre sample.

Finally Rich

Restons à Chicago pour la suite de l’histoire, où le titre de Willie Hutch a eu beaucoup d’influence. Un jeune homme du nom de Keith Cozart commence a se faire connaître dans son quartier avec ses mixtapes anodines. Anodines, car il est l’un des précurseurs de la drill, et en faisait déjà en 2012. Sa popularité s’accroît très vite sur les réseaux tant le personnage est spécial. Sous le pseudonyme de Chief Keef, le rappeur devient rapidement un phénomène mondial suite à son premier album “Finally Rich”, contenant les titres “Love Sosa” ou encore “Hate Being Sober”, sorti en 2012. Repéré par Kanye West, lui même étant de Chicago, ils décident de collaborer sur l’album Nobody. Sur le titre éponyme, on retrouve Ye à la production innovante, avec les éternels ligne de basses de Willie Hutch.

https://www.youtube.com/watch?v=cXIAJXkl1a8

Cozy Tapes

En 2016, le A$AP Mob décide de sortir un album commun suite aux succès de leurs titres et de leurs deux porte-étendards : A$AP Rocky et A$AP Ferg. “Cozy Tapes Vol.1 : Friends” reçoit un grand succès critique comme commercial. Comme son nom l’indique, on y retrouve énormément de rappeur tels que Playboi Carti, Juicy J, Wiz Khalifa, Lil Uzi Vert, Tyler, The Creator pour ne citer qu’eux. Mais un featuring retient l’attention. Encore inconnu aux Etats-Unis, le rappeur londonien Skepta est convié à l’album par son ami A$AP Rocky. Le chef d’œuvre “Put That On My Set” est né.

Les deux rappeurs nous éblouissent avec leur flows magistraux tout au long du son, accompagnés par les notes de basses et de la flûte mélancolique. Le titre sera ensuite clippé avec “Money Man”, dans une réalisation de 12 minutes ou joue notamment Saïd Taghmaoui, l’un des acteurs principaux de La Haine. Ce court-métrage poétique en noir et blanc raconte l’histoire d’un quartier ravagé par une drogue : les ailes de papillons.

Conclusion

Dans les années 1970, Willie Hutch ne devait même pas imaginer qu’il laisserait une trace si importante dans la musique et dans la lutte afro-américaine de son pays. Des artistes tels que Ro James, Lloyd, Tupac, R.Kelly, ou encore Public Enemy ont samplé ce titre. En tout, on recense près de 43 titres ayant pioché leur influence dans “Brother’s Gonna Work It Out”. Cette ligne de basse et cette flûte ont su véhiculer un message à travers les générations, et rester intemporelles.  Rien ne les empêchera de revenir dans quelques années pour accompagner un hit aux sonorités futuristes !

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