A l’annonce du décès de Prodigy, c’est toute la sphère du hip-hop qui s’est vue bouleversée. Perdre l’un de ses vétérans, comptant parmi ces plus illustres représentants, on ne s’en remet jamais vraiment. Depuis les hommages pleuvent, les condoléances et les honneurs de rigueur. Sur Hip-Hop Corner, nous nous efforçons de vous faire revivre les grands moments de sa carrière, et de rappeler la qualité de l’artiste. Pour les plus jeunes, c’est l’occasion de découvrir tout un pan musical d’une période passée, car assurément, vous n’avez pu parler de rap sans entendre quelqu’un mentionner ne serait-ce qu’une seule fois Mobb Deep. Après nous être repenchée sur le parcours solo de Prodigy, et avoir opéré une rétrospective sur son premier album solo “H.N.I.C”, on se doit également de porter notre regard sur sa longue et extraordinaire collaboration avec Havoc.
Havoc & Prodigy: deux moitiés pour un tout parfait
S’il y a bien un quartier en particulier à New-York qui s’avère être un véritable vivier à talents, c’est bien le quartier de Queensbridge. On lui doit bien évidemment le célèbre rappeur Nas, mais aussi les deux bonhommes qui nous intéressent présentement: Havoc et Prodigy. Kejuan Muchita et Albert Johnson, tout deux appeler à façonner comme jamais le rap de la côte Est américaine. C’est au sein de l’Ecole supérieure d’art et de design qu’ils font connaissances et se lient d’amitié. Leur passion commune pour les rap leur fera s’associer pour créer un premier duo sous lequel ils répondent au nom de Poetical Prophets. Provisoirement du moins, puisque comme nous le savons tous, ils changeront pour adopter Mobb Deep. Havoc confiait d’ailleurs encore assez récemment que “Poetical Prophets” ne convenait pas suffisamment, car il ne désignait pas suffisamment ce qu’ils représentent. Leurs débuts musicaux s’effectueront en tout cas par l’intermédiaire de DJ Premier et son groupe Gangstarr avec le titre “Top Hell” en 1992.
Un titre qui confirme un talent certains chez les deux jeunes hommes, qui embrayent directement avec l’écriture d’un premier album. Soutenus par DJ Premier et Large Professor (que l’on retrouve dans l’entourage d’un certain Nas, alors étoile montante du rap), ils publient enfin leur premier album solo un an plus tard (en 1993): “Juvenile Hell”.
Un album et un visuel rendu qui participera grandement à donner le ton résolument violent du groupe. Les préjugés à l’encontre du rap se voient renforcés avec un tel exemple, et les lyrics se défendent en effet de toute censure (“Bitch Ass Nigga”). Cependant, le monde du hip-hop accueille avec joie ce duo qui s’exprime clairement dans la musique, le titre “Hit It From The Back” se classant d’ailleurs honorablement dans les charts. Toutefois, après seulement 40 000 exemplaires écoulés, le label Island Records se défait de ses deux nouveaux membres. Il est alors assez difficile de briller dans un milieu en pleine explosion, où la concurrence reste particulièrement rude. Les deux MC’s signeront finalement chez Loud Records tout en conservant cette image de banlieusards qui n’hésitent pas à raper un vécu sale et cru. Une vision musicale résolument hardcore, personnelle aussi, si bien que Havoc se décide à prendre en charge lui-même la production. On retrouve ainsi des titres à l’atmosphère sombre, tel “Shook Ones”.
Ce sera véritablement en 1995 que les deux compères connaitront le succès, avec leur album classique et aujourd’hui incontournable “The Infamous”. L’album se pare de paroles réalistes, directes, qui ne s’embarrassent d’aucune forme d’adoucissement et reflète un simple vécu froid et obscur. le début de la légende se construit véritablement avec cet opus, e t la consécration viendra directement avec la suite: “Hell On Earth”. C’est aussi l’époque des sons classiques, références même du groupe: “Survival of the Fittest”, “Shook Ones Pt. 2”, “Hell on Earth (Front Lines)”… Le talent certain que l’on percevait déjà chez ces deux là peut enfin s’exprimer au grand jour, sans jamais avoir perdu sa vision et son atmosphère inquiétante. Des débuts difficiles certes, pourtant en seulement quelques années, Havoc et Prodigy auront su se démarquer au sein du game de la côte Est et au final s’imposer comme des valeurs sûres.
On tombe pour mieux se relever
Fort de cette image de marque intouchable et inbougeable, le quatrième album de Mobb Deep (“Murda Musiz”) est très attendu par les fans. Cependant, même si les ventes sont effectivement au rendez-vous et les singles de qualités toujours présents, on relève un semblant de changement dans la direction artistique. Un atmosphère moins lourde, un ton moins brusque, comme si Havoc et Prodigy s’étaient en quelque sort assagis. C’est ainsi le début d’une période difficile pour le groupe.
Tout d’abord, il faut relever le clash avec Jay Z, qui en plein beef avec Nas s’en prend à tous ceux qui viennent de Queensbridge. Prodigy subit ainsi quelques humiliations, sur son passé de danseur notamment. Et cela continue… Avec la sortie de son album solo “H.N.I.C”, Prodigy alimente bien malgré lui les rumeurs comme quoi le duo est sous tension et ne devrait pas tarder à rompre. Loud Records commence à ne plus être une structure convenable pour les deux rappeurs, les relations se dégradent et ils décident alors de créer leur propre maison de disque: Infamous Records. Hélas, le cinquième album “Infamy” sera un échec commercial, renforçant l’idée que le groupe est sur le déclin. De plus, le beef avec Jay Z (qui n’est tout de même pas n’importe qui dans le game) ne fait pas dans la bonne publicité pour Mobb Deep. ce sera ainsi en 2003 avec la mixtape “Free Agents” (signifiant clairement dans le titre qu’ils sont viables de tout contrat) que Havoc et Prodigy semblent effectuer un véritable retour aux sources dans leur musique. Un objectif de courte durée toutefois puisque dès la publication du sixième opus “Amerikaz Nightmare”, on constate que le groupe s’est adapté au rap qui a considérablement évolué en ce début d’années 2000, et le rap conscient d’avant ne semble plus guère être le fer de lance du duo.
Au final, bien qu’ils soutiennent une longévité qui force le respect, Mobb Deep semble quelque peu patiner. C’est alors qu’ils feront une rencontre importante à ce stade de leur carrière: celle de 50 Cent et du G-Unit. C’est en 2005 qu’ils officialisent le contrat avec G-Unit Records, une décision lourde de conséquence en terme d’image, car c’est alors pour le public la confirmation d’un refus de poursuivre dans la veine battant depuis les années 90. Mobb Deep évolue. Suivra ainsi “Blood Money”, qui s’avère tout de même d’un meilleur niveau que son prédécesseur. Cela ne suffira pas à convaincre une bonne partie des fans qui ne reconnaissent pas le duo des débuts. De plus, le clinquant de Fifty semblent être une union paradoxale avec la sobriété originellement propre à Mobb Deep. Un nouveau départ quoiqu’il en soit, après une période trouble qui de fait, est l’exemple parfait illustrant les nombreux changements que le rap et le hip-hop plus largement a pu connaître à la période du début des années 2010.
Ce sera aussi le moment que Havoc et Prodigy choisiront pour se concentrer d’avantage sur leur carrière solo. Chacun y trouve le succès, bien que Prodigy semble d’avantage s’en sortir il faut bien l’admettre. Après quoi, sa peine de prison en 2007 met forcément sa carrière en suspens, jusqu’à sa sortie en 2011. Le duo se reforme immédiatement et commence à publier des sons, notamment avec The Alchemist de retour à la prod et qui doit se charger de l’intégralité du prochain projet. Hélas, ce 20 juin 2017 met fin à toute ambition future avec le décès brutal de Prodigy…
Adulé puis critiqué, Mobb Deep aura connu tous les aléas du succès. Naissant dans les années 90 avec de nombreux artistes de cette période qualifiée “d’Age d’Or”, ils auront toutefois su poursuivre jusqu’au bout, sans jamais s’arrête . peu importe les difficultés de contrats et de labels, les beefs en tout genre et le public réclamant sans cesse un retour aux origines, Havoc et Prodigy auront porté le rap afin de le façonner pour finalement s’adapter à lui une fois lancé. Une brillante carrière, rythmée certes par des hauts et des bas, pour deux artistes qui étaient tout simplement faits pour cela, et auraient pu encore bien continuer… R.I.P Prodigy… R.I.P Mobb Deep…